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Méconnaissance et sous déclaration de l’origine professionnelle des

professionnelle des pathologies

Nous l’avons vu, les médecins généralistes ont un rôle de conseil et de suivi des patients. Un aspect de leur métier relève davantage de la médecine légale quand ils établissent les certificats médicaux initiaux pour des déclarations d’accidents du travail et de reconnaissances de maladies professionnelles ou à caractère professionnel qui contribuent à faire reconnaître (et indemniser) l’origine professionnelle des pathologies. Ce sont parfois eux qui le conseille aux patients, selon une médecin « quand ça existe il faut que ça serve » et qui anticipent la prescription d’examens complémentaires nécessaires. Généralement ces déclarations coïncident avec la prescription d’un arrêt de travail justifié par la pathologie déclarée.

Mais comme pour la prescription d’arrêts de travail, ils sont peu formés pour ces tâches considérées comme moins médicales. En début de carrière, ils sollicitent des confrères plus âgés et apprennent « sur le tas » cette partie du métier. L’existence du dispositif et la possibilité de prise en charge conditionnent les recours des médecins généralistes qui mobilisent les procédures ayant le plus de chance d’aboutir, réduisant ainsi l’incertitude d’une éventuelle réponse négative :

« Parce que pour les problèmes psy c’est dur de mettre en maladie pro donc ils ne sont pas en maladie professionnelle. Mais pour les maladies professionnelles ou accidents du travail c’est TMS à cent pour cent. » (entretien n°8, médecin généraliste, classe 3)

Les médecins généralistes inscrivent leurs pratiques dans le cadre existant. S’ils connaissent les possibilités de reconnaissance de l’exposition professionnelle moins « conventionnelles » comme l’alinéa 4 de l’article 461-1 pour la reconnaissance des maladies professionnelles « hors tableau », ils renvoient la décision aux spécialistes (en l’occurrence le CRRMP). D’autant qu’ils ne connaissent souvent que partiellement la procédure :

« ça c’est fréquent. Canal carpien, épaule, rachis. Il y a des tableaux de toute façon, il faut se référer aux tableaux.

Q : Oui, vous regardez en fonction du tableau et puis si ça correspond vous proposez ? R : Oui. Sinon c’est hors tableau, ça existe hors tableau. Pour le harcèlement, c’est les médecins-conseils qui vont décider » (entretien n°21, médecin généraliste, classe 3)

Mais lié à une méconnaissance des risques professionnels, les médecins ignorent certaines procédures de reconnaissance, comme le fait de déclarer une situation de « souffrance au travail » comme accident du travail par exemple. Cette assurée plusieurs fois arrêtée depuis trois ans pour troubles anxio-dépressifs, n’est que depuis récemment dans une procédure de reconnaissance d’accident du travail après avoir été insultée une fois de plus par ses supérieurs hiérarchiques sur son lieu de travail, s’être retrouvée en larme et arrêtée. Après s’être rapprochée des représentants du personnel au CHSCT, c’est elle qui informe son médecin généraliste de cette possibilité qu’il méconnaît. Elle a par ailleurs d’elle-même sollicité la médecin du travail (« elle ne dit pas grand-chose,

c’est pour ça que je suis allée chez la psychologue après. Et c’est elle qui m’a dit : « mais ça s’apparente à du harcèlement ») avant d’être en arrêt de travail :

« Je trouve que les médecins traitants ne sont pas assez au courant des pratiques des accidents du travail, des choses comme ça. […] Après je n’en ai pas parlé avec mon médecin traitant. Quand je lui ai dit que ça pouvait être mis en accident du travail, il m’a dit : « je n’ai jamais vu ça ». Du coup après je lui ai amené la déclaration d’entreprise et donc il a fait sans problème. Au contraire. Il est super compréhensif et il ne met pas en doute ce que je dis, mais voilà le premier réflexe quand je suis allée le voir la première fois, c’était peut-être de se dire : ça s’est passé sur ton lieu de travail donc c’est un accident du travail. On peut peut-être les sensibiliser à ça. Alors après ce n’est pas leur rôle peut-être, mais ils ne sont pas sensibilisés à tout ça, à tout ce qui est le monde de l’entreprise, aux accidents du travail, au CHSCT. Ils ne connaissent pas alors que ça touche à la santé. » (entretien n°33, informaticienne, classe 2)

Il s’agit pour cette assurée de faire reconnaître l’origine professionnelle d’une pathologie pour laquelle les procédures sont plus difficiles. Ce type de démarches, lorsqu’elles aboutissent, contribue à améliorer le regard que portent les travailleurs sur leur itinéraire professionnel. « La prise en charge institutionnelle semble agir comme un révélateur de l’attention que l’employeur, les collègues, et plus largement la société portent aux drames individuels que constituent les atteintes à la santé d’origine professionnelle » (Amossé et al. 2012). Aussi la reconnaissance du lien entre une atteinte à la santé et le travail comporte des dimensions allant bien au-delà d’une réparation financière.

Mais la reconnaissance est d’autant plus difficile quand l’assuré souffre de multiples pathologies (et n’est pas en arrêt de travail pour la bonne « raison ») et que tant l’encadrement que le personnel soignant de l’entreprise est de mauvaise volonté :

enfin j’ai fait un descriptif de mon poste où je suis. Du coup j’avais signalé ça au chef de la sécurité. J’ai dit que j’avais signalé mais il l’a jamais marqué sur le carnet de liaison de l’infirmerie donc aucune trace. Mais il aurait fallu que je sois en arrêt pour l’épaule et c’était pas le cas. » (entretien n°36, ouvrier dans l’agroalimentaire, classe 2)

Il arrive par ailleurs que les médecins considèrent la reconnaissance de l’origine professionnelle des pathologies comme un problème :

« Ça ça nous pollue un petit peu la demande parce que du coup maladie professionnelle il y a pas de perte de salaire, il y a une reconnaissance, une sorte d’étiquette maladie professionnelle qui modifie un peu la demande du patient. […] Il y a encore plus d’arrêt. Ils mettent du temps avant de reprendre. Ils sont bien protégés donc ils ont le temps quoi. » (entretien n°3, médecin généraliste, classe 2)

Cette médecin dénie l’origine professionnelle des pathologies considérant que les TMS, c’est « pas toujours professionnel. Il y a plein de gens qui ont mal à l’épaule et qui n’ont pas un métier physique.

C’est le vieillissement des tendons. Des mauvaises habitudes » et qu’en cas de trouble anxio-dépressif, elle

aurait tendance à « voir un petit peu si on peut pas trouver des causes plus graves à cette souffrance. Est-ce que

c’est pas le couple, la famille, les enfants ? ». Cette médecin a une approche très centrée sur l’individu et

par conséquent minimise les dimensions collectives, comme nous l’avons précédemment et plus généralement montré, car si en effet l’usure physique est corrélée à l’âge des personnes, elle est renforcée par certaines expositions professionnelles (cadences, etc.).

Plusieurs médecins nous font remarquer que les assurés dont l’origine professionnelle de la pathologie est reconnue reprennent moins vite le travail que les autres. La demande de reconnaissance peut concerner des pathologies « avancées » dont le rétablissement est délicat en cas d’usure professionnelle. Mais les médecins l’expliquent davantage par « un sentiment de dû par la

société, si c’est arrivé au travail » et d’autres par des facteurs financiers, l’indemnisation complète liée à

la reconnaissance de l’origine professionnelle de la pathologie prévenant la précarité économique dans laquelle l’arrêt de travail place nombre d’assurés :

« On se rend compte aussi que quelqu’un qui est en arrêt maladie rapidement il va être en difficulté. Parce que les indemnités sont dégressives. Il y a un moment c’est un facteur qui va aussi peser, certainement. C’est un facteur que moi je vous cite avec un peu de mauvaise foi de médecin conseil. Mais voilà, en tout cas c’est une réalité qu’un arrêt de travail est en général plus long en AT-MP. » (entretien n°1, médecin conseil)

Mais bien qu’ils ne soient pas forcément ignorants de l’existence de la possibilité de reconnaissance, tous les assurés ne souhaitent pas faire la demande :

« Q : Vous avez fait une demande de reconnaissance en maladie professionnelle ?

R : Non parce que je peux pas dire que ça vient de mon travail, j’ai rien qui le prouve. En fait ça peut venir du foot, ça peut venir de mon travail, ça peut venir de mon bassin, ça peut être dans des antécédents. Je vais pas aller dire… Mais je sais que c’est reconnu comme maladie professionnelle et tout ce qui est hernie discale, sciatique… Tous les problèmes de dos pour les conducteurs de bus de toute façon il suffit d’aller sur un site de la sécu c’est le premier truc qu’ils mettent. Donc oui c’est reconnu mais moi j’ai pas fait de demande particulière parce que non, je peux pas aujourd’hui dire que… Si je faisais rien à côté, que je faisais que travailler, ouais… Mais non, je fais quinze mille trucs. Donc non, ce serait pas honnête. »

vulnérable de leurs positions et expositions (Dejours 2015). Cet assuré à qui le lien direct avec le travail ne semble pas si clair est particulièrement jeune (il a moins de 30 ans) et ne semble pas prêt à envisager une reconversion professionnelle.