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Des assuré·e·s au centre des trois classes

Comme nous le mentionnons précédemment dans les analyses statistiques, nous avons dégagé trois grands profils d’assurés. Le premier englobe pour l’essentiel des femmes qui ne sont pas en ALD. Elles sont plutôt en arrêt maladie et travaillent dans le secteur de l’action sociale et de la santé humaine ainsi que la restauration. Âgées entre 30 à 49 ans et elles sont situées dans des zones où l’indice de défavorisation est à 3. À l’opposé le deuxième profil réunit des hommes travaillant dans le secteur de la construction ou de l’industrie. Ils sont plutôt en arrêt pour des problèmes de santé dont l’origine professionnelle a été reconnue (accident du travail ou maladie professionnelle). Enfin le troisième profil concerne majoritairement des femmes en ALD plutôt âgées entre 50 à 64 ans, les secteurs les plus représentés étant l’administratif et « santé humaine et action sociale ». Nous allons présenter trois cas d’assurés. Chacun représente le centre de la classe statistique. Autrement dit, ils correspondent de manière exemplaire à pratiquement toutes les caractéristiques dégagées par l’analyse statistique.

Profil d’assuré n°1

Une femme âgée d’une cinquantaine d’années. Divorcée et mère de deux enfants. Elle exerce une profession médicale. Dans l’entreprise dans laquelle elle travaille depuis plus de vingt ans, elle est parmi les salariés les plus qualifiés. Elle a eu des multiples arrêts de travail essentiellement dus à deux facteurs croisés. Un harcèlement au travail et un syndrome

souhaite revenir au travail. Pour favoriser cette reprise, elle entame, au moment de l’enquête, les démarches pour avoir un mi-temps thérapeutique.

La classe n° 1 est la plus importante parmi les assurés. L’assurée ci-dessus âgée d’une cinquantaine d’années a un parcours de soin complexe posant la question de l’articulation entre les contraintes de travail (harcèlement) et son état de santé. L’environnement de travail tel qu’elle l’a décrit lors de notre enquête ne semble pas remplir toutes les conditions pour en retour à l’emploi serein et propice à une reprise. Le secteur de la santé a connu de nombreuses évolutions et transformations ces dernières années. Ainsi l’Anses dans son rapport du Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (rnv3p) 2016, 20), estime parmi les secteurs les plus représentés par les pathologies psychiques liées au travail la santé à 13 % (premier parmi les secteurs). Alors que le secteur de la santé n’est pas le plus important dans le Finistère (le secteur marchand et des services représentent presque 60 % des emplois en Bretagne).

Le deuxième profil quant à lui représente bien la classe n° 2. Son parcours et les affections dont il souffre sont d’origine professionnelle. L’assuré a connu au cours de sa carrière professionnelle, d’autres accidents du travail. Il travaille dans le secteur de l’industrie agroalimentaire depuis l’âge de 16 ans. La maladie dont il souffre, si elle est reconnue au titre de la législation professionnelle, il n’en reste pas moins qu’il rencontre une série de problèmes notamment en termes d’une part, de reclassement professionnel, et d’autre part, en termes de prise en charge. Le parcours est également exemplaire de personnes victimes des accidents du travail.

Profil d’assuré n°2

Un homme âgé de cinquante ans. Il travaille dans l’industrie agroalimentaire depuis l’âge de 17 ans. Pâtissier de formation, il avait intégré une entreprise au sein de laquelle travaillait son père. Il considérait cette entreprise comme « très familiale » où l’on faisait « du bon travail ». L’entreprise produisait de la pâtisserie pour une grande enseigne dans la distribution. À la suite d’une restructuration, le site a été fermé et il a été proposé aux salariés des postes à Rennes. L’assuré a refusé et il a entamé, avant la fermeture, des recherches pour trouver un autre emploi. Il sera embauché dans une nouvelle entreprise de conditionnement de viande. Il aura une perte de salaire, mais il est content de retrouver un emploi. Cette continuité d’emploi lui permet d’investir dans l’achat d’une maison et de participer diverses activités de loisirs. Durant son premier emploi, il a connu quelques problèmes au dos. En arrivant dans la nouvelle usine, il aura un poste adapté tout en portant un corset depuis 2011. Sur son poste, il travaille en équipe à conditionner les barres de jambon sur des palettes. Pour soulager les membres de cette équipe, un poste plus « doux » existait. Celui-ci étant supprimé, il a demandé par l’intermédiaire du médecin du travail de changer. Un nouveau poste lui est proposé dans le « classement » des barres. Un peu plus tard – 2014- obtient sa reconnaissance de travailleur handicapé pour son problème de dos. Toutefois, les conditions de travail dans l’usine se détériorent rapidement et son statut n’est pas tenu en compte pour la réalisation de l’activité de travail. En réalisant son travail, il va sentir une « châtaigne au dos ». Il fera une déclaration à la suite des constats et aura un arrêt qui sera prolongé puis reconnu en accident du travail. Durant cet arrêt, il a pris l’initiative avec son médecin de réaliser des examens complémentaires et notamment une IRM.

pas, il cherche de pistes de sorties pour se reclasser et réalise un bilan des compétences. Il ressort de celui-ci qu’il doit devenir « directeur d’école, avocat ou directeur d’hôpital ». Un tel résultat entretien chez lui une amertume et un fort sentiment de non-reconnaissance.

Le troisième profil qui se trouve au cœur de la classe N°3 des assurés représente le cas classique des ALD. Cette femme souffre d’une série affections rendant incompatible ou difficilement la poursuite de son activité de travail. La nature de celle-ci ne permet pas d’envisager un classement et son statut, chèque emploi service, rend sa prise en charge sur le plan d’indemnités plus complexe. Toutefois, elle est bien conseillée notamment par rapport aux bénéfices en termes d’accès aux droits. Elle a fait des demandes d’invalidité, de RQTH, et elle considère que l’affection dont elle souffre pose davantage de problèmes car elle n’est pas « visible ». Cette situation provoque de remarques voire de l’incompréhension dans les relations qu’elle peut nouer.

Profil d’assuré n°3

Femme âgée entre 55 et 64 ans. Ancienne fonctionnaire territoriale, elle a démissionné pour suivre son mari. Elle est en ALD à la suite d’une découverte d’une gammapathie. Plus tard, les médecins diagnostiquent aussi une spondylarthrite et une maladie de Crohn. Elle travaille dans le secteur de service à la personne, elle est auxiliaire de vie sociale. Elle est mariée et vit avec son mari. Le diagnostic a été fait à la suite d’une consultation pour une calcification aux épaules. La description que l’assurée a donnée de ses symptômes a conduit le rhumatologue à réaliser les examens. Elle trouve son médecin traitant « gentil ». C’est son médecin qui suit les traitements et c’est lui qui s’en occupe des arrêts. Elle explique que les « médecins spécialistes sont assez réticents aux arrêts et ils me renvoient toujours vers le médecin traitant. Son statut d’emploi – chèque emploi service – pose quelques problèmes pour la prise en charge. Le fait de réduire les heures de services impacte directement le calcul des IJ. Elle s’interroge énormément sur les effets de sa maladie et sur le retour à l’emploi « Mais bon là moi il va falloir que je pense à une reconversion,

parce que je ne vais sans doute pas pouvoir retourner ». La réalisation des ménages notamment l’inquiète

particulièrement. Elle n’a jamais connu d’arrêt aussi long. Après conseil de son médecin traitant, elle a fait une demande d’invalidité qui a été accordée. L’accord a été assez rapide, alors qu’elle trouve que ce dont elle souffre « ne se voit pas ». Son médecin lui a suggéré également d’entamer une démarche de reconnaissance RQTH. En revanche, elle souffre du regard des autres qui se demandent si elle ne profite pas de la Sécurité sociale « Alors que ben non, si je pouvais bosser, je

préférerais quand même, plutôt que d’être malade quoi ! ».

Toutefois, si nous avions retrouvé des profils correspondant aux profils statistiques, il nous paraît intéressant de pénétrer dans les propos des assurés pour discerner une série de dimensions dans le processus de construction de l’arrêt. En effet, l’arrêt de travail résulte d’un processus de construction sociale durant lequel, comme nous le verrons, apparaissent des éléments permettant aux acteurs en présence de parvenir à la prescription. La prescription d’un arrêt de travail résulte ainsi d’une négociation plus au moins explicite. La négociation on peut la définir comme « une

activité qui met en interaction plusieurs acteurs qui, confrontés à la fois à des divergences et des interdépendances, choisissent (ou trouvent opportun) de rechercher volontairement une solution mutuellement acceptable » (Dupont

1994, 11). Ce qui nous intéresse dans ce processus, est l’émergence éventuelle apparition d’une divergence d’intérêts entre les acteurs en présence. Ici en l’occurrence, le médecin détient le pouvoir d’accorder un droit, de changer la nature d’une situation. Cette négociation passe certes par le dialogue mais celui-ci prend racine dans l’existence d’un conflit que les parties en présence