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3. Résultats

4.2 Limites des différentes sources de données

4.2.1 Limites des données de la CÉ-JILAP

Malgré la richesse de cette source, les données provenant des rapports de la CÉ-JILAP comportent tout de même certaines limites. Tout d’abord, elles ne tiennent pas compte de l’ensemble des homicides ayant été commis en Haïti. Le chiffre noir demeure élevé, même pour l’homicide, un crime habituellement bien enregistré par les autorités (Ouimet, 2011). Il importe de réitérer que les données employées dans le cadre de ce mémoire ne proviennent pas d’une source officielle et que les informations sont colligées sur une base quotidienne par des travailleurs œuvrant principalement dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Plusieurs incidents peuvent donc avoir été omis. Par exemple, d’après Muggah (2005), plusieurs personnes ne se rendent jamais à l’hôpital suite à une blessure par balle, car elles meurent sur le champ et qu’elles n’y sont pas transportées. Il importe également de noter que les données haïtiennes sur les homicides n’incluent pas toujours les personnes qui décèdent quelques jours plus tard, à l’hôpital, des suites de leurs blessures (Muggah, 2005). Suite à des conversations avec des membres de la Commission, entre quatre et cinq personnes seraient tuées chaque jour dans le pays. Ces chiffres s’apparentent à ceux estimés par Médecins Sans Frontières (MSF, 2005). Selon les informateurs de la CÉ-JILAP, il y aurait près de 1 500 victimes d’homicides dans le pays durant une année. Les chiffres présentés demeurent tout de même plus élevés que ceux de l’UNODC (2014), qui rapportait 1 033 cas d’homicides.

Une seconde limite de cette source de donnée concerne le niveau de détail rapporté. La manière dont les données étaient colligées par leur équipe diffère de la grille employée pour recueillir les données de ce mémoire, ce qui explique pourquoi certaines informations n’ont pu être rapportées. Une information intéressante qui aurait pu faire l’objet d’une analyse est l’âge des suspects et des victimes, puisque l’âge est l’un des facteurs les plus fortement associés à la criminalité (Greenberg, 1985; Hirschi et Gottfredson, 1983). Dans le cas de nombreux crimes, incluant l’homicide, la criminalité atteint un sommet entre l’âge de 15 et 24 ans et près de la moitié des individus arrêtés pour des crimes avaient moins de 30 ans (Snyder, 2012).

Kanazawa et Still (2000) avancent que la proportion de jeunes hommes âgés entre 13 et 34 ans est un excellent prédicteur de crimes tels que les meurtres, les vols, ainsi que les agressions sexuelles, et ce, à travers le monde. En Haïti, près de 60% de la population serait âge de moins de 30 ans et la proportion de jeunes âgés entre 15 et 29 ans continue à augmenter (Daumerie et Hardee, 2010). Les données répertoriées par la CÉ-JILAP n’avaient que l’âge de la victime pour un peu plus de 30 victimes, soit approximativement 3% de l’échantillon. Parmi ces cas, près de la moitié étaient âgés entre 18 et 39 ans, ce qui pourrait être indicateur qu’une majorité de crimes impliquent des individus dans cette tranche d’âge. Ces données doivent toutefois être interprétées avec une grande réserve. Le faible taux de cas où l’âge est répertorié ne nous permet donc pas de mesurer avec précision le lien entre l’âge de la victime et l’homicide.

Une dernière limite des sources de données est le manque de suivi pour les cas moins proéminents. Lors d’une visite à la CÉ-JILAP, les employés ont indiqué qu’ils tentaient d’obtenir des informations. Toutefois, étant donné le nombre de cas élevé, la main-d’œuvre de la Commission n’effectue pas de suivis pour chacun des cas. Les informations parcellaires font en sorte que de nombreux cas se retrouvent dans la catégorie « autres » ou « motif inconnu ». De surcroit, les données colligées par la CÉ-JILAP incluent uniquement les tentatives d’homicides qui ont été commises hors de la zone métropolitaine. Même si ces personnes ne meurent pas immédiatement après l’incident, il est possible qu’elles décèdent quelques semaines ou quelques mois après celui-ci, à l’hôpital ou ailleurs, faute de soins adéquats suite à leurs blessures. La Commission a également recensé de nombreux cas impliquant des individus retrouvés inanimés dans la rue pour une raison inconnue et ayant été transportés à l’hôpital. Pour des raisons méthodologiques liées à la définition d’homicide, ces cas n’ont pas été inclus dans les analyses. La corroboration à l’aide des données provenant des hôpitaux permettrait de diminuer le chiffre noir de la criminalité fatale, sans toutefois offrir des informations approfondies au sujet du motif des homicides.

Cette étude comporte également des limites méthodologiques. Le choix de l’année 2012 est justifié par la disponibilité de cas pour l’ensemble du pays et non seulement pour la zone métropolitaine. Ces données constituent un portrait figé de la situation des homicides en Haïti, durant une année qui a été particulièrement meurtrière. Cependant, elles ne permettent pas d’établir des tendances criminelles claires et d’effectuer des analyses de séries chronologiques. Il serait pertinent d’étudier l’évolution des homicides durant les 30 dernières années dans ce pays. Les tensions politiques vécues durant la fin des années 80 et au milieu des années 90, ainsi que le tremblement de terre qui a frappé le pays en 2010 sont tous des événements qui ont pu avoir un impact considérable sur la recrudescence de la violence meurtrière en Haïti (Meudec, 2007; Kolbe et al., 2010). Durant ces périodes, il est probable que l’incidence de certains types de crimes ait été plus élevée. Par exemple, lors des coups d’état, la violence perpétrée par certains groupes armés affiliés à l’État ou encore celle qui se produit durant des manifestations risque d’augmenter considérablement (CÉ-JILAP, 2014a). Suite

au séisme de 2010, les haïtiens vivaient dans une situation très précaire et entassés dans des tentes insalubres et la criminalité en général avait augmenté (Kolbe et al., 2010, Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique, 2014). Des analyses visant à comprendre l’influence de certaines périodes sur la criminalité dans le pays aideraient à confirmer ou à infirmer des idées au sujet d’Haïti.

4.2.2 Limites des données de l’EMH

Les questionnaires de l’EMH s’avèrent être une source de données pertinente lorsque vient le temps d’estimer les différents facteurs explicatifs de la variation des taux d’homicides à travers le monde. Cette source comporte néanmoins certaines limites. Tout d’abord, comme l’indiquent Ouimet et Montmagny- Grenier (2014), l’accès à l’information concernant la criminalité varie grandement d’une nation à l’autre. Alors que certains pays disposent de nombreuses ressources, telles que des rapports de recherche et des données officielles de la police, d’autres possèdent des informations plutôt sommaires sur la criminalité. Lorsqu’il est question de taux ou de pourcentages, il est probable que ces estimés soient moins fiables. Il importe tout de même de préciser qu’à des fins d’analyse, les questionnaires qui des répondants qui ne semblaient pas avoir compris plusieurs questions, ou encore ceux qui étaient incomplets, ont été éliminés.

Une seconde limite des données de l’EMH est la variation entre le nombre de répondants dans les pays analysés. Malgré l’envoi de courriels personnalisés, le taux de réponse a été de l’ordre de 10% (Ouimet et Montmagny-Grenier, 2014). Le Canada (n = 55), les États-Unis (n = 25), le Mexique (n = 50) et Haïti (n = 29) figuraient parmi les pays pour lesquels un bon nombre de répondants ont rempli le questionnaire. Par contre, d’autres endroits comme la République Dominicaine (n = 3), Cuba (n = 2) et le Honduras (n = 5) comptaient moins d’une dizaine de répondants. Il demeure que, malgré l’échantillon de petite taille pour certains pays, un consensus entre les répondants confirmait la validité des informations recueillies.

La dernière limite concerne spécifiquement les données des questionnaires provenant d’Haïti. Parmi les 29 répondants, plusieurs étaient des membres de la PNH. De manière générale, les policiers évitent de critiquer trop sévèrement le travail de l’organisation. De plus, les tensions entre l’institution policière et les tribunaux sont vives. Il est possible que les policiers démontrent un biais favorable face à leur travail et un biais plutôt défavorable face à celui des juges et des magistrats. Puisque plusieurs questions étaient en lien avec le fonctionnement de la police, il pourrait être intéressant de recueillir plus de données auprès des autres groupes de répondants.

Suite à la présentation des limites de cette étude, il serait important d’aborder les défis, ainsi que les pistes de solutions qui s’offrent à Haïti afin de faire face à la violence.