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Voix narratives et distribution des rôles

IV.3 Autres personnages, rôles et paroles :

IV.3.2 La mère de Gil Blas :

C’est un personnage qui apparaît pour la première fois au début de l’histoire et à la déclaration de Gil Blas pour expliquer les raisons de son existence : «il épousa une petite bourgeoise et […] je vins au monde dix mois après leur mariage » (G.B, I, I : 27). Le héros parle de sa mère, qui était une femme de chambre, c’est le seul détail que propose l’auteur de ce personnage. Le narrateur évoque et se souvient de ce personnage à plusieurs reprises. Ce personnage va s’éclipser durant plusieurs années de l’aventure pour réapparaître une deuxième fois quand le héros retourne à sa ville natale, et cela, après la mort de son père : « votre mère, qui ne se porte pas trop bien, est obligée de servir de garde » (G.B, X, II : 216).

Cette mère apparaît comme une vieille femme triste, fatiguée de servir les autres, n’a pas vu son fils depuis son départ. Suite au décès du père, le héros avait peur de revoir sa mère. La scène des retrouvailles est décrite afin de provoquer les émotions du lecteur et cela à travers le lexique employé : «je parus devant ma mère, une émotion que je lui causai lui annonça ma présence, avant que ses yeux eussent démêlés mes traits, […] me dit-elle tristement » (ibidem). Cette dame assume, au sens propre, son rôle de mère. Elle cherche la grâce et le pardon pour protéger son fils malgré toutes les blessures et les fautes de son enfant qui l’a abandonnée et ne venait pas la voir pendant plus de vingt ans : «ma mère, voici Gil Blas, votre fils, qui vous prie de lui pardonner les chagrins qu’il vous a causés, et qui vous demande votre bénédiction » (ibidem). Ensuite, le héros présente le portrait psychique de sa mère qui était sage et patiente, surtout au moment où elle vient de perdre son amour éternel et son compagnon de vie : « ma mère était trop préparée à cette mort, pour s’en affliger sans modération » (ibidem).

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Constatons, dés le premier regard, la clémence d’une mère qui a retrouvé son fils et qui voulait le prendre dans ses bras, le héros s’incline devant son désir, il reste avec sa mère pendant toute la nuit pour se confier à elle : « j’eus […] avec ma mère un entretien qui dura toute la nuit. Nous nous rendîmes mutuellement un compte fidèle » (ibidem). Convaincu par la tolérance maternelle, le héros cherchait toujours son pardon et son soutien : « comme les pères et les mères cherchent […] à excuser leurs enfants, nous ne pûmes croire que vous eussiez un si mauvais cœur » (ibidem). Vers la fin du deuxième chapitre de même livre, la mère décida de rester dans sa ville jusqu’à la fin de ses jours et de ne pas partir avec son fils. En effet, Gil Blas rentre chez lui au château de Lirias où on lui annonce, un peu de temps après, la mort de sa mère. Ainsi, son rôle s’acheva et le héros ne l’évoque qu’occasionnellement.

Enfin, nous pouvons remarquer les propos de ce personnage qui sont rares, mais qui sont caractérisés par la sagesse, l’amour et le pardon. Et comme toutes les mères et malgré la longue absence de son fils, elle a assumé son rôle bien comme il faut.

IV.3.2.2 Le capitaine Rolando :

Son rôle commence dans le premier livre de l’aventure, et le héros va faire sa connaissance : « je m’appelle le capitaine Rolando. Je suis le chef de la compagnie » (G.B, I, IV : 41). Son rôle fut assez important dans cette partie de l’aventure et l’auteur fournit à son lecteur des informations sur le physique, le psychique et le comportement de ce personnage. Dans la bouche du personnage même ou celle du héros, ces informations se manifestent progressivement. Nous commençons, d’abord, par la désignation que le narrateur attribue à ce personnage, appelé parfois le seigneur Rolando, comme au début du cinquième chapitre du même livre, et parfois, le capitaine Rolando, le narrateur emploie les deux désignations pour marquer la même personne. Cela est justifié, puisque la désignation change en fonction du type de relation entre le héros et ce personnage. Le narrateur qui

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ne connaissait pas vraiment le personnage l’appelait tout le temps le seigneur Rolando, mais une fois que la relation se renforce, le héros l’appelle le capitaine Rolando. Ainsi, le lecteur peut constater que le héros s’est familiarisé avec ce voleur.

D’autres informations sont présentées par le personnage même sous forme de récit de souvenirs d’enfance. Ce récit est relaté face au héros pour que le lecteur puisse imaginer ce personnage :

« Je suis fils unique d’un riche bourgeois de Madrid […] ma mère entreprit de me nourrir de son propre lait […] je devins insensiblement l’idole […] de peur que l’étude ne me fatiguât, je n’apprenais ni à lire ni à écrire […] ma mère m’accablais de caresse […] quand je devenais maître de mes actions, nous commençâmes à voler » (ibid : 43).

La description et le récit de vie s’étalent sur toute une page pour parler de sa vie avant d’être voleur, pour ensuite réunir une troupe de fripons dans une grotte. La relation du héros avec ce personnage touche à sa fin après avoir quitter la grotte, et le héros ne le rencontra qu’après un bon moment pour la dernière fois. Leur rencontre fut à Madrid : « J’aperçus le capitaine Rolando. Ma surprise fut extrême […] ce fameux capitaine, la terreur de cette contée » (G.B, III, II : 178). A la fin de la rencontre, le héros décrit le physique du capitaine en disant que: «c’était un homme fort grand. Il avait le visage long, avec un nez de perroquet, et, quoiqu’il n’eût pas une mauvaise mine, il ne laissait pas d’avoir l’air d’un franc fripon » (ibid : 179). Nous pouvons, ainsi, imaginer cette personne comme une personne malhonnête que nous pouvons la soupçonner, et cela, à cause des propos du héros.

Gil Blas n’évoque plus ce personnage, ni se rappelle de lui puisqu’en réalité, le capitaine Rolando l’a menacé avant de le quitter en disant : « oublie que tu m’as rencontré aujourd’hui, et ne t’entretiens jamais de moi avec personne, car si j’apprends que tu me mêles dans tes discours, tu me connais, je ne t’en dis pas d’avantages » (ibidem). Il est à signaler que le nom de ce personnage est d’origine espagnole, comme d’ailleurs, la plupart des

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noms employés, et cela prouve l’influence du picaresque espagnol sur les écrits de Lesage. L’Espagne, derrière laquelle se cache la France, l’auteur est un homme marqué par l’ambivalence.

IV.3.2.3

Le docteur Sangrado :

C’est une personne symbolique qui fait référence aux hommes du savoir à cette époque. L’auteur en profite pour railler les médecins français de son temps. Il apparaît pour la première fois comme : « le docteur que tout Valladolid regardait comme Hippocrate » (G.B, II, II : 112). Le narrateur le décrit comme :

« un grand homme sec et pâle, et qui, depuis quarante ans pour le moins, occupait le ciseau de parques. Ce savant médecin avait l’extérieur grave, il pesait ses discours et donnait de la noblesse à ses expressions. Ses raisonnements paraissaient géométriques et ses opinions fort singulières » (ibidem).

Cette description est assez signifiante sur les deux plans physique et psychique puisque le héros le compare à tous les autres médecins. Emu, au début, par ce personnage, le héros devient son serviteur et son disciple. Le principe de ce personnage sur le plan professionnel était de : «faire saigner et faire boire de l’eau chaude » (ibid : 118). Une technique qui est, selon lui, la plus efficace pour guérir toutes les maladies. Le héros reste en contact directe avec ce personnage durant trois mois de l’aventure, puis il ne parle plus de lui après avoir quitté son service et la ville aussi.

Le docteur Sangrado réapparaît vers la fin de l’aventure quand le héros passe par Valladolid, il alla chez lui pour le trouver : « assis dans un fauteuil, un livre à la main. Il se leva sitôt qu’il nous aperçut, vint au-devant de nous d’un pas assez ferme pour un septuagénaire » (G.B, X, I : 209). A travers les expressions (depuis quarante ans et septuagénaire), nous pouvons déduire la durée de leur séparation (presque trente ans). Le docteur retraité change ses habitudes et ne tient plus comme avant, à son principe :

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« Une vieille apportait au docteur un verre avec deux carafes […], l’autre de vin, […] il but un coup, […] cela ne lui sauva pas des reproches qu’il me donnait […] vous buvez du vin, vous êtes déclarés contre cette boisson, vous déplorez l’ignorance des personnes qui appellent le vin le lait des vieillards » (ibid : 211).

Un changement radical de la personnalité et du comportement du docteur Sangrado est dû, selon lui, aux changements de la société, de la science, de la médecine et des pratiques qui déplaisent à ce personnage. Sa jeunesse contredit sa vieillesse puisque tout ce qui était interdit à son jeune âge ne le sera plus à son vieil âge. Finalement, nous pouvons dire que le choix de ce personnage n’est pas dû au hasard, l’auteur voulait présenter à son lecteur un modèle-type des docteurs français à cette époque. Il voulait se moquer de la pratique de ces ignorants et prouver que les nobles ont, aussi, des faiblesses et font le contraire de ce qu’ils disent. Et comme critique directe, le docteur Sangrado est la représentation symbolique du médecin Hecquet, le doyen de la faculté de médecine de Paris.