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5. Nordine habite en Meurthe-et-Moselle tout proche du Luxembourg Agé de 27 ans, pacsé, sans enfant, il est cariste de profession (niveau CASES 3) Il est venu à l’intérim très

5.5. Les limites du cadre règlementaire

Entre les trois acteurs que sont l’entreprise de travail temporaire (ETT), le travailleur et l’entreprise utilisatrice (EU), les franchissements de frontières engendrent de grosses difficultés Le cadre règlementaire européen veut les surmonter mais on doit bien reconnaître que l’on en est loin.

C’est en principe la législation du pays de résidence de l’agence d’intérim qui commande les questions de salaire, de protection sociale. C’est celle du pays de l’entreprise utilisatrice, pour les questions de conditions de travail, d’hygiène, de sécurité. Ce partage des responsabilités et

72 compétences des parties prenantes est le même que celui qui existe en France entre agences d’intérim et entreprises utilisatrices. Mais au plan international il ne manque pas d’être source de profondes tensions, à la mesure de l’éminente disparité qui séparent les protections qu’accordent à ces travailleurs les divers pays concernés1. Non seulement le statut du travailleur intérimaire

détaché est fragilisé puisqu’il est souvent difficile, en particulier pour les travailleurs eux mêmes, de comprendre quelle entreprise (agence d’intérim ou utilisateur) est compétente et à quel sujet. Mais surtout, les fraudes et les contournements de règles sont largement facilités.

Deux rapports parlementaires français le soulignaient récemment (Bocquet, 2013 ; Savary, Guittet et Piron, 2013). Ils alertaient sur les risques de dumping social, de concurrence déloyale liée aux différences de coûts du travail, associés aux règles du détachement intra européen. Le rapport Bocquet soulignait à quel point les entreprises de travail temporaire peuvent être impliquées dans le contournement des règles du pays d’accueil des détachements sur mission d’intérim. Les responsables d’agences interviewés le reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes, en un certain sens : « l’intérim ne doit être qu’un seul outil de flexibilité mais il est parfois utilisé par les entreprises dans

des cas qui ne sont pas prévus par la réglementation. Certaines atteignent même des taux de contrats de mise à disposition anormalement élevés » (PROTT). Ces responsables interviewés mentionnent

un durcissement des législations. Cela n’empêche pas que certaines agences luxembourgeoises n’ont pas d’activité réelle au Luxembourg ; que des intérimaires français envoyés en mission par ces agences n’ont jamais travaillé au Luxembourg.

Point commun de toutes les législations nationales en Europe, l’agence d’emploi privée est considérée comme l’employeur légal du travailleur intérimaire. Elle est donc seule responsable du paiement des rémunérations, des charges fiscales et sociales qui s’y rapportent. Mais suivant la position de la frontière entre les trois acteurs, les conséquences en matière de statut, notamment sur les plans de la sécurité sociale, du droit du travail ou même encore de la fiscalité vont être différentes (Belkacem et Clément, 2011). Les configurations seraient trop nombreuses pour toutes les envisager.

Les deux schémas que l’on observe le plus fréquemment sont :

- Un Lorrain passe la frontière pour pousser la porte d’une agence d’intérim située au Luxembourg. L’agence lui propose des missions au Luxembourg. Il aura le statut de travailleur frontalier au sens classique du terme. Il relèvera ainsi des législations en vigueur au Luxembourg pour les questions de salaire, de protection sociale et de

1 On a porté sur le tableau 10 (en annexe) un aperçu synthétique des différences de réglementation entre les

73 conditions de travail. Sur le plan fiscal, il sera soumis à la retenue à la source dans le pays d’emploi (le Luxembourg) en cohérence avec la convention fiscale en vigueur entre la France et le Luxembourg.

- Une agence luxembourgeoise propose à travailleur lorrain une ou des missions en Lorraine. Frontalier pour les règles du travail et pour les données statistiques, il n’a traversé la frontière que pour s’inscrire auprès d’une agence d’intérim. Mais pour aller travailler, il ne traverse pas la frontière.

La situation des travailleurs détachés, et en particulier de ces détachés frontaliers, suscite de nombreux points épineux. Ils concernent notamment la reconnaissance des accidents de travail, les systèmes de financement de l’invalidité qui sont différents d’un espace national à un autre, la retraite, voire également la formation.

En cas d’accidents de travail par exemple, la réglementation française établit un principe de partage des responsabilités relativement bien défini entre agence d’intérim et entreprise utilisatrice. Dès lors qu’il y a franchissement de frontière, les choses se compliquent encore. La reconnaissance même de l’accident du travail et de son degré de gravité ne sont pas forcément compatibles de part et d’autre de la frontière. Cette question est d’autant plus cruciale que le secteur de l’intérim (qu’il soit ou non transfrontalier) on l’a dit, se caractérise par des taux d’accidents du travail largement supérieurs aux moyennes nationales dans les différents pays observés.1

En termes d’invalidité, il n’existe pas de définition commune de l’invalidité et des taux d’invalidité entre les États-membres. Au sein de l’Union européenne, pour l’essentiel, deux régimes sont appliqués. L’un prend en compte la durée d’affiliation (Luxembourg, Allemagne). L’autre la réalisation du risque (Belgique, France). Si le critère retenu est celui de la durée d’affiliation, la pension d’invalidité est obtenue selon la même méthode que celle de la pension de vieillesse, c’est- à-dire selon la durée de cotisation. Dans la situation où la réalisation du risque est prise en compte, l’attribution de la pension d’invalidité est liée cette fois-ci au fait d’être assuré au moment où survient l’invalidité (Borsenberger, 2012). Lorsqu’une personne a été assurée successivement sous les deux régimes, comme il n’est pas rare pour ces travailleurs intérimaires frontaliers, les différences de législations peuvent avoir des conséquences sur la reconnaissance d’une part, de

1 une fréquence d’accidents de travail deux fois plus importante que pour l’ensemble des salariés. On le sait,

l’intérim intervient dans l’urgence le plus souvent, et les secteurs d’activité très exposés comme celui de la construction sont les plus gros utilisateurs d’intérim (Belkacem et Montcharmont, 2012)

74 l’invalidité, d’autre part sur la définition du taux d’invalidité. Cela a bien entendu des implications financières sur le montant de la pension.

L’âge légal de la retraite varie encore largement entre les pays : 60 ans en France, (et à terme à 62 ans) ; 65 ans en Allemagne (et à terme 67 ans), 65 ans au Luxembourg. La liquidation des pensions de retraites devient beaucoup plus difficile pour les personnes ayant eu leur activité dans ces différents pays.

A toutes ces questions, s’ajoutent, dans la pratique, la lourdeur des inscriptions/désinscriptions aux divers organismes (sécurité sociale…) auxquelles doit se soumettre le travailleur intérimaire frontalier à chaque début et fin de mission.

C’est clair : les directives européennes sur le détachement veulent certes favoriser la circulation de la main-d'œuvre au sein de l’Union européenne tout en règlementant cette circulation pour éviter les concurrences déloyales en quelque sorte et protéger les travailleurs. Mais il reste beaucoup à faire pour y arriver, de façon transparente, dans le plus strict respect des règlementations.

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6.LE TRAVAIL EN DETACHEMENT VU PAR LES ACTEURS LORRAINS : DE LACTION DE

LINSPECTION DU TRAVAIL A LA PRISE EN COMPTE SYNDICALE DU PHENOMENE

Les dimensions qualitatives des pratiques de détachements des travailleurs sont approchées ici par un travail d’enquête réalisé en Lorraine : 1° auprès des personnels de l’inspection du travail, qui nous ont fait part des difficultés et des limites de leurs activités de contrôle des détachements transfrontaliers ; et 2° auprès des élus syndicaux, concernant le positionnement des acteurs syndicaux à l’égard du travail et des travailleurs détachés, leurs difficultés à les représenter, à les soutenir dans leurs luttes. On y ajoutera 3° un éclairage sur la position de la Fédération patronale (française) du Bâtiment en Lorraine, à l’égard du détachement. Cet éclairage résulte d’un entretien réalisé avec deux de ses dirigeants.

6.1. Le rôle de contrôle de l’inspection du travail française : entre complexité