• Aucun résultat trouvé

9.   Trajectoire résidentielle et logement précédent l’entrée

9.1   Logements précédents l’entrée dans le logement social 86

Les données récoltées à l’aide de la fiche synoptique permettent de retracer partiellement la trajectoire résidentielle antérieure du répondant. La solution retenue au moment d’élaborer le questionnaire a été de poser des questions sur les trois derniers logements occupés par le répondant avant son entrée en HLM. Si le choix de s’en tenir aux trois derniers logements contient une part d’arbitraire, il s’explique aussi par le fait que la période ainsi couverte pouvait être relativement longue, étant donné la durée de résidence dans le logement social de certains ménages. De surcroît, lors de la phase de prétest, nous avons tenté de poser des questions en remontant aux cinq derniers logements occupés par le répondant. Il s’est avéré difficile d’obtenir des informations fiables tout en maintenant la durée de l’entretien dans des limites acceptables. Nous nous en sommes donc tenu aux trois derniers logements occupés avant l’entrée en HLM. Pour les désigner, nous les appellerons logement de rang -1, logement de rang -2 et logement de rang -3, le dernier étant le plus éloigné dans le temps de l’entrée en HLM.

Une première manière de décrire la trajectoire résidentielle est de s’intéresser au type de logement et au mode d’occupation des ménages au fil du temps et des déménagements. C’est ce que permettent de faire les deux figures 9.1 et 9.2 ci-dessous.

Figure 9. 1

Figure 9. 2

Mode d’occupation précédent l’entrée en HLM

Comme l’indiquent les deux graphiques précédents, les ménages interrogés ont tendance à occuper de plus en plus souvent un appartement au fil du temps plutôt qu’une maison (les maisons de chambres constituant un type de logement très marginal pour cette population). De même, la part des locataires a aussi tendance à augmenter au sein de cette population au fil des déménagements. Toutefois, il est bon de noter que les propriétaires sont peu nombreux. En revanche, un nombre relativement important de ménages ont été hébergés gratuitement, à l’un ou l’autre moment de leur trajectoire résidentielle. Les autres modes d’occupation d’un logement sont, quant à eux, relativement peu fréquents au sein de la population enquêtée. Une explication possible à cette forte proportion de ménages logés gratuitement pourrait être le fait qu’il y a un nombre relativement élevé d’immigrants parmi ceux-ci. Le résultat que nous obtenons ici serait alors en accord avec des observations produites à partir d’autres bases de données, et qui indiquent que les immigrants récents trouvent souvent à se loger auprès de proches et d’amis, de manière gratuite, lors de leurs premières semaines d’installation (Zhu et Leloup, 2007). Cette hypothèse ne semble cependant pas se vérifier ici, puisque pour les différents rangs que nous observons, il n’y a pas de relation statistiquement significative entre le mode d’occupation et le fait d’avoir immigré. Autrement dit, s’il est possible que les immigrants trouvent à se loger gratuitement lorsqu’ils arrivent à Montréal, et ce, en plus grand nombre que le reste de la population, ce phénomène ne concerne pas les trois derniers logements

occupés sur le marché privé (avant l’entrée dans le secteur public). Bref, pour les logements observés, les immigrants ne sont pas plus ou moins logés gratuitement que les autres répondants.

Lors de l’entretien, nous demandions aussi quel était le mode d’occupation du logement, c’est-à-dire si la personne occupait un logement autonome ou résidait auprès de parents ou de proches. Ainsi, pour le logement de rang -3 (n=222), 70 % des personnes déclarent qu’elles occupaient leur propre logement, 24 % vivaient auprès d’un membre de leur famille (leurs propres parents dans la majorité des cas, leurs beaux-parents ou un autre membre de la famille), enfin, le reste des répondants se répartissaient entre différents modes d’occupation peu fréquents (habiter auprès d’un proche, être hébergé en foyer d’accueil ou occuper un logement en colocation). Pour le logement de rang -2 (n=261), le taux des personnes qui occupaient un logement autonome grimpe à 81 %, les personnes qui résidaient auprès d’un membre de leur famille représentent 14 % des répondants, les formes peu fréquentes de logement regroupent seulement 4 % des répondants. Pour le logement de rang -1 (n=280), la proportion des personnes qui vivent dans leur propre logement progresse encore pour se fixer à 94 %, contre 5 % des répondants qui étaient hébergés par un parent, les autres formes de logement étant quasiment absentes. Les évolutions observées pour le statut d’occupation et en particulier, en ce qui a trait aux personnes logées gratuitement, se comprennent dès lors comme le résultat combiné d’un processus de décohabitation pour une partie des répondants et d’un mouvement migratoire international pour les autres. Lorsque l’on croise le mode d’occupation des logements avec l’âge des répondants, il apparaît que ce sont les répondants les plus jeunes qui déclarent avoir occupé leurs logements précédents avec d’autres membres de leur famille. Pour les répondants plus âgés, le mode d’occupation dominant est clairement un logement autonome. La mobilité résidentielle est donc associée, pour une partie de la population (la portion la plus jeune de celle-ci), à la trajectoire familiale, la mise en couple ou l’arrivée d’un premier enfant incitant les jeunes adultes à décohabiter.

Il n’est pas non plus tellement surprenant de retrouver les appartements comme type majoritaire de logement occupé par les répondants au cours de leurs trajectoires résidentielles. Ce type est en effet fortement associé au statut de locataire, et vu le profil socioéconomique des personnes rencontrées, peu d’entre elles ont été en mesure d’accéder à la propriété par le passé. Par ailleurs, les appartements occupés par les personnes l’ont souvent été dans des immeubles de plus de cinq logements. Ainsi, pour le logement de rang -3, 61 % des personnes qui vivaient en appartement le faisant dans un immeuble comptant plus de cinq logements, pour le logement de rang -2, 71 %, et pour le logement de rang -1, 73 %. Cette distinction, qui peut paraître à première vue arbitraire, n’est pas

neutre à Montréal, où une large partie du stock résidentiel est réparti dans de nombreux immeubles de petite dimension (les plex). À l’inverse, les conciergeries de grande dimension, c’est-à-dire des immeubles d’appartements pouvant compter plusieurs dizaines d’unités organisées autour d’une ou de plusieurs entrées communes, représentent une part moins importante du parc. C’est dans cette partie du parc que se retrouve cependant une proportion non négligeable de logements en moins bon état, voire insalubre, comme l’indiquent les inspections menées par la Ville de Montréal (en collaboration avec des Comités logement ou d’autres organismes de défense des droits des locataires), et les actions prises, parfois sur une base contraignante, afin d’amener des propriétaires à entreprendre des rénovations majeures.

Sans pouvoir généraliser – il existe indubitablement des conciergeries très bien entretenues, voire de luxe, à Montréal –, il est probable que les personnes rencontrées ont occupé des logements dont la qualité est probablement médiocre. En ce sens, la trajectoire résidentielle ainsi décrite les orientent vers des segments moins attractifs du marché du logement – dont une proportion significative de grandes conciergeries –, dont d’autres études ont montré qu’ils se situent dans l’ancienne banlieue proche de Montréal – ces quartiers de la première couronne, qui correspond à l’extension urbaine ayant suivi la Deuxième Guerre mondiale, comme Côte-des-Neiges ou Parc-Extension –, mais aussi en centre-ville – par exemple, à proximité de l’Université Concordia ou de l’Université McGill, ou encore le long de la rue Sherbrooke entre la rue St-Denis et le boulevard St- Laurent1

11. De ce fait, lorsque nous demandions pour quelles raisons les personnes avaient

souhaité quitter les logements de rang -3 et -2, celle qu’elles évoquaient le plus souvent était le manque de moyen financier pour rester dans le logement (environ 70 % des répondants pour chacun des deux déménagements), précédant les différentes réponses liées à la qualité du logement (environ 40 % des répondants pour chacun des deux répondants, signalons que les répondants pouvaient donner plusieurs raisons par déménagement). Si les personnes déménagent, c’est à la fois parce qu’elles s’y sont contraintes – par le manque de ressources financières – et parce qu’elles le souhaitent – l’espoir de trouver un logement plus grand ou en meilleur état. Au total, elles passent plutôt d’un segment peu valorisé du marché du logement à un autre, sans vraiment réussir à améliorer leur situation résidentielle, d’où la persistance dans le temps de la qualité médiocre des logements comme raison donnée aux déménagements.

11

Cette analyse repose sur des observations diverses faites au cours de différentes recherches, reposant tant sur des analyses statistiques des données du recensement que d’enquêtes de terrain en cours sur le logement des familles à Montréal (Leloup, 2005; Leloup et Ferreira, 2006). Elle s’appuie aussi sur plusieurs articles parus dans les quotidiens locaux, La Presse et The Gazette, sur les opérations que la Ville de Montréal mène afin d’éradiquer les logements insalubres sur son territoire. Dans la plupart des cas, les immeubles visés par ces mesures sont de grande dimension et ont été construits il y a 30 ou 40 ans.