• Aucun résultat trouvé

Un féminisme néo-libéralisant pour penser une conciliation entre des motifs économiques et sociaux pour l’égalité

5. Différents cadres théoriques pour trois essais

5.1 Un féminisme néo-libéralisant pour penser une conciliation entre des motifs économiques et sociaux pour l’égalité

Dans le premier essai de cette thèse, la comptabilité prend la forme de pratiques de contrôle comme les dispositifs de pilotage de féminisation pensés par le réseau féminin du Groupe Saint-Gobain. Dans cet essai, la domination s’entend sous l’angle d’une logique néolibérale qui tend à penser l’égalité entre les femmes et les hommes en termes économiques. Les formes de résistance que j’analyse sont celles exprimées par les membres du réseau féminin (comité de

Page 67

pilotage et adhérent(e)s) qui permettent de penser l’égalité autrement que par cette logique économique.

La question de recherche du premier essai est la suivante : comment opère un réseau féminin dans une organisation lorsque l’égalité n’est pas seulement envisagée sous l’angle économique ?

Le réseau féminin du Groupe Saint-Gobain (WIN) est révélateur d’une tension dans laquelle se trouvent les entreprises françaises lorsqu’il s’agit de penser les dispositifs pour une meilleure égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. En effet, l’égalité professionnelle est à la fois pensée par des motifs économiques et sociaux.

Les motifs économiques, ou la logique dite de « business case » s’est imposée dans les entreprises pour légitimer les politiques d’égalité professionnelle par un discours où le bénéfice économique serait au centre des préoccupations managériales (Tomlinson & Schwabenland, 2009). La logique de « business case » porte en elle une logique néolibérale où il s’agit d’une part de démontrer les bénéfices économiques de l’égalité, mais aussi de voir les individus comme des êtres responsables d’eux-mêmes, en capacité d’agir en entrepreneur de soi (Chiapello, 2017; Cooper, 2015b). Les femmes d’une organisation seraient donc en capacité d’écrire leur propre destin en fonction de leurs capacités entrepreneuriales (Gill, 2007). Ce que ne prend pas en compte cette logique, c’est que l’entrepreneur de soi trouve des limites lorsque les structures organisationnelles restent immuables et ne sont pas remises en question dans une organisation.

La recherche critique en sciences humaines et sociales a conceptualisé la façon dont les organisations portent des messages concernant l’égalité entre les femmes et les hommes en faisant référence au féminisme et en le qualifiant de « bâtard néolibéral du féminisme » (Fraser, 2011), « managerial feminism » (Eisenstein, 2009), « market feminism »(Kantola & Squires, 2012), « transnational business feminism » (Roberts, 2012, 2015), ou « féminisme de marché » (Pochic, 2018). La majeure critique apportée par ces recherches est que cette forme de féminisme servirait les intérêts des femmes de pouvoir au détriment des femmes du bas de la hiérarchie, renforçant les inégalités structurelles de genre et de classes liées au modèle néolibéral (Meulders & Silvera, 2018; Pochic, 2018).

Page 68

Ce message critique est important dans cette thèse car il permet de comprendre comment certains dispositifs de pilotage du réseau WIN peuvent servir le discours néolibéral dominant en renforçant des stéréotypes de genre ou en rendant visibles uniquement les femmes puissantes de l’organisation. Or, les motifs sociaux portés par le réseau permettent aussi des possibilités de résistance à ce discours. Ces possibilités ne sont pas envisagées dans ces critiques et mobiliser le cadre conceptuel d’un féminisme néo-libéralisant (Prügl, 2015) permet de compléter ces travaux.

Dans un féminisme néo-libéralisant (Prûgl, 2015), une conciliation entre les intérêts de l’entreprise et les intérêts des individus peut être envisagée. Dans cette perspective, la recherche de profit n’est pas incompatible avec la quête d’une meilleure égalité entre les femmes et les hommes. Il est alors envisageable d’identifier des formes de résistance au projet néolibéral souhaitant que les femmes deviennent individuellement responsables de leur parcours (Gill, 2007, 2014, 2016, 2017; McRobbie, 2004; Scharff, 2016).

Mobiliser le cadre conceptuel du féminisme néo-libéralisant (Prügl, 2015) me permet de montrer comment les dispositifs de pilotage dirigés par le réseau féminin agissent à la fois comme instruments pour servir une logique néolibérale sur l’égalité tout en permettant des possibilités de résistance à cette logique. Cette tension permet de proposer une certaine forme de conciliation entre des motifs économiques et sociaux pour une meilleure égalité.

Le cadre conceptuel du féminisme néo-libéralisant (Prügl, 2015) me semble pertinent dans l’analyse des dispositifs de pilotage de féminisation lorsqu’ils sont pensés au niveau du top management de l’entreprise. Lorsque Prügl (2015) développe ce cadre conceptuel, c’est surtout pour ouvrir la possibilité de s’interroger sur les limites mais aussi sur les opportunités de la pensée néolibérale en matière de genre dans les organisations.

En revanche, il me semble que ce cadre conceptuel trouve ses limites lorsqu’il s’agit de s’intéresser aux micro-pratiques organisationnelles qui peuvent rendre compte du poids des normes de genre dans des processus organisationnels.

Dans l’analyse des micro-pratiques organisationnelles, il ne s’agit pas de comprendre comment peuvent se concilier les intérêts de l’entreprise et de l’individu mais d’apporter une analyse sur les inégalités structurelles de genre et de classe (Meulders & Silvera, 2018; Pochic, 2018) performées par ces micro-pratiques.

Le cadre conceptuel de Prügl (2015) trouve aussi ses limites lorsqu’il s’agit aussi d’envisager les possibilités de résistance aux normes de genre que peuvent imposer ces micro-pratiques.

Page 69

Dans cette thèse, ces micro-pratiques sont explorées sous l’angle comptable. J’ai expliqué que dans cette thèse, la comptabilité est aussi envisagée comme un processus comptable et comme des connaissances et instruments comptables. Ces formes comptables ont été explorées à un niveau très opérationnel du Groupe Saint-Gobain, à la Plateforme du Bâtiment. Pochic (2018) explique que c’est aux niveaux les plus bas des organisations que les stéréotypes de genre peuvent être les plus violents. A ce niveau de l’organisation, il me semble plus pertinent de mobiliser une littérature plus critique permettant de mettre en avant les enjeux des rapports de domination et des possibilités de résistance aux normes de genre en s’intéressant à un métier qui est au cœur des essais 2 et 3, celui des hôtesses de caisse.

5.2 Domination masculine et « physical power » pour comprendre un