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Mécanismes et Modélisations

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une revue des avancées récentes 1

4. Mécanismes et Modélisations

Pour aller au-delà de cette vision statique, il faut s’interroger sur le scénario de mise en place de ces phénomènes lorsqu’un sujet prend conscience d’une information, autrement dit en nous interrogeant sur les mécanismes en œuvre.

Figure 7 : Corrélats neuronaux de la conscience. (cf. Gross et al. 2004, Gaillard et al.2009) C’est pour répondre à cette interrogation que nous avons mené une expérience un peu différente du masquage, un phénomène qu’on appelle clignement attentionnel ou attentionnal blink. Dans ce genre d’expérience, le sujet est encore une fois devant un écran d’ordinateur et voit défiler des items de manière rapide, mais ici, l’intervalle entre les différents items est suffisant pour que le sujet soit capable de rapporter ces items

dans l’expérience de masquage. On demande d’abord au sujet de rapporter le chiffre qui lui est présenté (le chiffre cinq sur la figure 8a) il n’a bien sûr aucun mal à le faire. On lui présente alors exactement la même chose, mais en lui demandant aussi de prêter attention à une cible qui est présentée avant ce mot. On constate alors que le fait de porter attention à cette première cible va faire qu’il sera incapable de voir la deuxième cible si elle arrive dans un intervalle de temps critique autour de 300 millisecondes après la première : comme s’il avait cligné à ce moment là. Bien sûr on vérifie que le sujet ne cligne pas véritablement, c’est un clignement attentionnel.

Le fait de porter attention à un premier stimulus va ouvrir un intervalle de temps où le second stimulus ne sera pas perçu. Il est alors intéressant d’étudier quelle est la perception de ce deuxième stimulus au moment du clignement attentionnel : au lieu de demander au sujet de dire seulement s’il a vu ou pas vu le deuxième stimulus, on lui donne une échelle subjective pour rapporter à quel point il a bien vu ce deuxième stimulus ; la partie supérieure de la figure 8b montre cette échelle de visibilité subjective qui va de 0 (je n’ai rien vu du tout) à 100 (j’ai très bien vu). Les distributions de réponses sur cette échelle, sont surprenantes : pour un même participant, un même individu, et pour exactement la même stimulation, dans certains essais le sujet dira je n’ai rien vu, (comme dans les essais témoins où rien n’a été présenté), et dans d’autres essais il dira oui j’ai très bien vu. Ceci suggère la présence d’une dynamique sous-jacente, peut-être une dynamique non linéaire.

Figure 8 : Clignement attentionnel (attentional blink). Images extraites de Sergent et Dehaene, Psych. Science 2004. Sergent, Baillet et Dehaene, Nature Neuroscience 2005

Nous avons réalisé des électro-encéphalogrammes pour savoir ce qui se passe au niveau de l’activité cérébrale lorsque le sujet dit qu’il a vu ou pas vu le stimulus. La figure 9 montre les résultats obtenus (rappelons que dans les deux cas la stimulation est identique). Elle montre à différents instants, sur une image « plate » l’activité des différentes électrodes posées sur le crâne du sujet. Les premières ondes cérébrales observées le sont à 96 ms : des activations sur les électrodes occipitales (donc le système visuel) apparaissent de manière identique lorsque le stimulus est vu ou pas vu, absence surprenante de différence, contrairement à ce qu’on obtenait en IRM fonctionnelle. Il en est de même encore à 180 ms où les activations sont très fortes, très riches, identiques dans les deux cas. C’est seulement à 250 ms après la présentation du stimulus, qu’une divergence apparaît : lorsque le sujet à la fin de l’essai dit j’ai vu le stimulus on voit l’enclenchement de toute une série d’ondes cérébrales qui ne sont pas déclenchées lorsque le sujet dit ne pas avoir vu le stimulus et ceci jusqu’à plus d’une demi-seconde après la présentation du stimulus.

Figure 9 : le scénario de prise de conscience ; image extraite de Sergent, Baillet & Dehaene, Nature Neuroscience 2005

On peut présenter ces résultats de la prise de conscience par le cerveau d’une information sous forme d’un film. Il est bien sûr, impossible de le monter dans un texte écrit, mais on peut le décrire : Ce film montre les faces gauche et droite du cerveau ainsi que la face du dessous. Sur les images qui défilent figurent, en bas, les activations lorsque le sujet dit qu’il a vu le stimulus et en haut lorsqu’il dit ne pas l’avoir vu. Un petit compteur de temps figure en bas et à gauche. Le film commence à 40 ms avant la présentation du stimulus. Les premières activations se font jour autour de 100 ms après la présentation du stimulus, ce sont de belles activations dans le cortex occipital : ce système neuronal, lieu d’intégration des stimuli visuels, est donc en train de répondre et ce de manière similaire pour les stimuli conscients et inconscients.

On voit très bien la progression de ces activations dans le cortex temporal, ce qui est attendu et conforme à ce que l’on sait. On remarque d’ailleurs que cette progression est un peu plus forte à gauche qu’à droite car, rappelons-le, ce sont des mots qui sont présentés.

Cependant aucune différence n’existe, que le sujet dise qu’il a vu le stimulus ou qu’il dise qu’il n’a rien vu. La transition va se faire un peu plus loin, autour de 250 ms, où l’on commence à voir des activations frontales soutenues et également des réactivations dans le cortex temporal ; de nombreuses aires, à travers tout le cerveau, semblent ainsi être concernées par le traitement du stimulus lorsque le sujet, à la fin de l’essai, dit qu’il a bien vu le stimulus, alors que dans le cas où il dit qu’il n’a pas vu le stimulus ces réactivations n’ont pas été déclenchées.

Comment interpréter ces résultats ?

Un des modèles sur lequel nous travaillons actuellement, est celui décrit et formulé par Bernard Baars, modèle par la suite « mis en neurones » pourrait-on dire, par Stanislas Dehaene et Jean-Pierre Changeux, et après eux par plusieurs autres collaboratrices et collaborateurs, dont l’auteure de cet article. Le scénario de prise de conscience, tel qu’on peut l’interpréter maintenant, serait le suivant (cf figure 10) : les premiers traitements sensoriels initiaux de l’information, les 200 premières millisecondes, semblent correspondre à une étape de traitement préconsciente ; il n’est pas encore décidé si la personne prendra ou non conscience du stimulus et nous proposons de considérer que le facteur qui déclenche la prise de conscience du stimulus est la réactivation, notamment dans le système attentionnel, de ces représentations qui sont initialement locales. Si cette réactivation est couronnée de succès, elle permettra de conduire à un état particulier où il existe un partage global de l’information sensorielle que le sujet ressentira comme accès conscient.

Si on représente cette dernière étape sous la forme d’un réseau à plat (Figure 11), l’étape préconsciente correspondrait à une représentation qui emprunte les autoroutes automatiques (dans des modules périphériques, sur la figure) du traitement de l’information, mais qui n’ont pas de fortes connexions à longue distance. Mais à partir du moment où cette représentation connecte un « hub » , une espèce d’échangeur qui a des connexions beaucoup plus riches à travers différents modules, cette information va pouvoir être partagée beaucoup plus largement, par exemple au niveau des aires du langage pour pouvoir la rapporter verbalement, au niveau des aires d’évaluation et de planification pour intégrer cette information à la planification courante, etc. Finalement ce partage d’information est d’un point de vue neuronal et fonctionnel ce que nous expérimentons comme une accessibilité de l’information à la conscience.

Ce modèle peut donner lieu à une implémentation sur ordinateur, ce qui permet la simulation de son fonctionnement ; on peut alors étudier si on retrouve une dynamique abrupte, « tout ou rien », entre déclenchement ou non de la deuxième phase de partage de l’information. L’implémentation met en œuvre quatre niveaux hiérarchiques, depuis le

niveau sensoriel (niveaux A et B) jusqu’au niveau des « hubs » possédant une riche connectivité longue distance (réseau fronto-pariétal, niveaux C et D), Chaque module de ce réseau est constitué d’un petit circuit thalamo-cortical (cf figure 12, partie supérieure – B). Deux éléments sont importants dans la manière dont ces modules sont connectés entre eux : d’abord la connectivité ascendante qui va permettre le traitement ascendant, rapide, de l’information, implémentée par des synapses de type « AMPA » ; ensuite la connectivité descendante, extrêmement riche, en provenance des aires de plus haut niveau (niveaux C et D), implémentée par des synapses de type NMDA plus lentes et plus soutenues, qui correspondrait à ces étapes de maintien de l’information et d’établissement d’un réseau global.

Figure 10 : Modèle de l’espace global de travail conscient.

Images extraites de Baars 1988, Dehaene et al, TICS 2006

Figure 11 : prise de conscience : connexion à un échangeur conduisant au partage de l’information.

Images extraites de Baars 1988, Dehaene et al, TICS 2006

Par le biais de cette implémentation une fois mise en place, on simule les expériences faites en EEG : on entre une première cible (au niveau de l’aire A1), puis une seconde cible (au niveau de l’aire A2) et l’on regarde comment ces deux activations se propagent dans le réseau (cf figure 12, partie inférieure - C). Ce que l’on constate, c’est bien l’existence de deux groupes de réactions du système à une même stimulation : dans certains essais on voit l’information de la deuxième cible monter jusqu’aux dernières étapes et puis s’affadir et cesser assez rapidement. Dans d’autres essais la même stimulation va provoquer une dynamique très différente : une montée de l’information puis son maintien au niveau le plus haut, accompagnée d’une redescente de l’activation ; c’est cette redescente de l’activation portée par la connectivité descendante qui permet cette deuxième étape de traitement, partagée cette fois par tout le réseau et maintenue sur une très longue période, au-delà de 300 millisecondes après la présentation du stimulus.

Dans le document EDP Open (Page 74-79)