• Aucun résultat trouvé

Des droits non négligeables mais souvent peu respectés

4.3. Des conditions de travail, d’emploi et de vie alarmantes

4.3.2. Des droits non négligeables mais souvent peu respectés

Globalement, les droits des travailleurs détachés sont définis par le droit du travail ainsi que par les conventions collectives. Légalement, leurs droits sont plutôt nombreux (salaire minimum, égalité de traitement), réglementation du temps de travail, congés (vacances, congé de maternité et autres, etc), droit de syndicalisation, droit de grève, mesures concernant la santé et sécurité. Le législateur a tenté de protéger le travailleur détaché dans tous ces domaines.

Ils peuvent donc bénéficier de certains éléments de la protection sociale tels que les congés de maternité, l'accès aux hôpitaux ... Cependant, en raison de la brièveté des périodes de travail en France, il est plausible que peu de travailleurs détachés utilisent efficacement ces opportunités (Kornig, Louit-Martinod, Mehaut, 2015).

De nombreux travaux montrent que ces travailleurs détachés constituent une catégorie à part, en forte augmentation même s’ils pèsent peu en termes d’équivalent temps plein. S’ils sont en principe soumis aux règles de droit commun pour le salaire notamment, il existe des écarts, définis légalement, par exemple sur le droit à la formation ou encore sur les contrôles relatifs à la santé au travail.

Dans la mesure où l’entreprise peut prouver que les dispositions en matière de santé et de sécurité ont été respectées dans le pays d’embauche, aucun contrôle n’aura lieu en France. Par ailleurs, l’entreprise qui emploie le salarié détaché dans le pays d’origine doit mettre en œuvre un CHSCT. Toutefois, si un CHSCT est présent dans la société française, il pourrait aussi mettre en œuvre ses actions pour les travailleurs détachés (Chapoutier, 2011).

Concernant les droits de formation (congé individuel de formation, taxe de formation sur la base de l'entreprise...), ils ne sont pas applicables aux entreprises (Insarauto , Kornig, Louit-Martinod, Mehaut, 2015).

Si du point de vue du cadre législatif et règlementaire, les travailleurs détachés bénéficient d’un certain nombre de droits, l’une des spécificités de cette modalité de travail réside sans doute dans

48 la question des risques multiples qu’encourent ces travailleurs. Ces risques sont nettement plus élevés que pour la plupart des autres catégories (si l'on exclut le travail illégal). Ainsi, au risque d'être sous-payés (ou non payé) que nous avons déjà évoqué, s’ajoute celui de travailler et de vivre dans des conditions dégradées ou encore de mettre en péril sa santé. . Comme l'a souligné Swanie Potot (2010), les travailleurs détachés semblent devenir un substitut aux « vieilles figures » de migrants : ils sont plus faciles à recruter, avec des risques juridiques moindres. Ils sont malléables à merci et ne rechignent pas à la tâche (puisqu’ils veulent faire le maximum d’heures lors de leur mission pour envoyer de l’argent à leur famille) et ne sont que rarement absents (puisque logés sur place le plus souvent).

Béatrice Mésini (2008) dresse une longue liste des infractions constatées par un collectif de défense des saisonniers dans l’agriculture des Bouches du Rhône :

« Non-respect des conditions légales du travail et des conventions collectives, dépassement d’horaires, absence de repos hebdomadaire, paiement des heures au plus faible taux de coefficient de qualification de la convention collective, obligation de faire des heures supplémentaires non- déclarées, sous-payées, voire non payées (le décompte manuel des heures supplémentaires ne vaut pas « début de commencement de preuve » devant la justice), absence d’information sur les risques et les protections exigées pour le maniement des intrants chimiques et pesticides, prime d’ancienneté rarement payée par l’employeur, avenants au contrat de travail peu respectés, notamment les logements vétustes fournis par l’employeur, insalubres, délabrés et surpeuplés avec des retenues concernant le paiement des loyers ou de l’électricité, minimisation des maladies, sous déclaration des accidents professionnels, consolidation trop rapide de la médecine professionnelle, et enfin aucun suivi médical pour les étrangers détachés (qui cotisent dans les pays de l’entreprise prestataire), non bénéfice des allocations compensatrices de chômages en dépit de leurs cotisations, retraite à moitié taux sur une base de calcul qui la cantonne à quelques 100 euros mensuels » (Mésini, 2008).

De leur côté, Simona Tersigni et Nadine Souchard (2013) soulignent les conditions de travail souvent très difficiles auxquelles les travailleurs de l’industrie agroalimentaire sont soumis. De plus, certains salariés sont souvent mis à l’écart ou à l’épreuve par leurs collègues permanents. Cette situation peut amener une profonde détresse psychologique. Ils changent alors d’entreprises ou de métier. Les discriminations et le racisme sont ainsi fortement présents dans les abattoirs bretons où travaillent ces travailleurs délocalisés (Tersigni, Souchard, 2013). Les auteurs parlent d’assignation laborieuse et de servitude volontaire comme nouvelles formes d’exploitation et de corvéabilité (Ibid., p 96).

49 Nicolas Jounin (2010) a recueilli, au cours de ses recherches, des témoignages d’employeurs du bâtiment qui avouent user de la « terreur » comme mode de management auprès de ces travailleurs

Frédéric Décosse (2008) travaille également sur ces travailleurs migrants ou délocalisés. Pour reprendre également la terminologie d’Emmanuel Terray à propos de ce qu’il nommait en 1999 de la « délocalisation sur place » (Terray, 1999), parmi lesquels œuvrent les travailleurs détachés. Il souligne l’ineffectivité du droit du travail pour ces derniers dans l’agriculture, notamment à propos des atteintes à la santé et des risques professionnels qui sont très rarement déclarés alors que le secteur enregistre les taux de fréquence les plus élevés actuellement. Il observe par ailleurs que les accidents graves sont inégalement répartis entre les travailleurs (les travailleurs extracommunautaires étant plus concernés que les autres sur ce point précis notamment). Béatrice Mesini (2008) fait le constat d’absence de suivi médical des travailleurs étrangers détachés en France dans l’agriculture.

4.3.3. Être travailleur détaché, c’est perdre du capital social et subir des conditions de vie souvent