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Chapitre I : Les cellules souches

1.4. Applications des cellules souches pluripotentes

1.4.3. Médicine régénérative

L'une des applications la plus prometteuse des CSPh est le traitement des maladies par la thérapie cellulaire autologue ou allogénique, avec la création de banques de cellules souches. Les premiers protocoles d'isolement des CSEh et de reprogrammation des cellules somatiques en CSPih impliquaient l'utilisation de sérum du veau fœtal (SVF) et d'une couche nourricière de fibroblastes embryonnaires murins (FEM) traités à la mitomycine ou irradiés (pour empêcher leur prolifération) (Takahashi et al., 2007; Thomson et al., 1998b). Ces produits d'origine animale compromettent l’utilisation des CSPh et de leurs dérivés en clinique en étant un risque de transmission de toxines et de maladies inter-espèces et en augmentant la possibilité d'une réponse immunitaire contre les cellules transplantées. L'utilisation de cellules humaines (Richards et al., 2002) principalement des fibroblastes dérivés de prépuce, des matrices extracellulaires produites par les FEM (Klimanskaya et al., 2005) ou d’un mélange de protéines extracellulaires sécrétées par les cellules du sarcome de souris Engelbreth-Holm-Swarm, connu sous le nom de Matrigel (Xu et al., 2001a), a été envisagée comme des alternatives aux cellules nourricières murines. En 2006, Ludwig et al. ont démontré que les CSEh pouvaient être maintenues sur une surface recouverte d’un mélange de protéines humaines comprenant la vitronectine, le collagène IV, la fibronectine et la laminine et cultivées dans un milieu sans sérum appelé TeSR1 (Ludwig et al., 2006). Quelques années plus tard, Chen et al. ont produit le premier milieu de culture des CSPh défini, exempt de tout produit d’origine animale, le milieu E8, composé d’insuline, du sélénium, de transferrine, d’acide ascorbique et des facteurs de croissance tels que le bFGF et le TGFβ (ou Nodal) dans du milieu DMEM/F12 (Chen et al., 2011a). Récemment, d’autres travaux ont utilisé des surfaces recouvertes d'une seule des protéines recombinantes mentionnées ci-dessus (vitronectine, laminine ou fibronectine) (Braam et al., 2008), de petits peptides dérivés de ces protéines (par exemple le fragment E8 de la laminine-511) (Rodin et al.,

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2010) ou des polymères synthétiques qui permettent le maintien des CSPh en culture en conditions définies (Shao et al., 2015).

Actuellement, toutes ces avancées contribuent à la dérivation des lignées CSEh et CSPih dans des conditions de grade clinique nécessaires pour la thérapie cellulaire (Baghbaderani et al., 2015; Crook et al., 2007). En plus de l'interdiction d'utiliser des produits d’origine animale, les bonnes pratiques de fabrication (BPF ou GMP de l’anglais « good manufacturing practices ») imposent aussi la vérification de la stabilité génétique des CSPh, à savoir un caryotype normal exempté de toute aberration chromosomique ; de l’absence d'agents microbiologiques tels que mycoplasmes, bactéries, champignons, virus ou endotoxines, qui pourraient provoquer des maladies chez le receveur et de la pureté de ces cellules exemptées de cellules pluripotentes résiduelles ou de cellules provenant d'autres lignées cellulaires. Ces conditions de culture cellulaire sont essentielles à la sécurité du produit final à transplanter. Dans le cas des CSPih et comme décrit dans les sections précédentes, l'utilisation de vecteurs non intégratifs et le séquençage du génome sont nécessaires pour confirmer l'absence d'ADN étranger et de mutations dans les cellules à transplanter (Sullivan et al., 2018).

En 2010, le premier essai clinique avec des cellules dérivées des CSEh a été lancé pour traiter des lésions de la moelle épinière. À cette fin, l’entreprise pharmaceutique qui a réalisé cet essai, a différencié des oligodendrocytes à partir des CSEh. Un an plus tard, cette entreprise a arrêté l’essai argumentant des problèmes économiques. Bien qu'aucun effet secondaire n'ait été signalé, aucun des patients n'a montré d'amélioration. Cet essai, fut repris par une autre entreprise sur 35 patients qui, en 2017, a souligné l'amélioration des patients transplantés et a confirmé l'absence d'effets secondaires (Eguizabal et al., 2019). Ces premiers essais cliniques ont été suivis par d’autres équipes ciblant différentes maladies. En 2018, une trentaine d'essais cliniques étaient en cours dans le monde pour le traitement de maladies telles que la dégénérescence maculaire liée à l'âge, le diabète myélite de type I, la maladie de Parkinson ou la maladie du GVHD, la plupart avec des cellules dérivées des CSEh (Eguizabal et al., 2019) (Figure 6

,

Tableau 6). En France en 2014, l'équipe du professeur Menasché a réalisé la première transplantation de cellules cardiaques dérivées des CSPh pour traiter une patiente de 68 ans atteinte d'une grave insuffisance cardiaque, ces travaux ont montré une amélioration chez la patiente sans complications apparentes (Menasché et al., 2015).

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Avec le développement des technologies de modification génétique, une nouvelle application des CSPh s'est ouverte à la médecine régénérative. Les essais précliniques concernant les maladies monogéniques ont montré que la correction génique était possible dans les CSPih issues de cellules mutées de patients. L’obtention de cellules différenciées corrigées étaient alors transplantables chez les patients malades (Şişli et al., 2020). Malgré de nombreux essais précliniques et cliniques avec les CSPh, la thérapie cellulaire continue à faire face à un certain nombre d’obstacles. En 2015, un essai clinique au Japon a été interrompu en raison de mutations acquises par les CSPih au cours du protocole, mettant ainsi en évidence l’instabilité génétique des CSPih (Mandai et al., 2017).

La reprogrammation, amplification et différenciation en grandes quantités cellulaires est très laborieuse et coûteuse. Le futur de cette technologie compte sur l’automatisation de la culture et de la différenciation de ces CSPih pour augmenter la production et réduire les coûts (Kropp et al., 2016a). Des alternatives à la culture cellulaire traditionnelle comme, par exemple, l’utilisation des grands bioréacteurs où les cellules sont cultivées en 3D, ont commencé à se mettre en place dans certains laboratoires (Olmer et al., 2012), mais il faudra toujours s‘assurer que le produit final ne présente pas de danger. L’identification des petites molécules qui pourraient remplacer les cytokines et les facteurs de croissance dans les conditions d’amplification et de différenciation des CSPh sont aussi étudiées pour minimiser le coût (Chen et al., 2020; Haridhasapavalan et al., 2019). D'autre part, la thérapie cellulaire autologue privilégiée depuis des années, mais très chère en pratique, donne place maintenant à la thérapie allogénique et la fabrication de banques de CSPih. Les études dans ce domaine ont montré qu’il est nécessaire d’avoir 140 donneurs HLA homozygotes pour couvrir

Figure 6. Phases pour le développement, approbation et mise sur le marché des médicaments ou agents thérapeutiques. Les essais pré-cliniques permettent l’identification des potentiels agents thérapeutiques ainsi que l’évaluation de leur efficacité et toxicologie in vitro et in vivo (dans modèles animaux). Pendant la phase clinique I, les candidats aux médicaments sont testés sur des volontaires sains pour confirmer leur sécurité d'emploi, leur devenir dans l'organisme, ainsi que les effets indésirables. Pour les cellules souches, la phase I peut se réaliser dans un nombre réduit des patients malades et peut être associé directement à la phase clinique II. Les phases II et III, réalisés sur des patients malades, ont pour but de démontrer l’efficacité de ce produit et confirmer la sécurité du même. A la fin de ces phases, les pharmaceutiques peuvent recevoir l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du produit thérapeutique. Les années suivantes constituent la phase IV, où le médicament continue à être analysé, grâce aux données obtenues à partir des patients réels. Image originale du projet BD4cancer.

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environ 90% de la population japonaise (Okita et al., 2011), ou 150 donneurs pour couvrir 93% de la population anglaise (Taylor et al., 2012) et assurer des cellules compatibles avec l’hôte.

Enfin, de nombreuses études cliniques ont montré que très peu de patients transplantés avec des dérivés des CSPh présentaient des améliorations significatives de leur état pathologique. Bien que ces résultats moins positifs puissent être liés à la dose et à la voie d'administration, l'une des hypothèses envisagées est le manque de maturation des cellules différenciées dérivés des CSPh. Le développement de méthodes qui permettent l'acquisition de caractéristiques adultes de ces cellules aidera, sans aucun doute, à la mise en place définitive d’une thérapie cellulaire dans le futur.