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I.6 Mécanique de l’endommagement et de la rupture

I.6.1 Mécanique de la rupture

La théorie de la mécanique de la rupture date de l’année 1921 quand Griffith (Griffith 1921) montre la possibilité de caractériser la rupture d’un milieu fragile à partir d’une seule variable globale, le taux de restitution d’énergie critique 𝐺𝑐 (Bui 1978)(Pommier et al. 2009).

Cette théorie porte sur l’étude de l’effet d’une fissure macroscopique « existant » sur l’état de contrainte et de déformation au voisinage de la pointe de fissure. Elle s’applique aux matériaux qui

46 se cassent d’une manière fragile sans aucune déformation plastique. Pour ces matériaux fragiles, Griffith a proposé un critère de propagation de fissure. Ce critère est appelé plus tard le critère de Griffith pour la rupture fragile. Ce critère postule que l’extension de la fissure peut avoir lieu si l’énergie libérée pour ouvrir une fissure d’une unité de surface 𝐴 est égale ou plus grande que le taux de restitution d’énergie critique :

𝐺 ≥ 𝐺𝑐 → 𝑝𝑟𝑜𝑝𝑎𝑔𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 (I-64)

où 𝐺 dérive de l’énergie potentielle totale 𝑃. Dans le cas des matériaux élastiques elle se réduit aux deux termes suivants (Cailletaud et al. 2012) :

𝐺 = −𝜕𝑃 𝜕𝐴= 1 2∫ 𝐹 𝑑.𝜕𝑢 𝜕𝐴 𝑆𝐹 𝑑𝑆 −1 2 𝜕𝐹 𝜕𝐴. 𝑢 𝑑 𝑆𝑢 𝑑𝑆 (I-65)

avec 𝑆𝐹 est la partie de la frontière 𝑆 où la force 𝐹𝑑 est imposée, et 𝑆𝑢 est la partie de la frontière où le déplacement 𝑢𝑑 est imposé.

Une amélioration importante de cette théorie date de l’année 1956 quand Irwin (1957) introduisirent la notion du facteur d’intensité des contraintes 𝐾 en s’appuyant sur les travaux de Westergaard (Westergaard 1939) et après une étude exhaustive sur le problème de singularité du champ de contrainte au niveau de la pointe de la fissure. Ils ont étendu également l’approche de Griffith vers le domaine des matériaux ductiles en ajoutant l’énergie due à la plastification dans le bilan énergétique. Suivant le mode de fissuration produit dans le matériau, c’est-à-dire suivant la direction de propagation de la fissure par rapport à la direction du chargement, Irwin a introduit un facteur d’intensité de contraintes qui permet d’approximer les champs de contraintes et de déformations tout autour de la pointe de fissure. Les modes de fissuration et les champs singuliers au voisinage de la pointe de fissure sont résumés dans le tableau suivant :

Mode I (ouverture)

Mode II

(glissement dans le plan)

Mode III (glissement anti-plan)

47 À partir de la loi de comportement élastique linéaire et des champs de contraintes près de la pointe de la fissure, il est possible de relier les facteurs d’intensités de contraintes et le taux de restitution d’énergie 𝐺 tel que :

𝐺 =𝐾𝐼 2+ 𝐾𝐼𝐼2 𝐸′ + 𝐾𝐼𝐼2 2𝜇 (I-66) où 𝜇 = 𝐸 2(1+𝜈) , 𝐸 est égal à 𝐸 et 𝐸

(1−𝜈2) pour un état de contraintes planes et de déformations planes, respectivement.

Pour les matériaux bitumineux, des études montrent que le taux de dissipation d’énergie critique 𝐺𝑐 n’est pas constant (Bažant and Planas 1998), il dépend de l’histoire et de la vitesse de chargement (Knauss 1970)(Yoon and Allen 1999). Par ailleurs, pendant les essais de fissuration sur les matériaux bitumineux, la pointe de la fissure et la singularité des contraintes ne sont pas souvent observées. Ainsi, la théorie de la mécanique de la rupture traditionnelle n’est donc pas suffisante pour comprendre le phénomène de fissuration dans ces matériaux. Ramsamooj est parmi les premiers auteurs à avoir parlé des limitations de cette théorie dans le domaine des matériaux viscoélastiques comme les EB (Ramsamooj 1994).

Afin de remédier à ce problème, les chercheurs ont choisi le modèle de zone cohésive (CZM)(Kim 2011)(Aragão et al. 2012), une approche capable de résoudre le problème de singularité des contraintes et simple à implémenter dans les codes de calcul par éléments finis ou par éléments discrets.

I.6.1.1 L’approche de zone cohésive CZM

Dans le domaine des matériaux bitumineux, l’approche CZM (Cohesive Zone Model) a été adoptée par les chercheurs à cause du succès de cette approche dans le domaine de la mécanique de la rupture. Ce modèle a été initialement appliqué dans le domaine des chaussées pour étudier la résistance à la fissuration et la propagation de fissure dans les couches d’une route (Jeng and Perng 1991)(Jeng, Liaw, and Liu 1993).

C’est une approche phénoménologique qui s’appuie à la fois sur le concept de la mécanique des milieux continus et sur la mécanique de la rupture. Elle a été développée initialement en 1960 par Dugdale (Dugdale 1960) – pour étudier la taille de la zone plastique et la répartition des contraintes en front de fissure – et par Barenblatt (Barenblatt 1962) qui a proposé une correction de la zone plastique. Ce dernier a vérifié que pour le béton, il est possible d’avoir une contrainte finie sur les lèvres de la fissure.

On trouve dans la littérature deux types de modèles cohésifs, les modèles intrinsèques (Needleman 1987, 1990) et les modèles extrinsèques (Hillerborg, Modéer, and Petersson 1976)(Petersson 1981). La différence entre ces deux modèles est liée à la réponse du modèle pendant la phase non fissurée. L’intérêt de l’approche CZM est qu’elle donne des informations sur le phénomène de fissuration dans la process zone FPZ. La FPZ est une zone de fissuration fictive où le phénomène de fissuration est traduit dans l’approche CZM par une diminution progressive de la contrainte et une augmentation de la séparation des surfaces suivant une tendance prédéfinie (Figure I-39). Cette tendance est donnée par la courbe traction-séparation « TS » du modèle cohésif.

Dans la littérature, on trouve parfois des lois cohésives qui sont décrites par des courbes de TS (Petersson 1981), d’autres sont données par des potentiels à partir desquels se déduit la relation

48 entre la contrainte et le saut de déplacement tout le long des lèvres de fissuration fictives (Xu and Needleman 1994). Pour les matériaux quasi-fragiles comme les matériaux bitumineux, la process zone est une zone d’adoucissement de taille comparable à la taille de la structure (Kim 2011). Cette zone est entourée par une petite zone plastique qui est souvent négligeable dans l'analyse (Figure I-40).

Figure I-39: Distribution des efforts et du saut du déplacement dans la zone cohésive (Dave et al. 2007).

Figure I-40: Zone de processus pour les matériaux quasi-fragiles (Kim 2011).

Parmi les lois les plus utilisées dans la littérature, la loi bilinéaire intrinsèque possède des avantages vis-à-vis d’autres lois. L’avantage de cette loi est qu’elle permet de remédier au problème de rigidité parasite lié aux lois intrinsèques. Des études numériques de convergences sur la structure permettent de bien choisir la pente de la phase ascendante de la loi cohésive de façon à minimiser l’effet des éléments cohésifs (Artificial Compliance).

Les essais de fissuration présentés ci-avant permettent de calculer les paramètres de fissuration du matériau (l’énergie de fissuration 𝐺𝑐 et la résistance du matériau 𝜎𝑐). Ces paramètres nous permettent de comprendre le comportement endommageable des matériaux pour un chargement et une température donnée.