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Facteurs liés à la variation des taux d’homicides selon le modèle dynamique de l’EMH

3. Résultats

3.2 Données des questionnaires de l’EMH

3.2.2 Facteurs liés à la variation des taux d’homicides selon le modèle dynamique de l’EMH

Dans cette section, les résultats concernant les facteurs susceptibles d’influencer les taux de criminalité seront rapportés. Nous aborderons d’abord les conditions sociales adverses. Ensuite, les facteurs facilitant la survenue de la violence seront présentés. Finalement, le fonctionnement du contrôle social formel sera détaillé. Il importe de souligner que la majorité de ces résultats sont basés sur des opinions recueillies auprès d’informateurs clés (Ouimet et Montmagny-Grenier, 2014).

3.2.2.1 Conditions sociales adverses

Tout d’abord, Haïti présenterait certaines conditions sociales adverses propices à un taux de criminalité élevé. Dans les pays d’Amérique ayant des taux d’homicides plus faibles, comme le Canada et les États-Unis, l’âge médian de la population était plus élevé (respectivement 41.7 et 37.6 années). À titre comparatif, l’âge médian en Haïti était de 22.2, celui du Mexique de 27.3 et celui de la République Dominicaine de 27.1. Le seul pays présentant une population plus jeune que celle d’Haïti était le Honduras, dont l’âge médian était de 21.9. D’après les données colligées, les pays des Caraïbes et d’Amérique Latine présenteraient une structure démographique plus jeune que celle des nations nord-américaines.

L’inégalité est une seconde condition sociale adverse liée au taux de criminalité. Dans le cadre de cette étude, cette variable était mesurée à l’aide du coefficient Gini. Les inégalités étaient particulièrement prononcées dans les pays sud-américains et caribéens. À titre d’exemple, les coefficients Gini les plus élevés étaient ceux d’Haïti (59.2), du Honduras (57.4) et des Bahamas (52.0). Dans ces pays, une minorité de la population possédait la majorité de la richesse du pays. Les autres nations de la région étaient considérées comme étant un peu plus égalitaires, malgré les coefficients élevés. Alors que le coefficient Gini du Mexique était de 48,1, celui de Cuba était à 38.0. D’après les données officielles pour cette région, le Canada était la nation la plus égalitaire, avec un coefficient de 33.7.

En lien avec les inégalités, la pauvreté est un autre facteur associé à une forte criminalité à travers le monde (Pridemore, 2011). Lorsque le taux de mortalité infantile est employé comme mesure de la pauvreté, Haïti figure au premier rang, avec un taux de 57.0 par 1 000 enfants. Dans la même région, plusieurs autres pays comme la Jamaïque, les Bahamas, le Mexique et le Salvador avaient tous un taux de 14.0 par 1 000 habitants. Ce taux était encore plus faible au Canada et aux États-Unis (respectivement 5.0 et 6.0 par 1 000 enfants). De plus, les résultats des questionnaires de l’EMH révélaient qu’en Haïti, 68% des habitants vivraient sous le seuil de la pauvreté. Au Mexique, au Honduras et au Salvador, cette proportion serait de 52%. Dans les autres pays des Caraïbes, le pourcentage estimé de personne vivant dans la pauvreté variait entre 20 et 27%.

Selon les répondants, seulement 30% de la population dominicaine vivait en situation de pauvreté. Il est tout de même intéressant de noter que les répondants d’Haïti, de Jamaïque et de République Dominicaine considéraient que la pauvreté était un problème qui nuisait fortement à la qualité de vie de la population (M = 4.7). Au Canada, la moyenne était la plus basse (M = 3.1).

Lorsque l’ensemble des conditions sociales adverses sont prises en compte, pour Haïti, le score factoriel des conditions sociales adverses était le plus élevé, soit de 1.8. Le score de son voisin immédiat était de 0.4 et se situait près de la moyenne mondiale. Le Canada et les États-Unis étaient les pays étant les moins touchés par les conditions sociales adverses, avec des scores de -1.1 et -0.7, respectivement.

Suite à la présentation des conditions sociales adverses, la section qui suit abordera les éléments pouvant être des facilitateurs de la violence.

Tableau VII.

Conditions sociales adverses

Âge médian de

la population Pauvreté (Taux de mortalité infantile par 1

000)

Inégalités

(Coefficient Gini) Proportion de la population vivant sous le seuil de la pauvreté Perception de la pauvreté comme un problème social important Conditions sociales adverses Haïti 22.2 57.0 59.2 68.5 4.7 1.8 Canada 41.7 5.0 33.7 8.3 3.1 -1.1 États-Unis 37.6 6.0 41.1 15.5 4.1 -0.7 République Dominicaine 27.1 23.0 45.7 30.0 4.7 0.3 Jamaïque 24.9 14.0 45.5 26.7 4.7 0.4 Bahamas 31.2 14.0 52.0 26.7 4.3 0.0 Trinidad et Tobago 34.4 18.0 40.3 20.5 3.7 -0.4 Cuba 39.9 4.0 38.0 30.0 3.5 -0.6 Mexique 27.3 14.0 48.1 52.7 4.2 0.4 El Salvador 25.6 14.0 41.8 51.7 4.3 0.5 Honduras 21.9 19.0 57.4 52.0 4.8 1.0

3.2.2.2 Éléments facilitateurs de la violence

Parmi les facteurs étant considérés comme facilitant la violence à travers le monde, les tensions politiques peuvent contribuer à exacerber les comportements violents. Au Canada, où les taux d’homicides sont plutôt bas, les informateurs indiquaient que ces tensions avaient peu d’impact sur la qualité de vie d’une partie de la population (M = 2.4). De leur côté, les répondants haïtiens et honduriens estimaient que les problèmes politiques nuisaient fortement à leur qualité de vie (M = 4.5 et M = 4.8). Deux pays d’Amérique Latine et des Caraïbes où les tensions politiques semblaient beaucoup affecter la vie des habitants sont le Mexique (M = 4.0) et la Jamaïque (M = 4.2). Il est intéressant de noter que les répondants au Salvador, aux prises avec un taux d’homicide élevé, estimaient que les problèmes politiques nuisaient modérément au bien- être des citoyens (M = 3.3).

La présence d’AAF représente aussi un élément déclencheur de la violence. Alors qu’au Canada, seulement 3.4% des hommes se promenaient sur eux avec une arme, cette proportion était de 27.6% en Haïti. Aux États-Unis, un pays ne possédant pas de registre d’AAF, la proportion d’hommes portant sur eux une AAF est similaire à celle d’Haïti (25.7%). En République Dominicaine, les répondants estiment qu’un peu plus de 60% des hommes portent une arme sur eux (63.3%). Le Mexique, le Salvador et les Bahamas affichaient des pourcentages similaires à ceux d’Haïti (21.8%, 28.7% et 26.7%, respectivement).

En lien avec la circulation d’armes dans un pays, le trafic de drogues peut également être un facteur influençant les niveaux de criminalité (Kalyvas, 2006). Lorsque nous nous tournons vers les deux pays partageant une même île, les résultats des répondants diffèrent. En Haïti, le trafic de drogue international est perçu comme un problème qui affecte la qualité de vie de la population de manière modérée (M = 3.0). Toutefois, en République Dominicaine, cette problématique nuit beaucoup aux habitants (M = 4.0). Les résultats du Mexique (M = 4.4), du Honduras (M = 4.8) et de la Jamaïque (M = 3.7) sont similaires à ceux de la situation dominicaine. Le Canada, quant à lui, semble peu touché par ce problème (M = 2.1).

En examinant l’ensemble des éléments déclencheurs de la violence, les pays les plus touchés par ces facteurs sont le Honduras et la République Dominicaine. Les scores factoriels de ces deux pays étaient de 2.5 et 2.5. Haïti, les Bahamas et les États-Unis se situaient un peu plus près de la moyenne mondiale, avec des scores de 0.8, 0.5 et 0.8. Le Canada et Cuba étaient les deux seules nations à obtenir des scores factoriels négatifs, soit -0.4 et -1.8 respectivement. Avec leurs faibles taux d’homicides, ils sembleraient moins affectés que plusieurs autres pays du monde par les divers éléments pouvant contribuer au déclenchement de la violence dans un pays (UNODC, 2014). La section suivante fera état des différences concernant le contrôle social formel.

Tableau VIII.

Éléments déclencheurs de la violence

Proportion des hommes qui

portent des armes sur eux

Perception du trafic de drogue international comme étant un problème important Perception des tensions politiques comme étant un problème significatif Éléments déclencheurs de la violence Haïti 27.6 3.0 4.5 0.8 Canada 3.4 2.2 2.4 -0.4 États-Unis 25.7 3.0 3.1 0.8 République Dominicaine 63.3 4.0 3.3 2.5 Jamaïque 10.7 3.7 4.2 0.8 Bahamas 26.7 3.0 3.7 0.5 Trinidad et Tobago 15.1 3.9 2.9 0.7 Cuba 1.0 1.0 3.5 -1.8 Mexique 21.8 4.4 4.0 1.7 El Salvador 28.7 3.5 3.3 1.7 Honduras 46.0 4.8 4.4 2.5

3.2.2.3 Contrôle social formel

Dans certains pays, le travail effectué par la chaîne pénale peut être problématique, et ce, à différents niveaux. Par exemple, en Haïti, au Mexique et au Honduras, près de 50% de la population vivait dans une zone où la police était pratiquement absente (48.7%, 52.0% et 52.0%, respectivement). En République Dominicaine, qui aurait un taux d’homicide plus élevé que celui d’Haïti, seulement 30% de la population ne serait pas desservie par les services de police. En Jamaïque et aux Bahamas, tout comme au Canada, cette proportion se situerait autour de 10%.

En lien avec le fonctionnement des effectifs policiers, il est possible de noter que, pour certains types d’homicides, les taux de solution sont relativement bas. En Haïti, lorsqu’un homicide était commis dans le cadre d’une querelle, un peu moins de la moitié des cas étaient solutionnés (47.6%). Au Canada et à Cuba, elle s’élevait à près de 70% (68.0% et 70.0%, respectivement). En observant les données concernant les homicides conjugaux et familiaux, moins de 40% d’entre eux étaient solutionnés par les policiers en Haïti (37.5%). Ces proportions étaient beaucoup plus faibles en République Dominicaine (15.7%) et au Honduras (12.2%), où les taux d’homicides sont plus élevés. Les pays d’Amérique du Nord affichaient des taux de solutions plus élevés pour ces crimes, soit 67.8% aux États-Unis et 83.9% au Canada. Donc, même lorsqu’il y avait une relation entre les protagonistes, les corps policiers de certains pays ne parvenaient pas à solutionner la majorité des cas et à porter des accusations contre les présumés criminels (Bennett, 1982).

Même dans les situations où les délinquants étaient accusés, les taux de condamnation étaient tout aussi faibles. Au Canada, lorsqu’un homicide survient suite à un conflit entre criminels, près de 60% des accusés sont condamnés. Toutefois, ce pourcentage est plus bas aux Bahamas (47.7%), au Mexique (43.6%) et en Haïti (40.8%). Les haïtiens s’entendent pour dire que leur système de justice est problématique. Les résultats de l’enquête de l’EMH révèlent que les répondants haïtiens étaient ne croyaient pas que les personnes accusées bénéficiaient d’un procès juste et équitable. Ils se disaient en désaccord avec cette affirmation (M = 2.1). Des moyennes similaires avaient été obtenues chez les informateurs dominicains (M = 2.0) et mexicains (M = 2.1). Au Canada et aux Bahamas, des moyennes de 3.5 et 4.0 ont été rapportées en réponse à cette affirmation. Ces pays avaient donc une perception plus positive de la justice et de l’équité de leurs tribunaux.

Ils déplorent, entre autres, le manque d’indépendance des juges. Les répondants haïtiens étaient en désaccord avec l’affirmation indiquant que les juges sont indépendants et à l’abri des pressions extérieurs (M = 1.9). Une fois de plus, ces résultats sont semblables à ceux de son voisin immédiat, la République Dominicaine (M = 2.0) et du Mexique (M = 2.3). À titre comparatif, les répondants des pays comme le Canada (M = 3.5), la Jamaïque (M = 3.2) et Cuba (M = 3.0) avaient un avis plus neutre au sujet de cette affirmation.

En ce qui concerne la corruption, Haïti semblait se situer dans la moyenne mondiale. Avec un score factoriel de 0.4, son résultat est comparable à celui de la Jamaïque (0.4) et du Salvador (0.5). D’autres nations ayant des taux d’homicides plus élevés, comme la République Dominicaine (1.3), le Mexique (1.3) et le Honduras (1.5), étaient perçues comme étant plus corrompues par les répondants. Quelques pays des Caraïbes et d’Amérique Latine, tels que Trinité et Tobago (-0.1), les Bahamas (-0.4) et Cuba (-1.4) étaient moins touchés par la corruption, comparativement à la moyenne mondiale. Les États-Unis et le Canada figuraient aussi parmi les pays les moins touchés par les comportements corrompus, avec des scores factoriels de -0.7 et - 1.2.

Finalement, lorsque l’ensemble des variables mesurant le fonctionnement du contrôle social formel sont prises en compte, seuls le Canada, les États-Unis et Cuba étaient perçus comme ayant un ensemble de structures pénales opérant adéquatement. Leur score factoriel était de 0.9, 0.5 et 0.9. Haïti se situait en-dessous de la moyenne mondiale, avec un score factoriel de -0.7. À titre de comparaison, les score factoriels étaient plus élevés pour en Jamaïque (-0.7), en République Dominicaine (-1.3) et au Honduras (-2.1). Selon les répondants, ces pays dont les taux d’homicides officiels sont plus élevés que celui d’Haïti, semblaient également avoir un contrôle social formel défaillant.

Les données recueillies dans le cadre de l’EMH ont permis de situer Haïti par rapport aux autres pays de la même région. Tout d’abord, en ce qui concerne les formes d’homicides plus rares, les informateurs clés estimaient que l’incidence de lynchages et de meurtres liés à la sorcellerie serait plus élevée en Haïti, comparativement aux autres nations étudiées. En ce qui a trait aux facteurs pouvant liés aux taux d’homicides, d’importantes différences sont observés entre les pays nord-américains (Canada et États-Unis) et Haïti. Il a également été possible de constater qu’à l’exception des conditions sociales adverses, Haïti se distingue peu des autres pays d’Amérique Latine et des Caraïbes. Ceci pourrait expliquer la faiblesse du taux d’homicide haïtien, comparativement aux autres nations situées dans la même région. Les limites de ce mémoire, ainsi que les défis auquel Haïti fait face, seront abordées dans la conclusion de ce projet.

Tableau IX.

Contrôle social formel

Taux de solution des homicides conjugaux et familiaux Taux de solution des homicides commis durant une querelle Taux de condamnation des homicides familiaux Taux de condamnation des homicides commis lors de conflits entre

criminels

Pourcentage de la population vivant dans des zones où les policiers sont

absents Corruption Perception de l’indépendance des juges Perception du processus de justice comme étant équitable pour les accusés Contrôle social formel Haïti 37.5 47.6 36.9 40.8 48.7 0.4 1.9 2.1 -0.7 Canada 83.9 68.0 74.1 58.5 9.6 -1.2 3.5 3.5 0.9 États-Unis 67.8 57.5 63.7 50.7 15.5 -0.7 2.4 3.2 0.5 République Dominicaine 15.7 40.0 33.3 36.7 30.0 1.3 2.0 2.0 -1.3 Jamaïque 34.5 29.0 30.7 13.5 10.7 0.4 3.2 2.5 -0.7 Bahamas 50.0 63.3 11.3 47.7 10.0 -0.4 2.7 4.0 -0.3 Trinidad et Tobago 68.4 50.0 68.4 34.9 17.3 -0.1 2.8 3.4 -0.3 Cuba 55.0 70.0 81.5 93.0 1.0 -1.4 3.0 3.0 0.9 Mexique 46.8 46.8 47.6 43.6 52.5 1.3 2.3 2.1 -1.2 El Salvador 45.0 42.0 38.0 18.5 60.0 0.5 1.8 2.5 -1.2 Honduras 12.2 9.6 9.6 7.0 52.0 1.5 1.6 1.6 -2.1

CHAPITRE IV

DISCUSSION

4. Discussion