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La critique des hommes du pouvoir :

Voix narratives et distribution des rôles

IV.4 La critique des hommes du pouvoir :

La critique lesagienne s’accentue plus, en parlant de la politique, et plusieurs personnages y interviennent. Nous citons à titre d’exemple le premier ministre le duc de Lerme, Le roi et le prince d’Espagne (que l’auteur préfère ne pas les nommer), le premier secrétaire appelé Caldérone, le corregidor, etc. Ces personnages ont contribué à enrichir ce thème dans différentes situations.

Cependant, Jean Digot affirme dans la préface du roman (Histoire de Gil Blas de Santillane. Ed : 1960), que l’objectif réel de ce roman n’est pas seulement de peindre la société et d’en tirer la morale mais, il s’agit aussi, d’un ensemble d’expériences de ces personnages qui parviennent quand même à un degré de culture, tout en passant d’une aventure à une autre :

« Les aventures de Gil Blas durant son périple à travers l’Espagne […], sont prétexte à placer le voyageur au contact des diverses classes de la société : […] Gil Blas découvre ainsi la comédie d’un monde […] Gil Blas doit apprendre quelque chose de la vie, la vie le lui apprend et il nous communique le fruit de cet enseignement » (G.B, préface: 13-14).

L’auteur a cédé à l’emprise de la mode en empruntant aux auteurs espagnols plusieurs idées. D’ailleurs, l’originalité de son Gil Blas était sujet de discussion, partant de celle du Père Isla de la Torrey Rojo à Voltaire en disant qu’il était « entièrement pris d’un roman espagnol : Vie de l’Ecuyer Marcos de Obregon » (ibid : 12). Or, la façon dont l’auteur présente les personnages, avec qui, le héros a eu affaire (chevaliers, médecins, acteurs, auteurs, comédiens, etc), est forte impressionnante et nous fait rappeler, évidemment, son entourage et la France. Cela est bien voulu car nous constatons une ressemblance entre l’auteur et son héros, et c’est plutôt une

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preuve d’une autobiographie que d’affirmer que c’est une histoire empruntée à un modèle espagnol.

Les représentations de la régence à cette époque qui se multiplient dans le roman, font référence aux évènements politiques entre 1709 (publication de Tucaret) et 1735 (publication du quatrième volume de Gil Blas de Santillane). Elles dénoncent aussi, le trafic de la cour à cette époque : « Aussitôt qu’il eut appris cette nouvelle, il donna toutes les sûretés qu’on exigeait de lui, fit ses petites affaires, et s’en retourna dans la Castille- Nouvelle avec quelques pistolets de reste » (G.B, VII, XIII : 71). Ce scandaleux trafic était appelé les grâces de la cour. Cette peinture de Lesage s’applique aussi bien à la cour de France qu’à celle de l’Espagne. D’ailleurs, ce roman contient, encore, des attaques plus hardies qui n’ont pu passer que sous le manteau espagnol.

IV.4.1 Les aventures du Prince d’Espagne :

C’est la figure politique la plus importante dans l’histoire. Dés le huitième livre du roman, l’auteur parle des visites secrètes du Prince d’Espagne à la jeune Catalina. Une aventure qui est, en réalité, le fruit de la décadence des gouvernants. Il s’agit d’une relation amoureuse qu’entretient le Prince d’Espagne ou le fils du roi Philippe III avec une jeune femme splendide et c’est Gil Blas qui organise leurs rendez- vous, sous la demande du comte Lemos. Une relation qui dure jusqu’à la mort du roi d’Espagne et fait le thème d’une nouvelle expérience pour notre héros.

C’est le héros qui propose cette jeune femme au prince comme étant sa découverte, alors que c’est Scipion qui l’a fait : « je ne manquai pas le jour suivant d’aller rendre au duc de Lerme un compte exact de tout ce qui s’était passé […] je ne lui parlai point de Scipion ; je me donnai pour auteur de la découverte » (G.B, XVIII, X : 146). Le comte transmet ces nouvelles au Prince qui, avec impatience, demande de lui fixer un rendez-vous le plus vite possible. Sans tarder, Gil Blas part chez la jeune Catalina qui vivait avec sa

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tante pour les préparer en disant : « j’ai parlé au prince ; il a mordu à la main grappe : il brûle d’impatience de voir Catalina. Dés la nuit prochaine il veut se dérober secrètement de son palais pour se rendre chez elle » (G.B, XVIII, XI : 147). L’auteur a trouvé ce sujet très fertile, et le comportement infidèle du prince lui a donné l’occasion de critiquer les autorités. La description détaillée et précise montre à quel point le désordre et le désir dominent la monarchie et gèrent le destin du peuple : « dans la douce ivresse où l’héritier de la monarchie espagnole était plongé » (G.B, XVIII, XI : 150).

L’infidélité des sujets de la monarchie va aggraver la situation. Le héros rapporte en détails les évènements aventureux du prince au duc de Lerme. Le lexique employé peint avec précision tous les défauts de l’héritier de la monarchie espagnole. Ajoutons à cela les commentaires du héros à propos de ce sujet. Il montre, à chaque occasion, à quel point il est déçu du comportement du prince et de cette fortune gaspillée en plein crise économique.

IV.4.2 Le duc de Lerme et l’intérêt personnel :

Le duc de Lerme est un personnage bien choisi. Il est une image réelle plus que symbolique. C’est un homme de pouvoir, il est le premier ministre du roi Philippe III. Très vite, il prend en main les rênes du pouvoir. Précepteur du prince, il le manipule pour atteindre ses objectifs. Ne pensant qu’à son propre intérêt, il gouverne, sous le nom du prince, l’Espagne et gère ses affaires. Après la mort du roi Philippe III, Il impose un renouvellement du personnel politique du palais :

« Il y a déjà longtemps que je vois mon autorité généralement respectée, mes décisions aveuglement suivies, et je dispose à mon gré des charges, des emplois, des gouvernements, des vice-royautés et des bénéfices. Je règne, si j’ose le dire, en Espagne. Je ne puis pousser ma fortune plus loin...je souhaiterais d’avoir, pour successeur au ministère, le comte de Lemos, mon neveu. » (G.B, XVIII, IV : 112).

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C’est avec ces propos que le duc de Lerme affirme à son nouveau secrétaire Gil Blas qu’il règne sur l’Espagne, pour le motiver et l’inciter à être fidèle et exécuter ses ordres sans hésitation.

Enfin, le duc de Lerme ou (Francisco Gomez de Sandoval y Rojas), est un personnage historique que nous retrouvons à plusieurs reprises. C’est grâce à lui que nous avons pu fixer l’époque des évènements racontés par le héros durant le règne de Philippe III (1598-1621). Sous son règne, Philippe III ne prit la direction du royaume que pour la faire passer dans les mains de son favori (Francisco Gomez de Sandoval y Rojas), qui fut le duc de Lerme puis le premier ministre et enfin le grand d’Espagne.