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C. Immunothérapie anti-cancéreuse

2. Généralités sur les anticorps

2. 1. Les anticorps en quelques dates

C’est en 1890, à Berlin, qu’Emil Von Behring et Shibasaburo Kitasato ont découvert l’existence dans le sang d’un agent capable de neutraliser les toxines diphtériques (antitoxines). Rapidement a émergée la notion d’Ac ou « Antikörper », en référence à la capacité de cet agent à discriminer deux substances immunes. Puis, c’est la substance induisant l’Ac qui a elle-même été nommée antigène, pour la contraction de « Antisomatogen » et « Immunkörperbildner ». Ses travaux sur la thérapie sérique (voir C. 3. 1.) ont valu à Emil Von Behring d’être le premier prix Nobel de physiologie ou médecine en 1901. En 1908, ce sont Paul Ehrlich et Ilya Mechnikov qui furent récompensés pour leurs travaux sur l’immunité. Entre les

années 30 et 40, la description des Ac et la compréhension de leur mécanisme de production se sont encore affinés : John Marrack formula l’hypothèse de fixation d’un Ac à un antigène ; Arne Tiselius et Elvin A. Kabat parvinrent à isoler, par électrophorèse, une fraction de globuline-g contenue dans le sérum immunisé contre un antigène, qui, étant déplétée par une incubation avec l’antigène, fut nommée immunoglobuline ; il fut mis en évidence que les Ac étaient produits par les lymphocytes B. Plus tard, en 1972, un prix Nobel vint couronner les travaux de Gerald Edelman et Rodney Porter sur la structure chimique des Ac. Enfin, Niels Jerne, Georges Köhler et César Milstein furent récompensés par un prix Nobel en 1984 pour leurs travaux sur les AcM, sur lesquels nous reviendrons dans cette introduction. 2. 2. Structure des anticorps

Les immunoglobulines (Ig) sont les molécules des lymphocytes B (LB) dotées de la reconnaissance antigénique. Si chaque LB n’est capable de produire qu’une seule spécificité d’Ig, le répertoire des Ig est particulièrement vaste. Ceci est en partie dû à des phénomènes de réarrangement des gènes des immunoglobulines, qui ne seront pas abordés ici386. Les Ig fixées à la membrane des LB constituent les récepteurs de cellules B (B-cell receptor, BCR). Les plasmocytes, cellules B arrivées au terme de leur différenciation, sécrètent des Ig solubles de même spécificité antigénique, sous forme d’Ac, et ce en grande quantité. Cette sécrétion est la principale fonction effectrice des cellules B.

L’Ac, que l’on peut schématiquement représenter par un Y, se compose de trois parties égales, globulaires, reliées entre elles par des segments flexibles. Il existe une dualité fonctionnelle de l’Ac, identifiable structuralement. La première propriété de l’Ac est la fixation spécifique à un antigène (Ag). La région de l’Ac mise en jeu dans la reconnaissance de l’Ag est très différente d’un Ac à l’autre ; on parle de région variable, ou région V, correspondant aux extrémités des deux bras de l’Y. Théoriquement, chez un individu, la diversité du répertoire des Ac est assez étendue pour permettre la reconnaissance spécifique de n’importe quelle structure. La seconde propriété de l’Ac consiste au recrutement d’autres molécules et de cellules du système immunitaire. La région de l’Ac impliquée dans ces mécanismes effecteurs ne varie pas dans les mêmes proportions ; il s’agit de la région constante, ou région C, qui correspond à la tige de l’Y. La propriété de médiation de ces fonctions effectrices

est inexistante dans le cas des BCR, puisque la région C se trouve insérée dans la membrane du LB.

Figure 17. Structure schématique d’une immunoglobuline G. Elle se compose de

deux chaines lourdes (bleu) et de deux chaines légères (rose) reliées entre elles par des ponts disulfures (vert). Une digestion partielle de l’immunoglobuline peut être réalisée par des protéases (papaïne et pepsine).

Tous les Ac sont constitués de paires de chaînes polypeptidiques lourdes et légères. Ces protéines sont regroupées sous l’appellation générique d’immunoglobuline (Ig). La structure générale des Ig sera décrite ici à partir de la classe des IgG (voir C. 2. 3.), qui sont les Ig les plus abondantes dans le plasma (Figures 18 et 19). Les IgG sont des molécules d’environ 150 kDa. Elles se composent chacune de deux chaînes lourdes (H) et de deux chaînes légères (L), respectivement de 50 et 25 kDa environ. Les deux chaînes lourdes sont reliées entre elles par des ponts disulfures et chacune d’entre elles est reliée par un pont disulfure à une chaîne légère. Les deux chaînes lourdes et les deux chaînes légères d’un Ac donné sont identiques, ainsi cet Ac possède deux sites de liaison capables de lier deux structures identiques (Figure 17).

Chacune des quatre chaînes formant l’Ac est constituée d’une succession de domaines, des séquences d’environ 110 a.a., repliées en feuillets β. Ces domaines d’Ig sont au nombre de deux pour les chaînes légères et de quatre pour les chaînes lourdes. Le premier domaine, en N-terminal des chaînes, présente une forte variation entre Ac : ce sont les domaines V. Au contraire, pour une classe d’Ac donnée, les autres domaines sont constants : il s’agit des domaines C. La région V de l’Ac, qui

confère à la molécule sa capacité de liaison à l’Ag (voir C. 2. 4.), résulte de l’association des domaines variables des chaînes légères (VL) aux domaines variables des chaînes lourdes (VH). La région C de l’Ac est elle constituée des domaines constants des chaînes légères et lourdes, nommés respectivement CL et CH. Les domaines constants des chaînes lourdes sont numérotés de l’extrémité N-terminale vers l’extrémité C- terminale CH1 à CH3 (Figure 17).

L’étude de la structure des Ac a été facilitée par l’utilisation d’enzymes protéolytiques (Figure 17). Comme indiqué plus haut, l’Ac peut être schématisé par un Y : il est formé de trois parties globulaires de tailles égales, reliées entre elles par une portion polypeptidique flexible appelée région charnière. La digestion partielle de l’Ac par la papaïne permet l’obtention de trois fragments, suite au clivage de la région charnière, du côté N-terminal des ponts disulfure reliant les deux chaînes lourdes. Deux de ces fragments d’Ac ont la capacité de lier l’Ag ; cette propriété leur vaut le nom de fragments Fab, pour Fragment antigen binding. Le troisième fragment, ne liant pas l’Ag, a été aisément cristallisé, d’où son nom de fragment Fc, pour Fragment cristallisable.

Un des sites de clivage de la pepsine se situe quant à lui du côté C-terminal des ponts disulfures de la région charnière. Ainsi, cette enzyme génère un fragment dimérique, F(ab’)2, capable de lier les Ag. Le fragment Fc est lui clivé en plusieurs peptides.

2. 3. Les différentes classes d’anticorps

L’immunisation inter-spécifique par les Ac permet l’identification de déterminants antigéniques communs et individuels des Ig387. Ainsi, les Ac peuvent être classés selon différents déterminants antigéniques.

- les isotypes : ces déterminants communs sont spécifiques de la région constante des l’Ac. Ils caractérisent les classes et sous-classes des chaînes lourdes et des chaînes légères (voir C. 2. 4.). Ainsi, au sein des Ig se distinguent cinq classes, déterminées par la structure de leur chaîne lourde : les immunoglobulines M (IgM), les immunoglobulines D (IgD), les immunoglobulines G (IgG), les immunoglobulines A (IgA) et les immunoglobulines E (IgE), possédant respectivement les chaînes lourdes μ, δ, γ, α et ε. Chez l’homme, les IgG, qui sont les plus représentées, se divisent en quatre sous-classes, IgG1, 2, 3 et 4, numérotées de la plus abondante à la moins représentée dans le plasma. La IgA, quant à elles, se subdivisent en IgA1 et IgA2. Les

IgM sécrétées sont des pentamères et les IgA existent sous forme de monomère et de dimère (Figures 18 et 19). Chacune des classes d’Ac présente une spécialisation pour certaines fonctions effectrices, imputable aux différences présentes dans la partie C- terminale de la chaîne lourde (ponts disulfure, sites de glycosylation, nombre de domaines C), le fragment Fc.

Figure 18. Structure des différentes classes d’anticorps. Les IgM et IgA peuvent

former des polymères. Cette polymérisation met en jeu la région constante des immunoglobulines (Ig) et fait intervenir une chaine J (16 kDa) (orange). Les IgM plasmatiques forment des pentamères et occasionnellement des hexamères (sans chaine J). La polymérisation des IgA est nécessaire à leur transport au travers des épithéliums ; les dimères sont ainsi prédominants dans les sécrétions muqueuses, tandis que la forme monomérique est plus représentée dans le plasma. En plus d’une chaine J, les dimères d’IgA présentent une composante sécrétoire (70 kDa) (jaune). Les sites de N-glycosylation (rouge) et d’oligomannose (vert) sont représentés. D’après Arnold et al., 2007388.

Deux types de chaînes légères sont identifiés, nommées lambda (λ) et kappa (κ), dont le rapport varie en fonction de l’espèce considérée. Il ne semble pas exister de différence fonctionnelle entre les chaînes λ et κ.

- les allotypes : ces déterminants communs d’un ensemble d’individus dans une espèce donnée correspondent au polymorphisme allélique des gènes codant les Ac.

- les idiotypes : ces déterminants individuels sont présents dans les régions variables des Ig et permettent un regroupement des Ac par spécificités antigéniques.

Figure 19. Caractéristiques structurales et fonctionnelles des différentes classes d’immunoglobulines. D’après http://www.imgt.org.

2. 4. Interaction de l’anticorps avec son antigène

La région variable, formée des chaînes légères et lourdes repliées et appariées, constitue le site de liaison à l’Ag. Si cette région V diffère d’un Ac à l’autre, la variabilité n’est pas homogène au long de la séquence protéique. En effet, trois segments des domaines VL et VH présentent une grande variabilité : il s’agit des régions hypervariables, nommées HV1, HV2 et HV3. Les régions HV sont insérées dans quatre régions formant un cadre, dont la variabilité est moindre : FR1, FR2, FR3 et FR4 (pour Framework Regions). Ces dernières forment les feuillets β, assurant ainsi la conformation du domaine variable. Les régions HV, présentes au niveau des

boucles, sont quant à elles rassemblées à l’extérieur du tonneau β, à la surface de l’Ig. C’est la juxtaposition des domaines VL et VH et des 6 régions HV qui entraine la formation d’un site hypervariable à l’extrémité d’un bras de l’Ac, constituant ainsi le site de liaison à l’Ag. La structure complémentaire de l’Ac, déterminant la spécificité antigénique, est donc dues aux six régions HV, d’où leur nom de régions déterminant la complémentarité, CDR1, CDR2 et CDR3 (pour Complementary-Determining Regions) (Figure 17). La vision selon laquelle la spécificité de l’Ac pour son Ag n’impliquerait que la région variable de l’Ig est cependant remise en cause par des études montrant que les domaines CH sont également impliqués dans l’affinité et la spécificité de la liaison389.

L’association aléatoire des chaînes légères et lourdes, nommée diversité combinatoire, est un des mécanismes à l’origine de la diversité des Ac.

La surface qui est formée par les CDR constitue le site de fixation de l’Ag et est appelée paratope. D’un Ac à l’autre, les différences entre les séquences des CDR se traduit par une « topographie » différente de la surface de l’Ig et la fixation d’un ligand donné par complémentarité de surface.

L’épitope est la partie de l’Ag qui est reconnue par l’Ac. Dans le cas d’un Ag de nature protéique, lorsqu’un Ac est généré contre une structure se composant d’a.a. appartenant à des segments non contigus de la séquence primaire de l’Ag, mais proches dans la conformation tridimensionnelle native de la protéine, l’épitope reconnu est dit conformationnel ou discontinu. Au contraire, quand l’épitope consiste en une seule séquence polypeptidique, il est dit linéaire ou continu. Il faut cependant préciser que dans le cas où des Ac sont produits contre une protéine intacte, il est possible que certains d’entre eux ne reconnaissent pas un épitope conformationnel mais linéaire. Inversement, il est envisageable qu’un Ac produit contre un peptide soit capable de reconnaître une protéine dans sa conformation native.

Le fait que l’Ac soit capable de reconnaître une ou plusieurs parties de l’Ag (en fonction de l’épitope linéaire ou conformationnel), et ce indépendamment du reste de la structure, permet une discrimination fine de l’Ag. Au contraire, un même Ac peut être capable de reconnaître des Ag différents qui présentent des épitopes similaires ; on parle alors de réactivité croisée.

La liaison Ac/Ag est non covalente, c’est à dire qu’elle est réversible. Elle met en jeu des forces de nature différentes : interactions électrostatiques ; liaisons hydrogène ; forces de Van der Waals ; forces hydrophobes. La contribution de ces forces est fonction de l’interaction Ac/Ag considérée. Finalement, il a été mis en

évidence que seuls quelques résidus intervenaient de façon prépondérante dans la spécificité et l’affinité de l’Ac pour son Ag.

Comme dit plus haut (C. 2. 3.), les IgM et les IgA sont capables de former des polymères. Cette propriété de polymérisation joue un rôle important lors de la liaison de l’Ac à des motifs épitopiques répétitifs. En effet, une Ig présente deux sites de liaison pour un même épitope, chacun de ces sites ayant une affinité donnée. Un Ac lié à des épitopes multiples et identiques d’une cible ne se détache de sa cible qu’à la rupture de toutes les liaisons engagées. Aussi, la multiplication des sites de liaison par la formation de dimère (dans le cas des IgA) ou de pentamère (pour les IgM) entraine-t-elle une vitesse de dissociation plus lente : la force de liaison est augmentée. Il s’agit de l’avidité.

De façon surprenante, il existe de rares espèces, comme les camélidés390, chez lesquelles la reconnaissance de l’Ag ne met en jeu que la chaîne lourde, les Ac étant totalement dépourvus de chaîne légère. Cette caractéristique structurale et fonctionnelle si particulière est à l’origine de nombreuses études391.