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C. Immunothérapie anti-cancéreuse

4. Mécanismes d’action des anticorps monoclonaux utilisés en oncologie

Les Ac thérapeutiques exercent leur action sur les cellules cancéreuses par le biais de différents mécanismes. De par leur liaison à la cellule cancéreuse, via le Fab, ils peuvent avoir un effet agoniste ou antagoniste sur un récepteur, induire l’apoptose, ou encore, lorsqu’ils sont couplés, permettre de délivrer un agent toxique ou une radiation jusqu’à sa cible. D’autre part, par l’intermédiaire du fragment Fc, les AcM ciblant des Ag tumoraux de surface ont le potentiel d’induire la mort cellulaire médiée par le système immunitaire : ils permettent le recrutement d’effecteurs

cellulaires et des molécules de la cascade du complément. Par ailleurs, les AcM peuvent également jouer un rôle dans la régulation du système immunitaire et cibler les cellules du stroma tumoral. Bien entendu, l’action d’un AcM est dépendante de sa cible (cellule cancéreuse ou du stroma). Par ailleurs, un même AcM peut exercer sa fonction anti-tumorale grâce à différents mécanismes.

La suppression de voies de signalisation (e.g. le cetuximab et le trastuzumab)407, 408, la médiation de fonctions effectrices (e.g. le rituximab)409 et la modulation de la fonction des cellules T (cas plus particulier traité en C. 6.) (e.g. l’ipilimumab)410 semblent être les approches thérapeutiques les plus efficaces.

Tous les AcM actuellement sur le marché appartenant à la classe des IgG, nous nous intéresserons ici exclusivement aux fonctions effectrices des IgG.

4. 1. Pharmacocinétique, pharmacodynamique et biodistribution

Le temps de résidence d’un Ac thérapeutique dans le corps humain est déterminé par un ensemble de processus : l’absorpion, la distribution, le métabolisme et l’excrétion de l’Ac (pharmacocinétique ou ADME). Chez l’homme, les IgG endogènes présentent des caractéristiques pharmacocinétiques prévisibles et linéaires : des petits volumes de distribution (3 à 9 L), une clairance faible (8 à 12 mL/h), des temps de demi-vie élevés (environ 21 jours). A l’inverse, les caractéristiques pharmacocinétiques des IgG thérapeutiques sont complexes, non linéaires et, de plus, variables d’un patient à l’autre et d’un Ac à l’autre411. Aussi, malgré le nombre croissant d’AcM thérapeutiques, les caractéristiques pharmacocinétiques et pharmacodynamiques de ces biomédicaments ne sont pas totalement connues. Les variations pharmacocinétiques interindividuelles peuvent s’expliquer par des différences d’expression de la cible tumorale d’un individu à l’autre, mais également par la génération de réponses immunitaires dirigées contre les AcM (e.g. HAMA). Quant à la pharmacodynamique de l’AcM, elle peut varier en fonction de la génétique du receveur et de son état clinique412.

Comme dit précédemment, chez l’homme, le temps de demi-vie des IgG est d’environ 21 jours, à l’exception des IgG3 pour lesquelles il est de 7 jours environ. De façon générale, il a été montré que le temps de demi-vie des AcM thérapeutiques augmentait avec le degré d’humanisation de l’Ac. En effet, un Ac entièrement murin présente une demi-vie d’environ 1,5 jours, un Ac chimérique de 10 jours, et de 12 jusqu’à 20 jours pour les Ac humanisés et humains412. La demi-vie courte des IgG

thérapeutiques murines a été attribuée à leur absence de liaison au FcRn (pour

neonatal Fc receptor), entre autre responsable du prolongement de la demi-vie, ainsi

qu’à la génération de HAMA par le receveur.

Les AcM sont éliminés de l’organisme selon un processus multifactoriel complexe (catabolisme, liaison au FcRn, immunogénicité, protéolyse, glycosylation...)412.

Les AcM étant des molécules polaires de haut poids moléculaire, en comparaison à des petites molécules thérapeutiques, leur distribution dans les tissus est plus lente. De plus, dans de la tumeur, la distribution des AcM est gênée par les irrégularités de la vascularisation et la forte pression interstitielle413. Dans le cas d’une tumeur solide, la forte affinité d’un AcM pour un Ag tumoral peut s’avérer être un frein à la distribution de l’AcM. Ce phénomène est qualifié de « binding site barrier ». En effet, il a été montré, par des analyses de modélisation, qu’un AcM de haute affinité présentait une distribution tumorale hétérogène, la majorité des molécules restant bloquées à proximité de leur point d’extravasation dans la tumeur ; une affinité modérée permettrait une distribution optimale de l’AcM dans la tumeur414. Cette hypothèse a été entre autres soutenue par une étude montrant qu’à faible concentration la distribution de l’AcM se faisait dans les zones adjacentes aux vaisseaux et que des doses plus fortes étaient nécessaires à une distribution à l’ensemble de la tumeur415.

4. 2. Effets dépendants du fragment Fab

En se liant à des Ag, les AcM peuvent exercer leur action anti-tumorale indépendamment du système immunitaire du patient chez lequel ils sont administrés. En effet, les AcM sont capables d’antagoniser des voies de signalisation par divers mécanismes : par neutralisation d’un facteur de signalisation soluble (e.g. VEGF) ; en se liant et en bloquant la signalisation en aval de récepteurs membranaires ; par diminution du nombre de récepteurs à la surface (par « stripping » du récepteur ou par accélération de son internalisation et de sa dégradation)411.

Les membres de la famille de l’EGFR, parmi lesquels EGFR et HER2, de par leur surexpression fréquente dans les tumeurs solides, sont la cible de nombreux AcM, utilisés seuls ou en association à des agents chimiques.

Le cetuximab, une IgG1 chimérique, figure parmi ces AcM : il cible spécifiquement l’EGFR. Cet AcM empêche la liaison du ligand à son récepteur ainsi que sa dimérisation, indispensable à l’initiation de la transduction d’un signal385. Le

cetuximab exerce également un effet indirect : il permet le recrutement de cellules effectrices et l’activation de la cascade du complément411 (voir ADCC et CDC). Le panitumumab, une IgG2 humanisée, agit sur la même cible et selon les mêmes mécanismes que le cetuximab. Ces deux AcM sont utilisés dans le traitement du cancer colorectal métastatique. Le cetuximab a montré de bons résultats en combinaison avec une chimiothérapie385.

Les AcM dirigés contre HER2 exercent principalement leur action en inhibant l’homo- et l’hétérodimérisation du récepteur. HER2 est surexprimé dans environ 30% des cancers du sein invasifs385. Le trastuzumab, un AcM humanisé de la classe des IgG1, est employé dans ce type de cancer. Cet AcM agit de façon directe, par inhibition de la dimérisation du récepteur, en induisant son internalisation et sa dégradation, mais aussi de façon indirecte, par activation du système immunitaire408. Utilisé en monothérapie chez des patientes atteintes d’un cancer du sein métastatique surexprimant HER2 et n’ayant pas reçu de chimiothérapie préalable, il présente un taux de réponse de 35%416. Des essais cliniques de phase III ont montré que l’addition du trastuzumab à une chimiothérapie entrainait une amélioration de la survie globale et sans progression de la maladie417. Le pertuzumab, une IgG1 humanisée, est également dirigé contre HER2 sur lequel il exerce une gêne stérique, empêchant sa dimérisation411. En raison de leurs sites de liaisons différents, le pertuzumab et le trastuzumab ont été testés en thérapie combinatoire sur des xénogreffes de tumeurs surexprimant HER2 : in vivo, l’addition de ces deux AcM entraine un effet synergique anti-tumoral418. De plus, chez des patientes atteintes de cancer du sein métastatique, l’addition du pertuzumab au trastuzumab et au docetaxel entraine une augmentation de plus de 6 mois de la survie sans progression, ce qui représente un bénéfice important en comparaison à un traitement standard419.

La co-expression de l’EGFR et de HER2 a été observée dans des carcinomes agressifs420.Une étude par time-resolved fluorescence resonance energy transfer a permis de mettre en évidence que l’administration conjointe du cetuximab et du trastuzumab entrainait une réduction de 72% des hétérodimères EGFR/HER2, se traduisant in vivo par un meilleur effet thérapeutique, en comparaison aux AcM seuls421.

4. 3. Effets dépendants du fragment Fc a. Les récepteurs du fragment Fc

Les récepteurs du fragment Fc (FcγR) peuvent transduire des signaux activateurs par l’intermédiaire de la phosphorylation de motifs ITAM (pour Immunoreceptor

Tyrosine-based Activation Motifs) cytoplasmiques, ce qui aboutit à l’activation de

fonctions cellulaires telles que l’ADCC et l’ADPh, décrites plus loin. Au contraire, la liaison du fragment Fc des AcM aux FcγR peut être à l’origine de signaux inhibiteurs des fonctions effectrices, via la phosphorylation de motifs ITIM (pour

Immunoreceptor Tyrosine-based Inhibitory Motifs) cytoplasmiques. Ainsi, certains

FcγR ont des actions stimulatrices, comme les FcγRI et FcγRIIIA (respectivement connus sous les noms de CD64 et CD61), tandis que d’autres transduisent des signaux inhibiteurs, comme le FcγRIIB (également connu sous le nom de CD32)422.

FcγRI est un récepteur à haute affinité qui est exprimé par les macrophages, les cellules dendritiques (DC), les neutrophiles et les éosinophiles. FcγRIIIA est lui exprimé par les cellules NK (pour natural killer), les DC, les macrophages et les mastocytes. Il est notamment requis à l’action des cellules NK dépendante des Ac (ADCC). FcγRIIIB (également appelé CD16B) est pour sa part uniquement exprimé à la surface des neutrophiles.

La liaison des IgG aux cellules tumorales permet leur reconnaissance par les cellules effectrices exprimant les récepteurs Fcγ (e.g. NK, neutrophiles, phagocytes mononucléaires et DC), ce qui promeut la destruction de la cellule tumorale par différents mécanismes. Il existe des variations d’affinité entre les différentes sous- classes d’IgG pour les FcγR, reflétées par leur capacité à recruter les cellules immunitaires effectrices. Les IgG1 et IgG3 humaines sont considérées comme les isotypes les plus actifs. Chez la souris ce sont les IgG2a et IgG2b423.

Suite à la lyse et/ou la phagocytose de la cellule tumorale, des peptides tumoraux peuvent être chargés sur des CMH (pour complexe majeur d’histocompatibilité) de classe II et présentés à la surface de cellules présentatrices de l’Ag (CPA), ce qui conduit à l’activation des cellules T CD4+. De plus, par un processus dit de présentation croisée, ces peptides peuvent être chargés à la surface de CMH de classe I, entrainant alors l’activation de cellules T CD8+385. On comprend donc que la rupture de la tolérance aux Ag tumoraux est un enjeu important de l’immunothérapie.

b. Antibody-dependent phagocytosis/ phagocytose dépendante de l’Ac (ADPh)

Les fonctions principales des macrophages sont de phagocyter et de digérer des débris cellulaires et des pathogènes. Bien qu’elles puissent être remplies de manière non spécifique, ces fonctions sont facilitées par l’opsonisation par les Ac, les macrophages exprimant des FcR à leur surface (Figure 21).

L’augmentation in vitro de l’ADPh médiée par des cellules effectrices humaines a été décrite pour différents Ag tumoraux, parmi lesquels le CEA (pour

Carcinoembrionic Antigen), HER2, Ep-CAM (pour epithelial cell adhesion molecule), le

CD20, le CD30 et le CD40424.

Des travaux visant à étudier l’efficacité d’un AcM spécifique d’une tumeur, reposant sur un modèle de métastases hépatiques chez le rat, ont permis de mettre en évidence que l’ADPh exercée par les macrophages du foie contribuait à l’élimination des cellules cancéreuses circulantes425. A des doses plus élevées d’AcM, un recrutement des monocytes a également été observé, soulignant le fait que l’efficacité thérapeutique de l’AcM s’exercerait par différents mécanismes d’action. Par ailleurs, la déplétion des macrophages s’était traduite dans ce modèle par une incapacité de l’AcM à prévenir la métastase, montrant l’importance de l’ADPh dans l’action anticancéreuse de l’AcM testé424.

Les IgG pouvant lier par leur fragment Fc des récepteurs inhibiteurs présents à la surface des macrophages, des Ac bispécifiques (bispécific Antibody, bsAb) ont été produits pouvant d’une part lier un Ag tumoral et d’autre part cibler des FcR spécifiques, dans le but d’améliorer l’ADPh. C’est le cas d’un bsAb reconnaissant FcγRI présent à la membrane des macrophages et se liant par son deuxième paratope à HER2, surexprimé par des cellules de cancer du sein426 : cet Ac induit efficacement la phagocytose des cellules cancéreuses surexprimant HER2.

Comme expliqué dans le paragraphe C. 4. 3. a., l’ADPh par des CPA (e.g. DC) peut conduire à la présentation d’Ag tumoraux et ainsi engager la réponse des cellules T, éventuellement par des phénomènes de présentation croisée de l’Ag. Il semblerait que la présentation par le CMH II puisse être favorisée par une diminution de la liaison aux FcR inhibiteurs423, ce qui laisse penser que des Ac sélectifs d’un FcR donné puissent orienter la réponse immunitaire.

Figure 21. Mécanismes effecteurs des anticorps monoclonaux. (A) Les effets

directs des anticorps monoclonaux (AcM) peuvent par exemple consister à bloquer la liaison d’un facteur de croissance ou induire l’apoptose. (B) Les AcM peuvent induire la CDC par liaison de C1q à leur domaine Fc, ce qui initie la cascade classique du complément. (C) Les AcM sont capables d’induire l’ADCC et l’ADPh, en recrutant différentes cellules effectrices. Le mécanisme d’action des neutrophiles est à ce jour mal élucidé. FcR : récepteur Fc. Proposé par Braster et al., 2014424.

c. Antibody-dependent cell-mediated cytotoxicity/cytotoxicité à médiation cellulaire dépendante de l’Ac (ADCC)

L’ADCC met en jeu le recrutement de cellules effectrices du système immunitaire (Figure 21), telles que les cellules NK et les macrophages, via leurs récepteurs du fragment Fc des AcM. Les cellules cancéreuses ciblées par les AcM sont alors tuées par différents moyens, comme la libération de granzymes et de perforines423.

Des travaux préliminaires menés par Z. Steplewski ont permis de mettre en évidence qu’en présence d’IgG2a de souris dirigées contre des cellules tumorales, la capacité des macrophages, isolés de patients porteurs de tumeurs, à tuer des cellules

cancéreuses était augmentée in vitro427. Ceci a permis d’envisager l’utilisation d’AcM murins en immunothérapie anti-cancéreuse.

De nombreux travaux in vitro et in vivo ont permis de mettre en évidence le rôle crucial de l’ADCC dans l’action anti-tumorale de certains AcM. En effet, des études in

vivo ont établi l’importance de l’interaction entre le domaine Fc des IgG et leur

récepteur, FcγR : chez des souris déficientes en FcγR, les activités anti-tumorales du trastuzumab et du rituximab sont réduites en comparaison à celles observées chez des souri WT428. D’autre part, G. Cartron et ses collaborateurs ont étudié l’effet du polymorphisme du gène codant pour FcγRIII sur l’action du rituximab, chez des patients atteints de lymphomes. L’administration de l’AcM aux malades présentant des variants de base affinité de FcγRIII a été moins bénéfique que pour ceux porteurs d’un récepteur de haute affinité, suggérant que l’action anti-cancéreuse du rituximab est pour une part importante due à l’interaction Fc-FcγR et donc à l’ADCC429. De plus, des expériences in vitro ont permis de mettre en évidence que les malades, dont la rémission du cancer du sein HER2-positif avait été totale ou partielle en réponse au trastuzumab, avaient une meilleure capacité à induire l’ADCC avec l’AcM que les patients ne répondant pas à cette thérapie430.

Il a été montré que l’ADCC était étroitement liée à la composition en glycanes de l’IgG : une augmentation de l’activité ADCC a été observée après la réduction en fucose de l’Ac431.

d. Complement-dependent cytotoxicity/cytotoxicité dépendante du complément (CDC)

La CDC entraine la mort des cellules cancéreuses reconnues par les AcM via l’activation de la voie classique du complément (Figure 21). La capacité des Ig à tuer les cellules en recrutant le complément est une fonction effectrice des Ac connue de longue date. Brièvement, après la fixation d’un Ac à sa cible à la surface d’une cellule, le domaine Fc de l’Ac peut lier C1q (première molécule de la cascade du complément, appartenant au complexe C1)411. Il s’en suit une activation de la voie du complément qui aboutit à la mort par lyse de la cellule ciblée. La fixation du complément à la surface d’une cellule nécessiterait une densité élevée d’Ac ; il a été estimé que la séparation entre les domaines Fc des Ac ne devait pas exéder 40 nm pour permettre le recrutement de C1q411. Des motifs de glycosylation complexes de l’Ac jouent un rôle important dans le recrutement des molécules du complément387.

Très tôt, des études ont pu démontrer in vitro l’implication du CDC comme mécanisme d’action des AcM432. La plupart des AcM sur le marché qui exercent une action via l’ADCC sont également capables de recruter le complément. Au contraire, l’anti-CD52 alemtuzumab active le complément, mais son action anti-tumorale dans le cadre de la leucémie lymphoïde chronique n’est pas médiée par l’ADCC385.

L’action thérapeutique de divers AcM utilisés en clinique semble mettre en jeu le complément. C’est le cas du rituximab, qui cible le CD-20, dont il a été montré que l’efficacité in vivo était en partie due à l’activation du complément. En effet, chez des souris déficientes en C1q la protection anti-tumorale du rituximab a totalement été abolie433. De plus, dans un modèle de xénogreffe de lymphome humain à cellules B, la déplétion en complément a entrainé une diminution de l’activité thérapeutique de cet AcM434. Un polymorphisme dans le gène C1qA affecterait la réponse des patients au rituximab, montrant que l’AcM exercerait au moins une partie de son action via le complément435.

Dans certains types de tumeurs il a été mis en évidence une résistance à la CDC médiée par la surexpression membranaire de protéines de régulation du complément436.

Si de nombreuses études mettent en évidence la contribution de l’ADCC et du CDC à la lyse cellulaire dépendante de l’AcM, il est cependant difficile de quantifier la contribution de chacune de ces fonctions effectrices. Par exemple, dans un modèle murin de lymphome, la déplétion en complément induit une augmentation de l’activation des cellules NK et de l’ADCC, améliorant l’efficacité de l’AcM437.