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Deuxième essai - When counting counts: understanding a “gendered accountability” in an inventory control process

4. Bref état de l’art sur la comptabilité comme instrument de domination et de résistance

5.2 Deuxième essai - When counting counts: understanding a “gendered accountability” in an inventory control process

Dans cet essai, je m’intéresse à un métier comptable non qualifié (Cooper & Taylor, 2000) défini selon de fortes normes de genre (Joyce & Walker, 2015). J’investigue les rapports de domination subis par les hôtesses de caisse à travers un instrument comptable, celui du pilotage des écarts d’inventaires.

Le terrain de recherche de cet essai est celui de la Plateforme du Bâtiment.

La question de recherche est la suivante :

Comment les normes de genre excluent les hôtesses de caisses du pilotage des écarts d’inventaire tout en les rendant responsables du résultat d’un inventaire fiscal ?

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Sur ce terrain, j’ai focalisé mes analyses sur les observations de mon ethnographie dans l’un des dépôts de la région parisienne. L’ethnographie s’est déroulée entre novembre 2016 et mars 2017 dans un dépôt de la région parisienne. J’ai également réalisé des entretiens et collecté des documents auprès des services des ressources humaines et du contrôle de gestion.

Dans cet essai, j’analyse comment le pilotage des écarts d’inventaires est construit à partir de normes de genre et crée des inégalités au travail entre un métier très féminisé, celui des hôtesses de caisse, et les autres métiers (très masculinisés) à la Plateforme du Bâtiment.

Pour ce faire, je mobilise à la fois les travaux de Bourdieu sur la domination masculine (Bourdieu, 1990, 2001) et ceux de Cockburn sur le « Physical Power » (Cockburn, 1981). Les travaux de Bourdieu sur la domination masculine (Bourdieu, 1990, 2001) permettent de comprendre le contexte organisationnel dans lequel le masculin et le féminin semblent être des catégories tout à fait séparées et figées, imposant une division sexuée du travail entre les femmes et les hommes de l’organisation. Pour Bourdieu (1990, 2001,2002), l’une des façons de comprendre la domination masculine passe par la compréhension des instruments différenciés dit masculins et féminins.

Je propose dans cet essai de comprendre cette domination masculine par un instrument comptable (le pilotage des écarts d’inventaires). Pour comprendre les processus qui construisent cette domination, je mobilise les travaux Cockburn (1981) qui développe le concept du « Physical Power » dans le cadre de l’histoire de l’imprimerie. Le « Physical Power » est un processus impliquant l’accumulation d’aptitudes physiques, la définition des tâches en cohérence avec ces aptitudes, et le design sélectif des outils et machines permettant l’exécution de ces tâches (Cockburn, 1981),p.137). Ce concept met en évidence, à travers l’histoire de l’imprimerie, que les hommes devaient se rendre visibles dans leur physiologie pour que les relations patriarcales entre les sexes puissent s’imposer tant au travail que dans la sphère domestique (Cockburn, 1981). Le travail de Cockburn permet de comprendre les inégalités qui émergent du processus de pouvoir physique (Cockburn, 1981, 2009) dans le pilotage des écarts d’inventaires.

La mobilisation de ces deux cadres théoriques me permet de problématiser le genre dans l’activité de rendre des comptes. En effet, les résultats de cet essai dévoilent qu’alors même que les hôtesses de caisse sont le seul métier exclu du pilotage des écarts d’inventaires, elles sont tenues responsables du mauvais résultat d’un inventaire fiscal. Je propose le concept d’une

Page 32 « gendered accountability » pour comprendre les rapports de domination qui cadrent ce qui est attendu d’un métier, organisent son inclusion ou exclusion d’un processus de contrôle de gestion et définissent les armes comptables dont il dispose pour rendre compte d’actions et de décisions pour lequel il est tenu responsable.

Dans le cas de la Plateforme du Bâtiment, cette « gendered accountability » se construit d’abord par l’idéalisation de la force masculine (Gallioz, 2006) et ensuite par l’impossibilité de quantifier les activités de contrôle d’écart d’inventaires gérées par les hôtesses de caisse. L’idéalisation de la force masculine (Gallioz, 2006) a influencé la façon dont a été pensé le pilotage des écarts d’inventaires. Les outils de pilotage des écarts d’inventaires ne rendent visibles que les fonctions (majoritairement occupées par des hommes) qui comptent de la marchandise physiquement. Dans les dépôts, compter la marchandise du secteur du bâtiment est associé à un acte où une certaine force physique pensée comme masculine est nécessaire. Le rôle des hôtesses de caisse dans la gestion des écarts d’inventaires est rendu invisible par les outils de pilotage. Cette gestion passe par l’accueil des clients, le contrôle des caddies en sortie de caisse et des tâches administratives comme les avoirs clients. Les outils de pilotage des écarts d’inventaires ne rendent pas compte de ce travail de gestion réalisé par les équipes en caisse parce qu’il est difficilement quantifiable. Le contrôle de gestion, par sa façon d’identifier et de nommer les mouvements d’inventaire participe également à la mise en invisibilité des hôtesses de caisse. Le mouvement d’inventaire censé être sous la responsabilité des équipes caisses est rendu non significatif par sa valeur comptable. Pourtant, si la valeur comptable est si faible, c’est parce qu’il est presque impossible de valoriser un écart d’inventaire lié à une erreur en caisse. En rendant ce mouvement non-significatif, c’est le métier des caisses qui est rendu non significatif dans le pilotage des écarts d’inventaires. En plus de leur exclusion du pilotage des écarts d’inventaires, les hôtesses de caisse portent la responsabilité du mauvais résultat de l’inventaire fiscal du dépôt. Parce que leur gestion des écarts d’inventaires n’est pas quantifiable, les hôtesses de caisses ne disposent pas d’instrument comptable leur permettant de justifier leurs actions et prises de décisions.

Une « gendered accountability » permet de rendre compte de deux formes de violence. D’une part, la violence prend une dimension symbolique (Bourdieu, 1990,2001) dans le sens où les rapports de force qui organisent l’exclusion des hôtesses de caisses sont opaques, dissimulés sous un rapport de domination patriarcal (Cockburn, 1981). D’autre part, cette violence peut être beaucoup moins dissimulée avec des rapports de force qui se manifestent dans un dialogue

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entre une manager du secteur caisse et sa ligne hiérarchique qui rend les hôtesses de caisse responsables de la mauvaise performance des résultats d’un inventaire fiscal.

5.3 Troisième essai - Accounting care as a mode of resistance to gendered norms at