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4. Présentation des terrains et méthodologies mobilisées

4.4 Limites méthodologiques

J’ai tout d’abord des regrets quant à certaines données que je n’ai pas pu exploiter.

Le secteur de la distribution du bâtiment est un secteur où j’ai été témoin de très nombreuses fois de l’ascension hiérarchique d’autodidactes hommes et femmes. Mes premières pistes de recherche concernant les trajectoires m’ont permis de constater que certaines femmes directrices de la Plateforme du Bâtiment répondaient à ce profil autodidacte. Mais la plupart d’entre elles avaient des diplômes BAC+4 ou BAC+5 alors que les hommes directeurs étaient proportionnellement moins nombreux à avoir ce niveau d’étude. Lors de mes entretiens, j’ai compris que ces fonctions de middle management souffraient d’un plafond de verre à ce niveau

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de l’organisation, ne sachant pas quel pourrait être leur « coup d’après » après s’être efforcés à grimper dans la hiérarchie propre aux dépôts. J’aurais aimé comprendre ce qui constituait ce plafond de verre, en particulier pour les femmes qui, avec leurs diplômes, pouvaient naviguer en théorie plus facilement dans le Groupe.

Mais pour comprendre cela, je pense que l’ethnographie n’était pas adaptée à ce type de questionnement. Il aurait fallu conduire plus d’entretiens et surtout à des niveaux hiérarchiques plus hauts dans l’organisation en faisant appel aux équipes des ressources humaines du pôle distribution. Il aurait également fallu que j’analyse beaucoup plus finement les trajectoires en ayant accès à des documents auxquels je n’ai pas eu accès, s’agissant des différents métiers occupés par les directeurs et directrices des dépôts dans leurs trajectoires professionnelles.

Concernant le travail méthodologique de cette thèse, je vais d’abord exprimer les limites de mon terrain de recherche du réseau WIN. La plus grande limite pour moi est le fait de ne pas avoir pu assister aux ateliers de travail du réseau WIN en province. J’aurais aimé observer comment les questions d’inégalités entre les hommes et les femmes sont abordées par le réseau et ses ambassadeurs dans les usines ou dépôts. J’aurais pu accéder à ce terrain avec l’appui du réseau WIN, mais au moment où c’était possible, j’étais très focalisée sur mon ethnographie en dépôt et mes entretiens. J’avais le sentiment de ne pas pouvoir être partout en même temps, cette impossibilité de tout voir. Mais je suis persuadée cela aurait pu enrichir mes analyses.

Concernant le terrain de la plateforme du bâtiment, je me questionne sur le choix du dépôt. Était-ce une bonne idée de choisir un dépôt où les collaborateurs me connaissaient ? Avais-je eu raison d’être transparente quant à mon appartenance à Saint-Gobain Recherche ? Je me pose ces questions quant à la posture privilégiée que j’ai eue. Peut-être aurai-je pu vivre mon expérience différemment sans être connue et sans porter ce statut « dans le groupe ».

Je vois également des limites quant aux entretiens que j’ai pu avoir. Aucun de mes entretiens n’a été conduit auprès d’hommes directeurs au moment où ma question de recherche évoluait. Pourtant, leurs points de vue m’auraient peut-être conduite à d’autres données, d’autres codages me permettant de m’orienter vers d’autres analyses potentielles.

Enfin, en dépôt, j’ai passé du temps à observer les équipes à l’enlèvement. Dans mes entretiens avec les directrices et à travers mes observations, j’ai senti que ces équipes souffrent de formes d’exclusion que je n’ai pas bien pu définir. Dans ces équipes, la force physique et la résistance

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aux conditions climatiques sont perçues non comme des capacités qui se développent mais comme des capacités intrinsèques au fait d’être hommes. J’aurais aimé rester plus de temps avec eux pour affiner mes analyses sur la domination de métiers genrés autres que celui des hôtesses de caisse.

5. Conclusion

Dans ce chapitre, j’exprime de façon autobiographique (Haynes, 2006) comment est né mon intérêt pour le genre dans les organisations et pourquoi le Groupe Saint-Gobain a accepté la signature d’une CIFRE. C’est à travers mon histoire personnelle et professionnelle que cet intérêt a émergé. J’ai exercé le métier de contrôleuse de gestion pendant neuf ans dans le Groupe Saint-Gobain puis celui d’ingénieure de recherche pendant les trois années de la CIFRE. J’ai intégré le Groupe en 2007 alors même que j’attendais mon premier enfant, à l’âge de 24 ans. J’ai donc construit ma carrière tout en construisant mon identité de mère, et je me suis retrouvée dans un labyrinthe (Lupu,2012) où les normes sociétales et organisationnelles m’ont fait très rapidement atteindre mon propre plafond de verre.

Dans ma réorientation professionnelle, j’ai eu la chance de proposer mon sujet de thèse à un moment où le Groupe Saint-Gobain s’interrogeait sur la carrière des femmes cadres du Groupe. J’ai aussi eu la chance d’avoir comme interlocuteurs des membres du Groupe, Didier Roux et Bernadette Charleux, qui exerçaient leurs fonctions au niveau du top management et qui m’ont encouragée dans ma démarche.

Dans ce chapitre, je reviens sur ma posture épistémologique que je caractérise par une démarche relativement inductive et une posture féministe hybride.

Je m’identifie aux chercheuses qui ont développé un savoir féministe à la fois queer et matérialiste (Bereni,2012). Certains de leurs textes m’ont ouvert les yeux sur la dimension hiérarchique du genre où le groupe des hommes domine sur celui des femmes, et sur la dimension normative du genre qui produit la binarité des catégories hommes/femmes (Fourment, 2017). Je reconnais les divergences épistémologiques caractérisant le courant queer et matérialiste mais ce sont ces divergences qui me nourrissent et j’évoque une certaine hybridation du queer et du matérialisme (Bereni, 2012 ; Fourment, 2017).

S’identifier au savoir féministe implique un « privilège épistémique » (Dorlin, 2008) permettant la production de connaissances qui auraient été inenvisageables sans la prise en compte des expériences spécifiques des femmes (Stanley & Wise, 1990).

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Je fais part d’une volonté d’intégrer une approche intersectionnelle (Collins, 1990; Dorlin, 2008; Glenn, 1992) émergeante dans cette thèse pour analyser les rapports de domination. En effet, une femme du top management dans le Groupe ne vit pas les mêmes rapports de domination qu’une femme travaillant en caisse dans ce même Groupe. Si j’ai essayé d’intégrer les notions de sexe et de classe, il a été beaucoup plus difficile pour moi d’intégrer celui de la race. Ce n’est qu’en fin de thèse que j’ai commencé à comprendre comment je pourrai l’intégrer dans des recherches futures.

Pour moi, la production de connaissance féministe permet de challenger des normes organisationnelles qui reflètent et perpétuent les inégalités entre les hommes et les femmes (Haynes, 2008a).

Dans ce chapitre j’ai également expliqué comment les différentes identités que j’ai incarnées dans mon terrain ont été à la fois des ressources et des contraintes pour ma réflexivité. Cette réflexivité est importante à analyser lorsqu’il s’agit de souhaiter contribuer à un savoir féministe.

Afin d’accéder à un « privilège épistémique » (Dorlin, 2008), j’ai intégré deux terrains dans le Groupe Saint-Gobain. Le Groupe Saint-Gobain, entreprise de 350 ans, porte une vision néolibérale où l’une des 5 attitudes que doit porter un leader exemplaire est celle d’agir en entrepreneur (Brown, 2003; Chiapello, 2017). Le Groupe se définit comme un réseau de « joint entrepreneurs » où des sujets individuellement responsables sont liés les uns aux autres par le réseau et les relations sociales supportées par l’infrastructure (Butler et al., 2016).

En 2012, un réseau dans le réseau a été créé, ciblant les femmes, notamment cadres, de l’organisation. Ce réseau féminin nommé WIN (Women in Network), a pour ambition d’aider les femmes à mieux gérer leur carrière.

Le réseau WIN prend naissance dans un contexte organisationnel où les enjeux de féminisation sont devenus stratégiques dans les politiques de ressources humaines du Groupe Saint-Gobain. Le terrain du réseau WIN m’a permis d’écrire le premier essai de cette thèse où j’ai eu recours à une netnographie (Kozinets, 2007), des entretiens et observations participantes et non participantes. Le réseau WIN est pour moi, dans le cadre de cette thèse, un outil de féminisation pensant des dispositifs de pilotage pour une meilleure égalité entre les femmes et les hommes. La méthodologie mobilisée m’a permis de comprendre les logiques néolibérales qui structurent la façon dont opère le réseau WIN. Dans le même temps, la netnographie (Kozinets, 2007) permet de rendre compte des espaces qui se créent dans l’organisation pour penser le genre comme une construction sociale, s’éloignant ainsi d’une logique purement néolibérale.

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Mon deuxième terrain de recherche est celui de la Plateforme du Bâtiment, une enseigne du pôle distribution du bâtiment. Pour moi, ce terrain reflète une forme extrême du masculin universel (Cooper, 1992; Hines, 1992) à un niveau très opérationnel de l’organisation. Ce terrain m’a permis de rendre compte des structures et normes organisationnelles qui peuvent être à l’origine des inégalités entre les femmes et les hommes.

J’ai eu recours à une ethnographie entre novembre 2016 et décembre 2017, constituée d’une ethnographie en dépôt, d’entretiens, de la collecte de documents et d’observations non participantes dans un groupe de travail dédié aux équipes caisses de l’enseigne.

L’ethnographie m’a permis de comprendre comment la comptabilité agit comme instrument de domination tout en permettant des possibilités de résistance aux normes de genre. Pour cela, j’ai analysé un processus comptable (le pilotage des écarts d’inventaires) ainsi que les connaissances, compétences et instruments comptables qu’un métier comptable peu qualifié peut mobiliser pour se rendre visible.

Enfin, dans ce chapitre, j’expose les limites de ma méthodologie où j’exprime quelques regrets. Je regrette ne pas avoir pu explorer plus en détail l’idée des trajectoires des femmes directrices et du plafond de verre que semblent vivre les directeurs et directrices de dépôt. Je me questionne également sur le statut privilégié (vis-à-vis des collaborateurs) que j’ai eu en dépôt et les conséquences sur ma façon de vivre mon ethnographie.

Enfin, je regrette d’avoir mis la focale sur un métier très féminisé (hôtesse de caisse) uniquement et de ne pas avoir intégré dans ma collecte les problématiques de genre vécues par un métier peu qualifié et très masculin (les équipes de l’enlèvement de marchandises). Il aurait été intéressant d’inclure dans mon analyse la probable exclusion vécue par les équipes de l’enlèvement dont les capacités de force physique et résistance au froid sont perçues comme intrinsèques au fait d’être hommes, sans qu’il soit évident à première vue, de relier cette exclusion à des dimensions comptables.

Page 128 DEUXIEME PARTIE : TROIS ESSAIS POUR COMPRENDRE LA COMPTABILITE COMME INSTRUMENT DE DOMINATION ET DE RESISTANCE AUX NORMES DE GENRE

La deuxième partie de la thèse est composée de quatre chapitres.

Les trois premiers chapitres sont dédiés aux trois essais de cette thèse qui permettent de comprendre comment la comptabilité agit comme instrument de domination tout en offrant des possibilités de résistance aux normes de genre. La comptabilité prend différents visages dans ces trois essais.

Dans le premier essai (chapitre 3), la comptabilité s’entend comme les dispositifs de pilotage pensés par le réseau WIN pour permettre une meilleure égalité entre les femmes et les hommes. Cet essai investigue comment opère un réseau féminin lorsque l’égalité n’est pas seulement envisagée pour des motifs économiques. Il permet de comprendre les rapports de domination et de résistance liés à une logique économique dominante sur l’égalité.

Dans le deuxième essai (chapitre 4), la comptabilité prend la forme d’un processus propre au contrôle de gestion, celui du pilotage des écarts d’inventaires à la Plateforme du Bâtiment. Cet essai s’intéresse aux façons dont ce pilotage opérationnel renforce des rapports de domination de classe et de genre en excluant les hôtesses de caisse de ce processus tout en les rendant responsables des résultats de ce même processus. Cet essai permet de faire émerger le concept d’une « gendered accountability ».

Dans le troisième essai (chapitre 5), la comptabilité s’entend comme les compétences, connaissances et instruments comptables qu’un métier, comme celui des hôtesses de caisse, peut mobiliser pour se rendre visible. Cet essai investigue comment la comptabilité peut performer des formes de résistance aux normes de genre. Il permet de faire émerger le concept de l’« accounting care ».

Dans le chapitre 6, je présenterai d’abord les réponses à la problématique générale de cette thèse. Dans un second temps, je discuterai comment les résultats de cette thèse permettent de

problématiser le genre dans l’activité de rendre des comptes. Enfin, je présenterai la

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Chapitre 3 : Concilier l’égalité pour des motifs économiques et sociaux : le

cas du réseau WIN

Autrice : Nathalie Clavijo

Essai présenté à la 14ème Rencontre Internationale de la Diversité le 14 décembre 2018 à Dakar, Sénégal

Résumé :

Dans cet article, j’analyse les dispositifs de pilotage du réseau féminin (Women in Network) du Groupe Saint-Gobain dont les enjeux sont d’encourager la féminisation des postes d’encadrement, de connecter les femmes entre elles, et d’être un réservoir à idées de la diversité femmes/hommes dans le Groupe23

Cette entreprise, membre du SBF 120 (120 Sociétés Boursières de France), s’inscrit dans un environnement où l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes est pensée selon une logique dite de « business case » (Blanchard, 2018) où une meilleure égalité signifie une meilleure performance économique. Dans ce contexte, le genre s’entend comme une catégorisation binaire entre femmes et hommes et agit comme un levier de performance économique.

Cette logique de « business case » a été analysée dans la littérature comme étant l’un des marqueurs du modèle néolibéral (Blanchard, 2018 ; Pochic, 2018) où il est attendu des individus qu’ils agissent en entrepreneurs, devenant responsables d’eux-mêmes et agissant en tant que sujets gouvernés pour répondre à leurs propres intérêts (Brown, 2003; Chiapello, 2017; Cooper, 2015b). Selon cette logique, les femmes pourraient prendre en main leurs propres parcours et gravir les strates organisationnelles en se saisissant des dispositifs pensés par un réseau féminin. Cette logique permet de répondre aux intérêts individuels des femmes et aux intérêts économiques de l’entreprise.

L’égalité est moins justifiée dans les entreprises pour des raisons de justice sociale. Alors qu’il serait possible de concilier les motifs économiques et sociaux pour une meilleure égalité, le choix du discours économique reste dominant (Tomlinson & Schwabenland, 2009). L’intérêt de cet article est d’analyser comment opère un réseau féminin lorsque l’égalité est envisagée sous un angle économique mais aussi social pour envisager une éventuelle conciliation. Je mobilise le cadre conceptuel d’un féminisme néo-libéralisant (Prügl, 2015) pour analyser les dispositifs de pilotage du réseau WIN. J’ai recours à une méthodologie qualitative où je fais appel à une netnographie, des entretiens, des observations participantes et non participantes. Le féminisme néo-libéralisant (Prügl, 2015) me permet dans un premier temps de m’intéresser aux limites des dispositifs de pilotage qui courent le risque de renforcer les structures masculines établies, d’essentialiser le genre et de rendre invisible la majorité des femmes de l’organisation. Dans un second temps, le cadre conceptuel du féminisme néo-libéralisant (Prügl, 2015) permet d’envisager que dans un contexte néolibéral, l’entreprise et les individus qui y travaillent peuvent se projeter au-delà de leurs propres intérêts individuels.

J’analyse comment le réseau féminin conscientise ses membres sur le genre comme construction sociale et les façons dont les membres du réseau s’approprient les dispositifs et résistent aux arguments sur l’égalité comme levier économique.

Mots clés : genre ; féminisme néo-libéralisant; netnographie

Page 130 Concilier l’égalité pour des motifs économiques et sociaux : le cas du réseau WIN.

1. Introduction

Depuis le début des années 2000, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes est un objet de débat et d’investissement dans les grandes entreprises françaises. La loi Roudy de 1983 puis la loi Génisson de 2001 ont conféré des obligations de moyens aux grandes entreprises, notamment celle de produire un rapport de situation comparée entre les hommes et les femmes, et de négocier un accord triennal sur l’égalité professionnelle (Coron & Pigeyre, 2018; Rabier, 2009). Ces obligations de moyens se sont complétées par des obligations de résultats au travers des lois de 2006 sur l’égalité salariale et la loi Copé-Zimmermann de 2011 sur l’accès des femmes aux postes de responsabilités (Coron & Pigeyre, 2018), p.10). Dans cette dynamique, la loi de 2014 sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a renforcé les sanctions pour les entreprises ne respectant pas les obligations légales. Les lois concernant l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes impliquent ainsi une obligation de mesurer et de rendre des comptes pour les grandes entreprises françaises.

Dans cette approche contraignante, le gouvernement a mis en place des dispositifs de pilotage pour inciter les entreprises à agir. Ces dispositifs ont d’abord pris la forme d’instruments de type informatif et communicationnel24, se greffant à d’autres de forme conventionnelle25. Puis, le gouvernement a mis en place des dispositifs censés susciter l’encouragement, la compétition et l’imitation entre les entreprises en déployant une argumentation managériale dite de « business case » sur l’égalité professionnelle (Blanchard, 2018). Certains de ces dispositifs ont été construits dans une logique de benchmarking (Bruno, 2008), afin d’accentuer la pression sur les entreprises en marquant un recours systématique à la mesure et en promouvant une logique d’amélioration continue : faire toujours mieux que les autres et mieux que soi-même (Blanchard, 2018).

Dans cet article, je m’intéresse à l’une des sociétés du SBF 120, spécialisée dans l’habitat durable, active depuis plus de 350 ans : le Groupe Saint-Gobain. Cette entreprise évolue dans un écosystème d’entreprises marqué par la « contrainte » et « l’incitation » pour atteindre une meilleure égalité entre les femmes et les hommes. Ce contexte d’amélioration continue pour soi-même et par rapport aux autres (Blanchard, 2018) est l’un des marqueurs d’une logique néolibérale. Le Groupe Saint-Gobain intègre cette logique qui prend de plus en plus d’ampleur

24 Information juridique, conférences, brochures, campagnes, sites internet (Blanchard, 2018),p.40) 25 Contrats ou conventions avec des entreprises, Charte de l’égalité de 2004 (Blanchard, 2018),p.40)

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dans les sphères politiques, économiques et sociales, produisant une société, des sujets et des marchés de façon à ce qu’ils génèrent des bénéfices et organisent et régulent les interactions des libertés (Chiapello, 2017),p.53). Cette logique implique que les individus doivent agir en entrepreneurs, devenant responsables d’eux-mêmes, pour être gouvernés en fonction de leurs propres intérêts (Brown, 2003; Chiapello, 2017; Cooper, 2015b).

Afin d’atteindre une meilleure égalité entre les femmes et les hommes, les entreprises de cet écosystème élaborent un discours où l’égalité serait à la portée de toutes car les femmes pourraient individuellement écrire ou inventer leur propre chemin, se prendre en main et gravir les échelons, rendant invisibles les structures dominantes ou les influences culturelles et sociétales dans ces chemins vers l’égalité (Gill, 2016; McRobbie, 2004).

Dans cet article, je m’intéresse en particulier au réseau féminin, nommé Women In Network (WIN) du Groupe Saint-Gobain en France, qui se trouve dans cet écosystème où l’égalité est envisagée comme étant bonne pour le marché et le marché bon pour l’égalité (Pochic, 2018). Le réseau WIN nourrit cette ambition économique mais fait aussi la promotion de l’égalité pour ses motifs sociaux.

Le réseau WIN est révélateur d’une tension dans laquelle sont prises les entreprises dans leurs politiques d’égalité professionnelle. Il est attendu des entreprises qu’elles répondent à l’égalité à la fois pour des motifs légaux, économiques et sociaux.

Dans le cadre de cet article, je m’intéresserai en particulier aux motifs économiques et sociaux qui guident les dispositifs de pilotage du réseau WIN.

Cette tension se révèle dans les contradictions que peuvent faire émerger les dispositifs pensés à la fois pour des motifs économiques et sociaux. Au cœur de cette contradiction se situe le genre et la façon dont il est défini selon l’angle économique ou l’angle social.