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A. Le système endothéline

3. L’axe endothéline, cible de la thérapie anticancéreuse

De nombreuses études ont permis de mettre en évidence l’importance de la signalisation de l’axe endothéline dans les différentes étapes du développement du cancer, de l’initiation à la colonisation métastatique. De surcroit, l’ET semble directement liée à la résistance de la tumeur à certains agents thérapeutiques. Aussi les récepteurs des ET se sont-ils naturellement imposés comme de nouvelles cibles thérapeutiques dans le cancer.

3. 1. Impact des modulateurs pharmacologiques de l’axe endothéline sur la progression tumorale

De par son implication dans la progression tumorale, l’axe endothéline constitue une possible cible pour la thérapie anti-cancéreuse. Diverses molécules, souvent mises au point dans le but d’une utilisation dans le cadre des maladies cardiovasculaires, sont disponibles pour la recherche sur le cancer. L’axe endothéline peut être ciblé de diverses façons : par des inhibiteurs des enzymes de conversion, requises pour la génération du peptide actif, ou par des antagonistes, sélectifs ou non, des récepteurs. Dans un premier temps, les modulateurs de nature peptidique, comme le BQ123 et le BQ788, ont été utilisés en recherche fondamentale et pré- clinique. Puis, comme nous l’avons vu précédemment, des modulateurs chimiques non-peptidiques, les « -sentan », utilisés en premier lieu dans les maladies cardio- vasculaires, ont également été testés dans différents cancers humains. Les effets de tous ces antagonistes des récepteurs des ET ont fait l’objet de nombreuses études.

Les BQ123 et BQ788 (Banyu Pharmaceutical Co ; Merck), antagonistes respectifs d’ETAR et ETBR, ont été et sont encore beaucoup utilisés en recherche fondamentale dans le domaine de la cancérologie. Nous avons vu tout au long de cette seconde partie introductive qu’ils ont grandement participé à la mise en évidence des propriétés pro-tumorigènes des récepteurs ETAR et ETBR. Le BQ123 a montré son efficacité sur la croissance, la prolifération, la survie, la migration et l’invasion tumorale338. Les études pré-cliniques menées sur le BQ788 ont quant à elles mis en évidence l’implication pro-tumorigène d’ETBR dans le cas du mélanome et du

gliome71, 72, 273. En effet, le BQ788 aurait une action inhibitrice sur la croissance de lignées de mélanomes humains ainsi qu’un effet pro-apoptotique71, 72. Le BQ788 a aussi permis de mettre en évidence l’implication d’ETBR dans le contrôle de la vasodilatation des vaisseaux alimentant la tumeur. L’activation d’ETBR pourrait donc permettre d’augmenter l’accès d’agents thérapeutiques au sein de la tumeur339. En raison de leurs coût et difficulté d’administration, nécessairement par voie parentérale, les BQ123 et BQ788 n’ont pas été privilégiés pour être utilisés par la suite, en essais cliniques.

L’antagoniste le plus utilisé est l’atrasentan, ou ABT-627 (Abbott Laboratories). Cette petite molécule antagoniste d’ETAR inhibe la prolifération cellulaire et augmente l’apoptose des cellules de lignées issues de différents cancers266, 340, 341. Dans des lignées de cancer ovarien, l’atrasentan inhibe l’expression du VEGF341. Il réduit également le caractère invasif de lignées de cancer du sein342.

Le deuxième inhibiteur oral de l’axe endothéline le plus utilisé en recherche oncologique est le zibotentan ou ZD4054 (Astra Zeneca)338. Les expériences de compétition de liaison in vitro suggèrent que le zibotentan serait un inhibiteur d’ETAR moins puisant que les autres inhibiteurs sélectifs développés, ce qui ne préjuge pas pour autant de son activité in vivo. En revanche, il a pour avantage sa grande sélectivité pour ETAR. Si cet antagoniste spécifique n’a pas montré d’effet anti- prolifératif sur les lignées cellulaires de cancer du sein343, celui-ci a été mis en évidence sur des lignées cellulaires de carcinome ovarien288. De plus, sur ces mêmes lignées ovariennes, il a inhibé l’invasion, annulé le phénotype mésenchymateux acquis lors de l’EMT, diminué l’angiogenèse et la transactivation de l’EGFR288, 297, 344.

Le bosentan (Actelion Pharmaceuticals Ltd) est lui un antagoniste qui inhibe l’action des ET en ciblant de façon non sélective les deux récepteurs ETAR et ETBR237. Cet inhibiteur inhibe la prolifération, diminue la viabilité cellulaire et la synthèse d’ADN et induit l’apoptose dans des lignées cellulaires de mélanome345.

En plus le leurs effets in vitro, ces antagonistes des récepteurs des ET ont prouvé leur efficacité dans des modèles pré-cliniques in vivo.

Le BQ123 a par exemple montré l’implication de l’axe ET-1/ETAR dans la métastase osseuse et hépatique grâce à des modèles animaux69, 70. Les résultats obtenus in vitro avec le BQ788 ont été vérifiés in vivo : l’antagoniste inhibe la croissance de xénogreffes de mélanome chez la souris71, 72.

Dans des modèles animaux de xénogreffes de cancer ovarien, l’atrasentan et le zibotentan inhibent de façon significative la croissance tumorale et ce de façon aussi

efficace qu’un taxane utilisé couramment en chimiothérapie, le paclitaxel288, 341. L’atrasentan bloque également la croissance des cellules de carcinome nasopharyngé xénogreffées, ce qui correspond à une diminution de l’ordre de 60% du volume de la tumeur266. Cet effet réducteur du volume tumoral a également été montré avec le zibotentan dans le cas du cancer du sein343. Des études ont également mis en évidence que l’atrasentan diminuait la métastase osseuse du cancer du sein chez la souris346. Dans différents cancers, le zibotentan a montré un effet anti- angiogénique338.

Certains modèles pré-cliniques proposent l’utilisation combinatoire de ces antagonistes avec d’autres molécules couramment utilisées en chimiothérapie. Par exemple, l’administration conjointe du zibotentan et du paclitaxel (un taxane) ou du géfitinib (inhibiteur de l’EGFR) induit un effet anti-tumoral additif des molécules, à la fois sur la croissance de la tumeur et la métastase, dans un modèle de carcinome ovarien288, 344, 347. La combinaison l’atrasentan/docétaxel (un taxane) provoque quant à elle une diminution de 90% du volume de la tumeur xénogreffée prostatique chez la souris285.

D’autres antagonistes ont été utilisés in vivo, comme le A-182086, ciblant les deux récepteurs, qui a montré un effet anti-prolifératif total sur un modèle animal de sarcome de Kaposi348. Le YM-598 (Astellas Pharma), antagoniste spécifique d’ETAR développé à partir du bosentan, induit la réduction de la croissance tumorale et de la métastase hépatique dans un modèle in vivo de cancer gastrique349. Il a également fait ses preuves en tant que réducteur de la nociception induite par ET-1332.

3. 2. Essais cliniques autour de l’axe endothéline dans le cancer

En dépit des résultats pré-cliniques in vitro et in vivo particulièrement prometteurs des antagonistes de la classe des « -sentan » et des efforts investis dans la mise en place d’essais cliniques à l’échelle mondiale, les résultats obtenus jusqu’à maintenant ont cependant été décevants (Figure 16).

En majorité, ces essais cliniques ont été menés chez des patients atteints de cancer de la prostate. Les plus récentes études en date sont celles du programme de phase III ENTHUSE (pour EndoTHelin A USE). Ce programme avait pour objectif l’évaluation de l’efficacité et de la sureté du zibotentan, combiné ou non au docetaxel, versus un placebo ou le docetaxel, chez des patients atteints de cancer de la prostate résistant à la castration, métastatique ou non350-353. Quelle que soit l’étude

considérée, la conclusion fut sans appel puisque dans chacune d’entre elles l’administration journalière de 10 mg de zibotentan n’a pas permis une augmentation significative de la survie des patients, entrainant l’abandon des études reposant sur le zibotentan comme potentiel traitement du cancer de la prostate.

L’atrasentan qui avait donné des résultats encourageants dans le cancer de la prostate en phase I/II a lui aussi échoué en phase III d’essai clinique354-356.

Une étude clinique de phase II a également été menée dans laquelle le bosentan a été utilisé comme traitement du mélanome métastatique (stade IV). Le résultat fut tout aussi décevant : la maladie fut stabilisée chez seulement 6 patients sur 32357. Une seconde étude a eu pour objet l’évaluation de l’efficacité du bosentan combiné à une chimiothérapie (dacarbazine). Ici, l’administration de l’antagoniste fut sans effet sur la progression tumorale358.

Par ailleurs, l’utilisation de ces antagonistes non-peptidiques est à l’origine de divers effets secondaires parmi lesquels une toxicité hépatique357, observée notamment avec le bosentan et concernant jusqu’à plus de 20% des patients, de l’œdème périphérique dans le cas des antagonistes d’ETAR359 et un risque cardiaque augmenté350, 355, des maux de tête, des nausées, des diarrhées mais aussi de l’alopécie.

L’ensemble des résultats des essais cliniques menés sur l’atrasentan, le bosentan et le zibotentan ne plaide pas en faveur de ces antagonistes, bien que l’axe endothéline ait été identifié comme un acteur crucial de la progression tumorale. La porte reste donc ouverte à d’autre types de thérapies anti-cancéreuses ayant pour cible les récepteurs des ET et offrant des résultats cliniques satisfaisants ; pourquoi pas les anticorps monoclonaux ?

Figure 16. Antagonistes des récepteurs des ET utilisés en phases cliniques II et III en thérapie anticancéreuse. CRPC :

castration-resistant prostate cancer ; HRCPC : hormone-refractory prostate cancer ; m : metastatic ; MM : metastatic melanoma ; NSCLC : non-small cell lung cancer ; PC : prostate cancer ; TTP : time to progression ; * : sensitive to platinum ; # : platinum-resistant.