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a) Une perception humaine toute relative : l’incertitude de notre savoir

L’anecdote de Zhuangzi rêvant qu’il est papillon, plus que célèbre, est la plus connue des histoires mettant en valeur l’aspect illusoire de la vie humaine, et a donné lieu à une surabondance de littérature secondaire1. A l’issue du chapitre « Qiwu lun 齊物論 », « Discours sur l’ordre des choses », Zhuangzi rêve qu’il est un papillon voletant avec naturel, ne sachant pas qu’il est Zhuangzi. A son réveil, Zhuangzi ne sait « s’il était Zhuangzhou [Zhuangzi] rêvant qu’il était papillon ou s’il est un papillon rêvant qu’il est Zhuangzhou (buzhi Zhou zhimeng wei hudie yu, hudie zhimeng wei Zhou yu

1 On compte parmi les travaux les plus connus :

ALLINSON, Robert (1989). Chuang-tzu for Spiritual Transformation: An Analysis of the Inner Chapters. Albany, New- York : State University of New-York Press.

MÖLLER, Hans-Georg (1999). « Zhuangzi’s “Dream of the Butterfly”: A Daoist Interpretation », Philosophy East and

West, vol. 49 (4), p. 439-450.

WU, Kuang-Ming (1990). The Butterfly as Companion: Meditations on the First Three Chapters of the Chuang tzu. Albany, New-York : State University of New-York Press.

不知周之夢為胡蝶與,胡蝶之夢為周與)1 ». Le rêve a là pour fonction d’amener à interroger la

réalité (à se demander ce qui est « vrai »), mais surtout à mettre en doute les capacités de la perception humaine :

Il ne traite pas la réalité comme un pur produit de l’imagination, se contentant de douter que la raison analytique puisse nous montrer ce qu’est le monde et d’admettre sans discussion que nous n’avons qu’à le prendre tel qu’il est […] Ici, le propos n’est pas de dire : qu’importent les choses puisque tout est rêve, et non réalité. Le problème, pour Zhuangzi, c’est qu’il n’y a justement pas moyen de savoir si celui qui parle est à l’état de veille ou de rêve, de même qu’il n’y a pas moyen de savoir si ce qu’on pense connaître est connaissance ou ignorance […]2

Ce « rêve du papillon » n’est donc pas une métaphore visant à exprimer l’idée que notre monde n’est qu’illusion, comme cela sera plus tard le cas du bouddhisme, mais une métaphore dont le propos est de mettre en évidence les limites de notre entendement. Roberto Ong remarque également cette impossibilité de la perception humaine suggérée par Zhuangzi à englober les deux visions (réalité et illusion) : « He [Zhuangzi] cannot have it both ways at the same time. It’s like looking at one of those optical illusions, of which the viewer can get only one picture at a time.3 » Cette comparaison rejoint

ce que figure la bande de Möbius, dont il est impossible pour le regard de voir simultanément l’intégralité de la surface. En même temps qu’elle montre la fausse dualité des plans, la bande de Möbius révèle en effet également les limites de la perception humaine, laquelle tombe facilement dans le piège des apparences. Elle pourrait donc également figurer l’ambivalence de la perception dans le rêve du papillon.

Il faut également voir dans cette anecdote du Zhuangzi la possibilité offerte à l’homme d’accepter la précarité de son être et la « transformation des choses (wu hua 物化) » (ce que, dans cette anecdote du Zhuangzi, le rêve du papillon est déclaré comme étant), la transformation ultime étant la mort4.

L’emploi du rêve dans ces questionnements sur la perception humaine a donné lieu à tout un pan de la littérature de fiction, que je nomme « rêves illusoires »5. En effet, le songe et la prise de conscience d’avoir rêvé sont fréquemment employés comme métaphore du discernement que l’on

1 CHEN (1999), p. 90. 2 CHENG, op. cit., p. 131‑132. 3 ONG, op. cit., p. 94.

4 Wai-yee Li analysant le rêve du papillon écrivait que « simultaneously real and illusory, the dream experience feeds

both skepticism and the impetus for transcendence. For it is by accepting emotions, beliefs, and sense of self as transitory, insubstantial, and dreamlike that one may be reconciled with the ultimate transformation, death. » (LI (1999), p. 30.)

5 L’expression est calquée sur celle d’« illusory dreams », qui apparaît sporadiquement dans la littérature secondaire

anglosaxone. Elle est par exemple employée par Judith Zeitlin (ZEITLIN, op. cit., p. 140.) Si elle semble relever du pléonasme, l’« illusoire » ne qualifie pas ici le rêve en lui-même, mais l’aspect de la veille qu’il vise à révéler. Par ailleurs, son emploi se justifie en ce que la majeure partie des rêves de fiction chinois n’ont pas pour objet de mettre en valeur la vanité de la vie, mais précisément de démontrer que le songe est porteur de vérité au même titre que la veille. Ainsi les rêves soulignant l’aspect illusoire de la veille constituent-ils une catégorie onirique à part.

peut faire entre réalité et illusion (ce qui serait « faux »). Ainsi Andrew Plaks écrivait-il dans son étude du Honglou meng que le rêve est ce qu’il y a de plus analogue, dans l’expérience humaine, à la façon dont réalité et illusion peuvent s’interpénétrer1.

L’intention du récit de rêve illusoire est d’offrir une expérience de perception aboutissant à une prise de conscience, expérience qui serait une métaphore de la perception et prise de conscience de la vacuité de notre vie. Afin d’illustrer la ressemblance entre le rêve et la vie, les récits de rêve illusoire se plaisent à brouiller la frontière entre le songe et la vie éveillée. C’est ainsi que le rêve à effet de lecture rétrospective (un récit onirique dont ne se rend compte qu’il s’agissait d’un rêve qu’au moment du réveil ; j’étudierai les caractéristiques formelles de ce type particulier de récit dans la partie consacrée à la narration du rêve) est un terrain particulièrement fertile aux discours sur l’illusion de la vie humaine (parce que les personnages sont trompés par la nature du rêve de la même manière que nous serions trompés par celle de la vie). Néanmoins, cet effet de lecture rétrospective n’est pas une condition sine qua non au récit de rêve illusoire : les rêves dont la situation onirique est éclaircie dès le début de la narration peuvent également relever de ce type de rêve.

Jouer de la confusion, de l’équivalence, entre le cadre onirique et le cadre de référence est donc le fer de lance des rêves illusoires. L’effet en est de montrer la manière dont, croyant appartenir à une sphère de réalité et se retrouvant finalement dans l’illusion, les personnages n’appréhendent pas l’intégralité de leur être et échappent à eux-mêmes. Trompés par l’apparente réalité du rêve, ils se fourvoient dans la « valeur de vérité 2» qu’ils attribuent au songe. Mais cette vérité est immanquablement rétablie aux yeux du lecteur. Le personnage, quant à lui, peut finalement percevoir la vacuité de ses aventures oniriques, ou y rester enfermé jusqu’à ce que, parfois, la mort vienne y mettre un terme.

Que toute expérience humaine est soumise à la perception et à la relativité, et que le rêve, métaphore de l’illusoire mettant en perspective la vie éveillée, permet de prendre conscience de cela, est illustré par Ji Yun dans Kule wu jin jing 苦樂無盡鏡, « Amertume et joie sont sans fin » (Yw 13:72). Dans cette anecdote, le bachelier (mingjing 明經3) Yu Nanming 于南溟 explique que « dans

la vie humaine, malheur et joie sont sans fin (rensheng kule, jie wu jin jing 人生苦樂,皆無盡鏡) » et que « tristesse et félicité sont également sans mesure (renxin youxi, yi wu dingcheng 人心憂喜,

1 PLAKS (1976), p. 223. 2 GOLLUT, op. cit., p. 81.

3 Le terme est une appellation non officielle, sous les Qing, des bacheliers par la voie du tribut (gongsheng 貢生).

Jusqu’aux années 1440, ces derniers étaient des étudiants ayant été acceptés dans des écoles confucéennes locales (ruxue 儒學) et promis à une carrière administrative brillante. Mais avec la haute considération accordée par la suite aux docteurs (jinshi 進士), les bacheliers par la voie du tribut ne purent plus espérer une carrière brillante atteinte par voie détournée, et durent eux aussi passer les examens de la métropole (huishi 會試) donnant accès au titre de docteur (HUCKER (1985), 3467.)

亦無定程)1 » : bonheur et malheur alternent sans cesse. Yu raconte que lorsqu’il était instructeur

(shezhang 設帳) au village de Kangning 康寧 (dans le Hebei), il vivait dans une chambre où rien ne lui était agréable : elle était si basse qu’on pouvait à peine y lever la tête, il n’y avait pas de store à la porte ni de rideau au lit, et aucun arbre dans la cour. Dans la chaleur étouffante, lorsqu’il tentait de dormir, les mouches venaient l’importuner. Il en venait à qualifier l’endroit d’« enfer du feu inhumain (menghuo diyu 猛火地獄) ». Un jour, alors qu’il parvint à s’endormir, il rêva (meng 夢) qu’il se trouvait en mer à bord d’un bateau. Soudain le vent se leva violemment, à en briser le mât de l’embarcation et à couler cette dernière. Yu se sentait soulevé, puis rejeté sur un rivage. Il eut l’impression qu’on le ligotait et qu’on l’enfermait dans une cave sombre dans laquelle il ne voyait rien. Comme il pouvait difficilement respirer, il s’alarma jusqu’à degré indescriptible (buke

yanzhuang 不可言狀). Il entendit brusquement qu’on l’appelait, et ouvrit soudain les yeux (huoran mukai 霍然目開). Allongé sur le lit en bois de sa chambre, il se sentait les quatre membres aux repos

(siti shushi 四體舒適) et l’esprit ouvert (xinshen kailang 心神開朗), comme s’il habitait l’île Fangzhang 方丈 des monts Penglai 蓬萊2.

Le récit de Ji Yun n’évoque pas l’idée de la perception, se contentant de mettre en valeur l’opposition entre une situation agréable et une situation déplaisante, qui sont deux états qui ne cesseront jamais d’alterner. Cependant, c’est bien de relativité due à la perception dont il est question : si Yu éprouve ultimement tant de bien-être à se trouver dans une chambre qui lui procure habituellement tant d’inconfort, c’est par rapport à la perception sensible qu’il a expérimenté dans le songe. L’emploi du rêve permet, dans ce récit, non seulement d’apposer dans une temporalité proche les deux situations que l’on souhaite comparer, mais également d’assimiler la perception sensible que l’on expérimente en rêve à celle de la vie éveillée : l’enseignement secondaire que l’on peut tirer du récit est que la perception humaine dans un songe est tout aussi marquante que celle de la veille puisqu’elle aura réussi, de par sa pénibilité, à faire considérer la perception de la vie éveillée comme plus agréable. Ainsi la perception sensible onirique se hisse-t-elle, dans cette histoire, à rang égal avec la perception du monde de la veille. Il en résulte que le rêve, bien qu’illusoire, permet de prendre conscience de certains aspects de la vie.

1 JI et YAN, op. cit., p. 1278.

2 Monts insulaires supposément situés au large du Shandong et du Zhejiang, où devaient résider des immortels, dont Qin

Shihuang 秦始皇 [-259 à -210], fondateur de la dynastie Qin [-221 à -206], enviait l’élixir d’immortalité. Aussi cet empereur lança-t-il plusieurs expéditions à la recherche de l’île sur laquelle devaient se trouver les monts Penglai. Celle- ci était, selon le Shanhai jing 山海經, Classique des monts et des mers, située à l’est du territoire chinois, dans la mer (SHANHAI JING & ZHANG (2009), p. 224.) Les monts Penglai servent usuellement de métaphore au séjour utopique des immortels, à l’instar des îles Fangzhang 方丈 et Yingzhou 瀛洲.

b) Prendre le rêve pour la réalité et la réalité pour le rêve

Un rêve illusoire mettant en perspective la valeur de la vie peut acquérir cette propriété du fait d’être relativement indiscernable de la veille : prendre le rêve pour la réalité, ou la réalité pour le rêve est une confusion révélant à quel point l’un et l’autre sont chimériques.

Au chapitre « Zhou Mu wang 周穆王 », « Le roi Mu des Zhou » du Liezi figure une anecdote illustrant ce thème : celle du rêve du cerf. Wai-Yee Li fait remarquer que si elle reprend l’idée de la confusion, des rapports et des limites entre les états de veille et de rêve qui était déjà présente dans le rêve du papillon, cette anecdote présente la chose comme une situation dont il faut s’accommoder et sur laquelle il faut trancher, tandis que le Zhuangzi laissait cette opposition de la veille et du rêve dans les paradoxes de l’expérience humaine1.

Dans cette histoire du Liezi, un bûcheron tombe un jour sur un cerf qu’il abat. De peur de se voir ravir le cerf, il cache celui-ci sous des feuilles de bananier. Mais alors qu’il désire récupérer la dépouille, il ne retrouve plus celle-ci, ayant oublié son emplacement. Il pense alors que tout ceci n’était qu’un rêve (sui yi wei meng yan 遂以為夢焉2), prenant ainsi la réalité pour un rêve. Il raconte

la chose autour de lui. Parmi ceux qui entendent son histoire se trouve un homme qui use de son récit pour retrouver l’emplacement où le bûcheron avait caché le cerf. Content de sa découverte, cet homme rentre chez lui avec la dépouille et raconte à son épouse comment il en est venu à l’obtenir : pour qu’il puisse ainsi la récupérer, c’est que le bûcheron en avait vraiment rêvé. Cette dernière suscite alors le doute sur la réalité des faits en lui demandant si ce ne serait pas lui qui aurait rêvé du bûcheron tuant le cerf ; le bûcheron existe-t-il vraiment, après tout ? Le fait qu’il obtienne le cerf n’est-il pas une preuve que ce rêve qu’il aurait fait est vrai ? Le bûcheron rétorque : « J’ai obtenu le cerf, à quoi bon savoir si c’est lui qui en a rêvé, ou moi qui en ai rêvé ? (wo jude lu, he yong zhi bi meng wo meng

ye 我據得鹿,何用知彼夢我夢 ?)3 » Le bûcheron, quant à lui, rêve de son côté du lieu où il a caché le cerf, et de celui qui a trouvé le cerf (seul élément surnaturel du récit). Il porte alors plainte. Le juge décide de diviser le cerf entre les deux parties. Si le bûcheron a vraiment attrapé le cerf, pourquoi avoir déclaré faussement avoir rêvé ? Et s’il a vraiment rêvé d’avoir attrapé le cerf, pourquoi prétendre que le cerf lui revient ? Quant à l’autre homme, qui a véritablement ramené chez lui le cerf et le dispute au bûcheron, son épouse a déclaré que dans son rêve, son mari a reconnu qu’il s’agissait du cerf d’un autre, et qu’aucun des deux hommes n’a obtenu le cerf. Le dirigeant de la localité, entendant le récit du jugement, s’exclame que le juge a peut-être rêvé de faire diviser le cerf en deux, commentaire qui ajoute un degré de plus au vertige dû aux multiples rapports avérés ou supposés

1 LI, op. cit., p. 37.

2 LIE & YANG, op. cit., p. 107. 3 Id..

entre réalité et songe. Alors que l’on interroge un conseiller délégué (guoxiang 國相)1 au sujet de

cette affaire, ce dernier répond :

夢與不夢,臣所不能辨也。欲辨覺夢,唯黃帝孔丘。今亡黃帝孔丘, 孰辨之 哉?且恂土師之言可也。

Rêver ou ne point rêver, je ne saurais faire de distinction. Si l’on désirait différentier la veille du rêve, seuls l’Empereur Jaune et Confucius en seraient capables. Aujourd’hui, l’Empereur Jaune et Confucius ont disparu, alors comment pourrait-on faire une distinction ? Faisons confiance aux paroles du juge.2

Ce rêve du cerf a ceci de particulier qu’il interroge constamment la véracité des faits, qu’ils soient présentés par le récit comme faux ou réels. Soupçonner ce qui est vrai d’être illusion, prendre ainsi la réalité pour un rêve, est une interrogation qu’apprécient les penseurs s’intéressant à la perception de ce que l’homme conçoit comme réalité. Mettre en doute ce que la perception détermine comme réel sera l’objet de tout le discours bouddhiste sur l’illusion, que je décrirai plus en aval. Le lecteur occidental peut également songer à Descartes qui, au XVIIe siècle, remarquait l’importance du jugement qui s’impose entre ce nous voyons et ce que nous pensons, mettant en doute l’objectivité de notre perception3.

Ji Yun offre une réécriture de l’histoire du rêve du cerf dans le Yuewei caotang biji, et l’intitule précisément Jiao lu zhi meng 蕉鹿之夢, « Le rêve du cerf caché par les feuilles de bananiers » (Yw 13:77). Comme dans le Liezi, que Ji Yun commence par évoquer, une personne qui prit la réalité pour un rêve (yi zhen wei meng 以真為夢) : tandis que l’auteur, exilé, se trouvait dans un relais de poste militaire dans les territoires de l’Ouest (Xiyu 西域)4 en compagnie d’un général de second rang

(fujiang 副將)5, un dénommé Liang 梁, arriva en pleine nuit l’ordre de transmettre un document officiel. Comme tous les chevaux de poste sont partis, Ji Yun réveilla Liang afin que ce dernier enfourchât un cheval et rattrapât un courrier. Ayant parcouru une bonne dizaine de li, Liang transmit la missive et revint se coucher. Le lendemain, il raconta à Ji Yun qu’il avait dans la nuit rêvé que ce dernier l’avait envoyé porter un document, et qu’il en avait encore les muscles tout endoloris. L’anecdote suscita l’amusement des gens, et Ji Yun en composa un poème.

1 Représentant du gouvernement central dans un royaume (wangguo 王國), des Han à la division Nord-Sud (HUCKER,

op. cit., 3514.)

2 LIE & YANG, op. cit., p. 107.

3 Roberto Ong dresse également ce rapprochement de la pensée taoïste avec Descartes au sujet de la perception du réel

(ONG, op. cit., p. 86‑88.)

4 Territoires situés à l’ouest de Dunhuang 敦煌, dans la province du Gansu.

5 Le terme désigne de façon relativement vague un militaire dont le rang se situe en dessous de celui de général (jiangjun

將軍). Sous les Qing, il peut faire référence à un vice commandant de région (sous les ordres du commandant de région,

L’auteur poursuit son histoire avec une seconde anecdote présentant la situation inverse : contrairement à la première, celle-ci évoque comment un homme prit le rêve pour la réalité (yi meng

wei zhen 以夢為真). Ji Cichen 紀次辰, cousin éloigné de Ji Yun, raconta un jour à ce dernier

comment un homme de Jinghai 靜海1, s’étant endormi dans la pièce voisine de celle où son épouse

tissait, rêva que cette dernière se faisait enlever par des bandits. Se réveillant très agité et ne sachant pas qu’il avait rêvé (bu zizhi qimeng ye 不自知其夢也2), il se précipita au-dehors à l’assaut des

bandits. Après avoir parcouru une bonne dizaine de li (similitude avec la première anecdote dans l’évocation de cette distance), il tomba effectivement sur des brigands qui s’apprêtaient à violer une femme. Il les fit fuir. La femme en question était justement l’épouse d’un voisin. Il la raccompagna chez elle, et s’aperçut en rentrant chez lui que sa propre femme était toujours assise à tisser.

Comme dans le Liezi, un personnage prend des faits réels pour une illusion onirique, et un autre considère son rêve comme des faits réels. Tandis que le bûcheron du Liezi rêve de faits réels (il rêve de l’autre homme, qui a effectivement trouvé et ramené chez lui le cerf), l’homme qui rêve de l’enlèvement de son épouse par des bandits fait un songe a priori illusoire, mais qui de fait trouve