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La cognition inconsciente

Dans le document EDP Open (Page 68-72)

une revue des avancées récentes 1

2. La cognition inconsciente

Une expérience simple peut nous donner une première idée de ce qu’on appelle la conscience : La figure ci-contre représente un écran d’ordinateur avec une texture de fond constituée de petites croix bleues. Sur ce fond bleu figurent trois points jaunes représentant les sommets d’un triangle. Au milieu de ce triangle apparaît un point vert intense et on demande au sujet de fixer fortement son regard sur ce point aussi longtemps que possible en essayant de ne pas ciller. Au bout d’un moment il se rend compte que les points jaunes disparaissent de la vue, totalement ou partiellement, il n’en a plus conscience, alors que l’on sait bien qu’ils sont toujours présents. D’ailleurs, si à ce moment il ferme et rouvre les yeux, les points jaunes réapparaissent car cette interruption suffit à lever l’effet de cette illusion. Ce phénomène a été baptisé « cécité induite par le mouvement » (Bonneh, Cooperman & Sagi Nature 2001). C’est un des nombreux exemples d’expériences qui nous indique que, même à l’éveil, notre cerveau peut traiter une information sans que nous en ayons conscience.

Que se passe-t-il donc dans le cerveau, à l’éveil, lorsque ce dernier traite une information de manière non consciente ?

La figure 2 illustre une expérience de masquage. On présente au sujet un mot (un stimulus), ici le mot neuf (nine=9), pendant quelques dizaines de millisecondes, ici 43 millisecondes (figure 2a, partie supérieure). Ce temps peut paraitre très court, mais il est largement suffisant pour que le système perceptif permette de le voir et d’en comprendre le sens. Le sujet en est conscient. Par contre si ce stimulus de 43 millisecondes est immédiatement précédé et suivi de masques (dans le cas présent des images de 71 millisecondes), il disparait de la conscience et devient subliminal, le sujet n’en n’a plus conscience.

Cependant, on montre que ce mot caché et en particulier le sens de ce mot caché, va pouvoir influencer le comportement du sujet vis-à-vis de stimuli conscients.

Figure 2a Figure 2b

Figure 2 : expérience de masquage ; dans cette expérience, le sujet est placé devant un ordinateur et on lui fait voir une image (dans le cas présent un chiffre) seule ou encadrée par d’autres images.

Image extraite de Dehaene et al, Nature 1998

Dans cette expérience en effet, on demande au sujet de comparer des symboles parfaitement visibles (par exemple ici le nombre 6) au nombre 5, et on regarde si la réponse est influencée par la présence d’un mot caché qui précède (le 9 dans la partie supérieure de la figure 2a, le 1 dans la partie inférieure). On observe effectivement une influence en terme de temps de réaction (figure 2b) : il y a une accélération du temps de réponse dans le cas où ce nombre visible a été précédé d’un mot invisible votant pour la même réponse que lui (par exemple le mot « neuf »/ « nine » dans la figure 2a), par rapport au temps de réponse constaté lorsqu’il a été précédé d’un mot invisible votant pour la réponse opposée (par exemple le mot « un »/ « one » dans la figure 2a). Bien entendu, l’expérience a été répétée avec différents formats de ces chiffres (notation arabe ou en toutes lettres dénotés respectivement A et V pour verbal dans la figure 2b) : quel que soit le format de présentation du stimulus invisible et du stimulus visible on obtient le même résultat, c’est bien le sens des stimuli qui est reconnu, au-delà de leur format physique.

Ces travaux de masquage, qui sont tout à fait significatifs et emblématiques, démontrent qu’un sujet humain est capable d’extraire le sens d’un mot subliminal, perçu de manière non consciente.

Par delà ces premières constatations, on regarde comment le cerveau traite ces informations et, en particulier, on analyse quelle est l’influence du mot caché sur la préparation motrice, sur le système moteur (Figure 3).

La réponse correcte au nombre visible est, dans le cas de cette expérience, une action de la main droite s’il est plus grand que 5, et de la main gauche s’il est plus petit ; les préparations motrices de ces deux réponses produisent, en électro-encéphalographie, des signatures très connues : au clic avec la main droite, une petite négativité apparait au dessus du cortex moteur gauche, et inversement. Mais que se passe-t-il dans le cerveau dans sa réaction au nombre invisible ? Plus précisément, voit-on un début de préparation motrice qui serait la bonne dans la comparaison de ce nombre au nombre 5 ? Sur la topographie toujours enregistrée en électro-encéphalographie, on voit effectivement apparaître une petite préparation motrice en réponse au nombre invisible, cohérente avec une réponse à droite, s’il est plus grand que 5 et une réponse à gauche s’il est plus petit que 5.

Donc, non seulement le cerveau a réussi à extraire le sens du stimulus mais de plus il a su appliquer une consigne arbitraire qui était de le comparer à 5. On voit ainsi à quelle complexité peut accéder le traitement cérébral d’un stimulus inconscient.

En conclusion rapide sur le traitement non-conscient, contrairement à la position qui a été longtemps celle des neurosciences, qui était de dire que finalement un processus inconscient était un réflexe, puis, dans les années 1970, que les processus inconscients sont des réflexes qui peuvent être médiés par le cortex, les études actuelles montrent qu’il faut

et de manière intéressante, on montre aussi qu’il ne semble pas y avoir de territoire interdit dans le cortex, pour des représentations non conscientes de quelque nature qu’elles soient.

Les études récentes ont montré, par exemple, qu’il peut y avoir des activations frontales inconscientes (van Gaal et al., Journal of Neuroscience 2010).

Figure 3 : réponses du cerveau aux expériences de masquage démasquage. On regarde ici la signature, dans le cerveau, du geste effectué par le sujet en réponse au stimulus conscient qu’il perçoit (en vert), et, en amont, l’amorce de préparation motrice engendrée par le stimulus amorce masqué (en rouge/rose). Image extraite de Dehaene et al, Nature 1998

Dans le document EDP Open (Page 68-72)