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Le contrôle des détachements transnationaux, une mission centrale de l’inspection du travail.

5. Nordine habite en Meurthe-et-Moselle tout proche du Luxembourg Agé de 27 ans, pacsé, sans enfant, il est cariste de profession (niveau CASES 3) Il est venu à l’intérim très

6.1. Le rôle de contrôle de l’inspection du travail française : entre complexité et diffusion de nouvelles pratiques

6.1.1. Le contrôle des détachements transnationaux, une mission centrale de l’inspection du travail.

Le contrôle des prestations de service internationales est devenu une mission centrale dans l’activité des inspecteurs du travail. Selon la responsable de la DIRECCTE interrogée, le contrôle du travail en détachement constitue désormais « une priorité nationale », au même titre que « la

négociation administrée » (c’est-à-dire le contrôle du bon fonctionnement des institutions

représentatives du personnel), ou la sécurité au travail. En cela, le contrôle des procédures de détachement de salariés détermine très fortement le quotidien des inspecteurs du travail de ces régions ainsi que le budget opérationnel des organismes dont ils relèvent.

Cette orientation se trouve d’ailleurs confortée par le dernier rapport annuel de la Cour des comptes (2016) qui milite en faveur d’une multiplication des contrôles des détachements de salariés. On peut notamment y lire : « Ce dernier exemple traduit également le caractère prioritaire

de la lutte contre la fraude au détachement international, qui touche particulièrement le secteur du BTP. Les contrôles portant sur le détachement ont été multipliés par cinq, leur nombre mensuel moyen passant de 200 en 2014 à plus de 1 500 au deuxième semestre 2015. » (p. 380). Le responsable de l’URACTI fait un constat similaire même s’il estime que cette « insistance est récente ». Pour lui, le sujet serait éminemment politique et l’attention portée à l’égard du contrôle

du travail en détachement coïnciderait en effet avec l’élargissement de l’Union européenne à de nouveaux États. Ce processus aurait ainsi renforcé le clivage économique et social existant à l’intérieur de l’espace communautaire entre les pays entrants et ceux de la « vieille Europe ». Il explique : « En fait, pour simplifier, dans l’Union européenne (…) on avait un modèle économique qui

était relativement équilibré, me semble-t-il. J’ai le sentiment que ça s’est déséquilibré par l’adhésion des dix pays supplémentaires plus la Roumanie, la Bulgarie, plus la Croatie (…). Elle s’est faite sur des décisions politiques qui sont tout-à-fait respectables et compréhensibles mais qui n’ont pas pris en compte ou qui ont voulu passer sous silence un déséquilibre sur le plan économique et social ».

Devenu une priorité, le contrôle du détachement de travailleurs est une mission d’autant plus importante pour l’inspection du travail que, comme le rappelle la responsable de la DIRECCTE, la région, par « son aspect transfrontalier », est particulièrement touchée par le phénomène. Selon ses estimations, en 2014, la DIRECCTE aurait recensé près de 1 300 déclarations de détachement concernant 2 800 salariés en Meurthe-et-Moselle, et 10 000 déclarations en Moselle. Pour le responsable de l’URACTI, cette priorité, si elle est rapportée aux effectifs, pose question. A propos du fait que le contrôle du travail détaché soit devenu un objectif prioritaire, il commente : « je ne pense pas qu’on soit en mesure de le faire systématiquement en Lorraine où on est quand

même le champion de France du nombre de détachements, ce qui pose aussi un problème de force de frappe. Ça veut dire, qu’en théorie, si on a les effectifs et les moyens et que c’est une priorité, on

78 pourrait très bien imaginer que, dès qu’on reçoit une déclaration de détachement, on va sur place et on vérifie ce qu’il y a sur place. On en est très loin en France, très franchement ».

Il est possible de jauger précisément la charge de travail collective des agents de l’URACTI et de la DIRECCTE à la lecture d’une instruction complémentaire de la Direction Générale du Travail relative au contrôle des fraudes à la prestation de service internationale datée du 8 juillet 20151.

L’instruction enjoint les personnels d’« intensifier la mobilisation dans le cadre du plan « 500

chantiers », et d’atteindre un objectif quantitatif mensuel de « 1 000 interventions (contrôles, réunions auprès des entreprises, donneurs d’ordre, maître d’ouvrage) ». Concrètement, il est d’une

part demandé aux personnels de cibler et de contrôler annuellement 500 chantiers du bâtiment : « Le ministère avait demandé aux services de repérer dans toute la France un nombre de chantiers,

500 grands chantiers du bâtiment, parce qu’on considérait que c’était principalement dans ce secteur que les fraudes à la PSI existaient, et j’ajoute que les employeurs du bâtiment sont ceux qui se plaignaient le plus de la concurrence » (responsable de l’URACTI). D’autre part, et comprenant

les interventions réalisées dans le cadre du « plan 500 chantiers », l’ensemble des agents doit contrôler 1 000 PSI mensuellement : « Ce sont des contrôles sur la déclaration de détachement, etc.

Parfois on contrôle, et l’entreprise est en règle. C’est comme mettre un radar sur le bord de la route, il ne capte que ceux qui sont en infraction, mais il surveille tout le monde. C’est 1 000 interventions par mois, mais c’est toujours fait au niveau national. Cet objectif quantitatif est atteint, d’après les chiffres que j’avais vus »( responsable de l’URACTI).

Remarquons enfin que si on demande aux inspecteurs du travail d’intensifier leurs contrôles des détachements, cette priorité est très loin de résumer toute leur activité. La responsable de la DIRECCTE rappelle ainsi que « l’inspecteur du travail va également déterminer ses interventions en fonction de tout le reste, de tout ce qui lui arrive. (…) Dans le quotidien d’un inspecteur, il y a les demandes sociales qui lui parviennent tous les jours. Il y a par exemple, tout ce qui est licenciement d’un salarié protégé, l’inspecteur est tenu de faire des enquêtes et de rendre des décisions. (…) Et il y a aussi le salarié qui, et ça arrive très souvent, vient le matin et nous explique que cela fait deux mois qu’il n’est pas payé, (…) les enquêtes accident du travail, tout ce qui génère le déplacement des forces de l’ordre, notamment lors d’accidents du travail dans les entreprises entrainent notre intervention quasi systématique. Il y a le courrier qui arrive et la gestion des demandes, il y a décisions. Et il y a les priorités nationales »2.

1 Document fourni et commenté par le responsable de l’URACTI de Lorraine.

2 Des 220 800 interventions des personnels de l’inspection du travail recensés par la Cour des comptes en 2014,

79 Le contrôle des entreprises recourant à des travailleurs détachés n’est que l’une des missions essentielles confiées aux inspections du travail. Les arbitrages effectués entre les missions et les critères de choix des établissements à contrôler doivent être questionnés.