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Limites du modèle de charges ponctuelles : cas des minéraux chromifères 33

1.3 Lien entre absorption optique et structure locale du Cr

1.3.2 Limites du modèle de charges ponctuelles : cas des minéraux chromifères 33

Selon plusieurs auteurs, la constance du préfacteur électronique q < r4 > implique la constance du paramètre de Racah, B, qui traduit la répulsion interélectronique 3d. Pour un même minéral (où l'environnement chimique du Cr est donc constant), des mesures d'absorption optique en fonction de la température et de la pression montrent pourtant des comportements variés : la valeur de B est constante en fonction de la pression pour l'ouvarovite, le spinelle chromifère, le pyrope chromifère et le rubis [122, 118]. En revanche, elle change en fonction de la température pour le pyrope, l'ouvarovite et le rubis, ce qui indique une modication de répulsion entre électrons 3d [121] : il faut néanmoins mentionner que la précision obtenue sur B par des mesures en température est nécessairement plus faible qu'en pression, car l'augmentation de T conduit à l'élargissement des bandes d'absorption (vibrations possiblement anisotropes). Les cas favorables à l'utilisation du modèle de charges ponctuelles simplié ne sont donc pas les plus courants.

Nous avons constaté sur les spectres d'absorption optique que pour les minéraux chromifères de couleur verte, la première bande d'absorption (4A2g(Oh) → 4T2g(Oh)) se situe à plus basse

7. < r4>=R r2

énergie que pour les minéraux de couleur rouge : ceci implique que la valeur du champ cristallin correspondante est plus faible. Si l'hypothèse sur la constance du préfacteur est vériée, une distance moyenne ¯RCr−Oplus longue doit donc être observée dans un minéral vert, et la variation de la distance Cr-O doit permettre d'expliquer à elle seule la variation de ∆o.

Dans le cas de la solution solide α-Al2O3-α-Cr2O3, évoqué dans la section précédente, la variation de couleur (du rouge au vert) est due à deux phénomènes [48] : l'utilisation de la spectroscopie EXAFS au seuil K du Cr a permis de mettre en évidence que la variation de la distance moyenne Cr-O (mesurée sur des poudres) entre α-Al1.93Cr0.07O3 et α-Cr2O3est voisine de 1 %, alors que ∆o varie de 8 % [48]. La variation du champ cristallin au sein de cette solution solide ne peut donc pas être due uniquement à celle de ¯RCr−O : dans ce cas, celle-ci devrait en eet être voisine de 0.03 Å au lieu d'être égale à 0.015 Å.S'il l'on calculait la moyenne comme < R15

i

>, la variation des distances Cr-O serait en mesure d'expliquer celle du champ cristallin. Par ailleurs, des calculs multiélectroniques ont mis en évidence que le décalage de la position de la fenêtre de transmission dans le visible est due à la variation de ∆opour 65 %, les 35 % restants résultant de celle du paramètre de Racah B. La largeur de la fenêtre de transmission est, elle, due principalement à la variation de B : B diminue lorsque la concentration en Cr augmente, ce qui indique que la liaison Cr-O devient plus covalente. L'ensemble de ces résultats converge vers une même conclusion : pour ce système, le préfacteur électronique q < r4 > ne peut être considéré comme constant dans le modèle, car il est nécessaire de prendre en compte la modication de la liaison chimique pour expliquer la variation du champ cristallin. Le transfert de charge entre le Cr et ses ligands O est probablement diérent entre les composés α-Al1.93Cr0.07O3 et α-Cr2O3, et il pourrait être responsable en partie de la variation de ∆o. Ceci semble en accord avec la théorie de Sugano et Peter [114], selon laquelle l'énergie de la transition4A2g(Oh) → 4T2g(Oh) vaut ∆o + 10ξB, où ξ est un paramètre de covalence qui tient compte d'un transfert de charge diérent entre les orbitales σ(eg) et π(t2g)de la liaison Cr-O.

Si l'on compare le rubis α-Al2O3:Cr3+ (rouge) et l'émeraude Be3Si6Al2O18:Cr3+ (verte), les distances moyennes Cr-O respectives (déterminées à partir de mesures EXAFS réalisées sur des monocristaux orientés) sont voisines (1.97 Å vs 1.975 Å) [44]. Cette diérence est trop faible pour expliquer à elle seule la variation du champ cristallin entre ces deux cristaux, et la covalence de la liaison Cr-O (plus importante dans le rubis que dans l'émeraude) joue donc probablement un rôle.

Dans le cas des systèmes précédents, il apparaît dicile de considérer les quantités < r4 > et q comme des constantes dans le modèle de charges ponctuelles, étant donné le rôle que semble jouer la covalence de la liaison Cr-O dans la variation de ∆o. Il semble donc intéressant d'étudier si ce résultat peut être généralisé à d'autres matériaux contenant du Cr. Par ailleurs, il faut rappeler que le modèle de charges ponctuelles est valable pour une symétrie Oh, une simplication qui peut se révéler grossière pour interpréter la couleur dans la mesure où le Cr se trouve pour les composés précédemment évoqués dans un site de symétrie plus basse.

Nous allons maintenant évoquer deux alternatives à ce modèle, qui permettent de prendre en compte un ou l'ensemble des ingrédients manquants, i.e., l'inuence du solide via la liaison chimique Cr-O et la symétrie du site.

1.3.3 Au-delà du modèle de charges ponctuelles

Eet local de la symétrie et de la liaison Cr-O : le modèle de superposition

Le modèle de superposition permet de prendre en compte localement la symétrie du site du Cr et la liaison chimique Cr-O. Néanmoins, comme dans le modèle de charges ponctuelles, on ne

(absorption optique et diraction des rayons X) et un traitement lourd, elle présente l'avantage d'établir une relation directe entre la distance Cr-O et B. Néanmoins, cette loi n'est valable que pour la solution solide grossulaire-ouvarovite et ne permet donc pas de rationnaliser les diérences de coloration dans les autres solutions solides ou dans les minéraux dilués.

Contribution électrostatique des ions du solide

La méthode exposée ci-après, basée sur des calculs utilisant la Théorie de la Fonctionnelle de la Densité (DFT, voir chapitre 3), permet de prendre en compte les eets non-locaux s'exer-çant sur la liaison Cr-O et la symétrie du site du Cr. Elle a été utilisée en particulier pour calculer la valeur du champ cristallin ab initio dans diérents minéraux chromifères dilués (éme-raude Be3Si6Al2O18:Cr3+, rubis α-Al2O3:Cr3+, alexandrite BeAl2O4 :Cr3+) [43, 41]. Son prin-cipe consiste à calculer le champ électrostatique généré par l'ensemble des ions du cristal se situant en dehors de l'octaèdre CrO6 et d'étudier l'inuence de cette contribution additionnelle sur la séparation des orbitales d. Dans un premier temps, la valeur de 10Dq est calculée de façon ab initio pour un complexe CrO9−

6 isolé dont la géométrie (distances interatomiques, symétrie) est en accord avec les données expérimentales. Dans un deuxième temps, le calcul est réitéré en présence du potentiel électrostatique supplémentaire. L'approximation majeure pour calculer ce potentiel électrostatique concerne la charge des ions dans le solide, qui est prise égale à la valeur nominale (+3 pour Cr/Al, -2 pour O etc). Le seul point commun avec le modèle de charges ponc-tuelles réside donc dans le fait que le cristal est considéré comme ionique. Les auteurs justient cette hypothèse par le fait qu'ils considèrent α-Al2O3 comme un oxyde fortement ionique.

Les calculs menés sur le rubis, l'émeraude et l'alexandrite montrent que la contribution majoritaire à la valeur de 10Dqest produite par les oxygènes premiers voisins du Cr. Néanmoins, la prise en compte de l'environnement à plus longue distance autour du Cr permet d'obtenir un meilleur accord entre la valeur de ∆o expérimentale et celle calculée, par rapport à un octaèdre CrO9−

6 isolé (tableau 1.1). Cette contribution supplémentaire (positive ou négative) est fortement dépendante de la symétrie du site dans lequel se trouve le chrome. Dans un premier temps, il a été montré que dans le rubis, l'existence d'un champ électrique, due à la symétrie C3, a pour eet d'augmenter la valeur de ∆o par rapport à celle déterminée pour le complexe isolé. En revanche, dans l'émeraude, ce champ électrique est nul en raison de la symétrie D3, et le champ cristallin est inférieur à celui calculé pour l'octaèdre CrO9−

6 isolé [43]. Plus récemment, le cas du site de symétrie Ci dans l'alexandrite a montré qu'en dépit d'un champ électrique nul, la valeur de ∆o y est la plus élevée : il est alors nécessaire de regarder en détail la forme du potentiel électrostatique dans des directions particulières, an de comprendre comment les orbitales d du Cr sont aectées et d'interpréter le signe positif de la contribution additionnelle.

nom minéral R¯Cr−O o (eV) exp ∆o (eV) calc

rubis α-Al2O3:Cr3+ 1.97 2.24 [103] 2.25 [43]

émeraude Be3Si6Al2O18:Cr3+ 1.975 2.0 [20] 1.95 [43] alexandrite BeAl2O4:Cr3+ (site Ci) 1.97 2.53 [41] 2.59 [41] Table 1.1: Comparaison entre les valeurs de ∆o expérimentale et calculée.

Cette méthode ne permet certes pas d'établir une relation analytique entre ∆o et la distance Cr-O, comme dans le modèle de charges ponctuelles, mais elle présente le double avantage par rapport à celui-ci de prendre en compte la symétrie locale du Cr et l'inuence du solide. Il semble donc intéressant de considérer le cas d'autres cristaux dilués, dans lesquels le Cr se trouve dans un site de symétrie diérente de C3, D3 et Ci. Si ce type de calcul est performant pour calculer la valeur de 10Dq, i.e. l'énergie de la première bande d'absorption (4A2g(Oh) → 4T2g(Oh)), il n'est en revanche pas en mesure de calculer l'énergie de la deuxième (4A2g(Oh) → 4T1g(Oh)), ce qui limite l'interprétation de la diérence de coloration. Enn, il n'a pas été appliqué pour le moment au cas des pôles purs comme α-Cr2O3, pour lesquels il faudrait envisager de modier la charge des ions pour tenir compte de la covalence des liaisons [42].

1.4 Structure cristallographique des systèmes étudiés : le spinelle