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Lire c’est interpréter ou « spéculer »

CHAPITRE 6 : Le rapport au savoir lectural : lire et comprendre

6.1 Lire : une relation entre le texte et le lecteur

6.1.2 Lire c’est interpréter ou « spéculer »

Le texte est représenté comme un « tissu d’espaces blancs », selon l’expression d’Umberto Eco (1979 : 66). Suivant cette métaphore, le lecteur aura à remplir les blancs et les vides que le texte laisse à sa disposition, donc lire

équivaudrait à interpréter, cela passe justement par le fait de repérer ces espaces, de les remplir ; cet acte permet de « huiler la machine paresseuse » selon le même auteur. Les prévisions du lecteur, c’est de remplir les espaces des non-dits.

Dans notre recherche nous avons proposé de nous concentrer sur les questions de la compréhension correcte. Pour cette raison, nous avons tenu à revisiter la problématique relative au couple compréhension/interprétation, ce qui nous paraît indispensable d’effectuer parmi les écrits didactiques saillants concernant ces concepts.

Les deux concepts de compréhension et d’interprétation, sont souvent liés par une relation intrinsèque, en raison de multiples significations explicitées. Compréhension et interprétation est « le couple infernale » en littérature selon Tauveron (2001) ou « sujets de tensions » en didactique d’après Louichon (2007).

Nous constatons une évolution du point de vue didactique. Dans les années 1980, lire c’est comprendre, à partir des années 2000, lire c’est interpréter. En fait, lire c’est comprendre et se faire comprendre.

Selon les propos de Canvat : «si la compréhension est construction du sens, l’interprétation sera spéculation sur le ‘pluriel du texte’ »(1992 :103). Canvat par ces propos, voudrait par cette métaphore, nous expliquer que la compréhension est monosémique. Elle implique la saisie du sens commun aux divers interlocuteurs, tandis que l’interprétation renvoie plutôt à l’idée de polysémie où les possibilités d’interprétation sont illimitées Canvat (1992 : 34).

L’interprétation bien comprise est liée à l’action de signifier, de donner un sens extérieur au texte, par le lecteur averti.

Tauveron (2002) désigne par « textes proliférants » ceux qui suscitent l’interprétation continue. Ces textes, généralement complexes, seraient « non lisses », et poseraient problème d’interprétation, lequel « problème» est

intéresant, comme le souligne Tauveron (2003: 36), il permet de former des lecteurs « actifs », « coopératifs » et responsables dans un double intérêt de négociation de sens : entre lecteur et texte ; entre lecteurs, d’où retour au sujet « lecteur ».

Pour Reuter (1992 :61), l’interprétation est perçue comme un processus exigeant, longtemps considérée comme activité de lecture postérieure à la compréhension. Vandendorpe (1992 :170) n’est pas du même avis. Il estime qu’il faut d’abord interpréter et comprendre après, telle devrait être l’attitude du lecteur face au texte complexe. Shusterman (1994 :73) estime qu’il n’y a pas de différence radicale entre ‘comprendre et interpréter’ », « comprendre » est « un automatisme de la pensée » alors que « interpréter » est une « résolution de problème(s) ».

Quoi qu’il en soit, l’interprétation n’est pas perçue comme une compétence facile à maîtriser. Grossmann (1999 : 153), tout en plaidant pour l’interprétation en amont, comme le suggère Vandendorpe (1992), s’écarte de son point de vue à propos de la lecture littéraire, pour laquelle, c’est directement « faire de l’interprétation ».

Résumant la différence entre les deux mots, Vandendorpe (1992) fait remarquer que comprendre implique la soumission au sens commun des interlocuteurs indépendamment de leur niveau culturel. Le caractère essentiellement totalisant de comprendre, nous renvoie à «prendre ensemble ». Interpréter, par contre, implique une négociation entre divers locuteurs qui sont dans un rapport d’égalité (Rihaili, 2011 : 131).

Pour Canvat (1992) et Tauveron & Grossmann (1999 :32), il s’agit de comprendre et d’interpréter simultanément: aider l’apprenant dans son approche du texte, en lui faisant prendre conscience de ses acquis ultérieurs (formation initiale, spécialité, lecture personnelle…).

Il ressort de ces propositions de la part des didacticiens que la définition des ces deux notions (comprendre et interpréter) reste sujet à controverse.

Pour notre part, nous avons opté pour la description de l’acte d’interpréter, à partir de la thèse d’Olson (1998), selon laquelle : «Interpréter un texte implique que personne ne sait ce qu’il signifie, mais plutôt qu’on pense qu’il signifie ceci ou cela. L’interprétation est donc vue comme le point de vue d’un sujet (le lecteur) sur un objet (le texte), quand bien même le sujet serait persuadé que son point de vue est le seul possible» (Olson, dans Grossmann, 1999 :152).

6.1.2.1 Le lecteur ou « le regard de l’interprète »:

Le regard de l’interprète est plus clair que celui du lecteur en processus de compréhension. Selon l’expression de Canvat (1992), l’interprétation a un caractère « supputatif et aléatoire de construction d’hypothèses ». Ricoeur (1999 :21) la définit comme étant le dévoilement du sens caché sous le sens apparent. L’interprétation ne serait autre qu’une « forme explicite de la compréhension » (Gadamer, 1976 : 148).

A partir de ces différents éclairages, l’interprétation est une activité intellectuelle à la fois microscopique et centripète, la compréhension serait « une force centrifuge » et globalisante (Falardeau, 2003 : 685).

L’activité interprétative est au cœur de la didactique des langues, elle privilégie le pôle apprenant-lecteur et le texte en tant qu’objet d’étude. Jorro (1999 : 99) soutient, par ailleurs le point de vue de Vygotsky pour lequel: « le conflit sociocognitif joue un rôle moteur dans l’apprentissage». Alors que la même auteure reconnait le rôle « timide » de l’enseignant dans l’apprentissage coopératif.

Pour notre part, nous adhérons à l’idée de Giasson lorsqu’elle affirme que l’enseignant peut enseigner à ses apprenants, « à utiliser dans leur lecture des procédés cognitifs dont ils ignoraient l’existence» (Giasson, 1992 : 21).

Il serait aussi opportun de revenir aux propos de Pouw (2004 :188), selon qui « les étudiants qui disposent d’une compétence limitée en L2 risquent de se tromper dans l’interprétation du texte et ainsi ils n’arrivent qu’à se construire une base de connaissances vague et peu cohérente », la sélection, la mémorisation et l’intégration étant essentielles à l’apprentissage.

L’apprenant doit donc apprendre à développer tout un processus lexical et cognitif à partir duquel il va trouver des significations qui s’inspirent directement du texte et non émettre des hypothèses de sens.

Tauveron (1999b :20) évoque deux types d’activité interprétative dans le processus de la compréhension, le premier appelé INT1: « est une suite d’élections locales de sens, là où il y a pluralité de choix et qui concourent à se forger une représentation (parmi d’autres) globale et cohérente de l’intrigue». Dans le sillage de ces affirmations la compréhension, « antérieure » à l’interprétation, elle est en amont, et l’interprétation est en aval. Le deuxième type de même veine, de la même auteure, s’inscrit dans un processus interprétatif. Ainsi « tout texte appelle une interprétation de type 2 (INT2) au sens herméneutique du terme, postérieure à la compréhension, mais pouvant la modifier en retour, soit, non point “qu’est-ce que dit le texte?” Mais “au-delà de ce que dit le texte, qu’est-ce qu’il me dit?». La relation du couple compréhension/Interprétation est dialectique, en ce sens « l’une nourrit l’autre d’une façon inchoative », elle imposerait un mouvement de va-et-vient où il est nécessaire d’interpréter l’information lue et accéder au sens. Or, ce processus n’est possible que dans la perspective du lecteur « interprète ». Celui-ci, devenu autonome, retiendra les éléments polysémiques, l’activité de compréhension aboutirait à l’interprétation du texte, le lecteur disposant d’une marge de liberté plus ou moins large en fonction de la nature du texte (simple ou complexe).

contrat d’apprentissage incite l’enseignant à mettre en valeur le questionnement adéquat relatif au texte étudié.

A la lumière de ces développements, nous retenons que la compréhension du contenu du texte va dans le sens de l’interprétation. En retour, ce double mouvement compréhension/interprétation débouche sur une compréhension correcte, condition essentielle dans tout questionnement productif. C’est ce que nous développons dans notre protocole didactique.

Nous avons abordé dans ce dernier chapitre de la partie théorique, l’origine des difficultés de compréhension de l’apprenant qui n’est pas suffisamment armé au cours de la lecture.