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1. Cadre et définition

1.14. Limites

Le sujet s’est vu redéfini par l’intitulé « Vulnérabilité et perception face aux tremblements de terre en France, 1650-1850 », car il s’est avéré que l’étude de la vulnérabilité du bâti relevait plus de l’ingénierie structurelle et de l’architecture historique. La question de la vulnérabilité est donc abordée selon l’axe social et bien moins selon l’axe biophysique. La vaste bibliographie disponible actuellement sur ce dernier axe traite principalement des bâtiments issus de la technologie du milieu du XIXe siècle à nos jours. Il s’agit de bâtiments en fer et béton principalement, matériaux qui n’existaient pas pour la période étudiée ou apparaissent en fin de période. D’autre part il s’agit le plus souvent d’identifier des pathologies sismiques et pourvoir au renforcement des bâtiments et des zones abîmées. Dans un contexte ou la valeur immobilière du bâti ancien est très élevée et très prisée, la rénovation concerne une large part de ces ouvrages. Les publications du groupe APS révèlent l’avancée dans ce domaine ces dernières années. Une tentative de méthode d’analyse de la vulnérabilité du bâti sera proposée, validée par un ingénieur de l’Institut de Recherche en Génie Civil et Mécanique de l’Ecole Centrale de Nantes. Par ailleurs cette méthode n’est indiquée qu’à titre de suggestion, la mise en place de cette dernière n’ayant pas pu être réalisée. L’étude s’est ainsi portée sur l’élément du bâti ancien qui est le plus souvent cité, car le plus vulnérable : la cheminée. Nous tenterons d’en présenter les évolutions tant intérieures qu’extérieures et de répondre à la question d’une potentielle hausse de la vulnérabilité liée à la modification des techniques de constructions des charpentes. La France du XVIIe siècle voit en effet sa couverture forestière fortement diminuer, entraînant une pénurie de bois longs, nécessaires à la construction des charpentes et plafonds. En découle une modification des techniques d’assemblages.

C’est ici une des limites de la thèse confiée à un historien : le peu de recherches en cours ou disponibles sur les périodes anciennes d’une part, l’abondance des pistes de recherches d’autre part ont conduit à une analyse pertinente mais somme toute succincte de cette vulnérabilité. De nombreuses études se sont penchées sur la vie quotidienne en milieu rural, décrivant souvent dans le détail les habitations des paysans. Cependant il est difficile de retracer les évolutions des styles régionaux. Si l’estimation à l’échelle d’un bâtiment est rendue possible par une enquête de terrain ou une description très exhaustive, l’extrapolation à un village, et plus encore à une ville ou encore à une région paraît pour l’heure impossible. Chaque bâtiment comporte en effet ses propres caractéristiques de construction, chacun a également évolué différemment au fil du temps, été plus ou moins entretenu, éléments que seule une enquête de terrain est en mesure d’apporter. Des fermes isolées se prêtent bien à l’exercice. Celui-ci se corse lorsque qu’est considérée une ville : un quartier n’est que très rarement uniforme, tant pour les techniques de constructions que pour les matériaux employés. Le problème est alors démultiplié de façon exponentielle à l’échelle d’une région.

Elément parmi les plus représentés dans les documents historiques, les cheminées sont considérées comme un indice fiable dans les échelles d’intensités. Leurs évolutions ont ainsi retenu notre attention. Le contexte de ces évolutions permet de formuler une problématique, laquelle nous avons tenté de confirmer ou d’infirmer. La France du Moyen Age et de l’époque moderne connaît moult soubresauts économiques et militaires, ou encore climatiques71. Ces évènements ont eu un

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impact sur l’environnement, mais aussi et surtout sur l’activité des Hommes. Le bois représente le matériau le plus utilisé dans les constructions, la pierre vient ensuite, principalement pour les édifices remarquables ou encore pour servir de fondations. Etudier les forêts devient dès lors très instructif : quelles essences de bois étaient les plus prisées des maçons et charpentiers ? Observe-t- on une évolution dans ces choix d’essence de bois ? Les constructions dites « à colombages » que l’on retrouve en Normandie ou en Alsace, les charpentes (y compris actuelles) donnent une idée du volume de bois nécessaire pour construire une maison type. De même le bois a toujours constitué un combustible intéressant pour se chauffer. La construction navale est un autre domaine dans lequel le bois a été très longtemps utilisé, jusqu’à l’avènement de l’acier. Il est possible de retrouver et d’estimer les volumes consommés par le passé en consultant certaines archives administratives ou liées à des forges : l’achat et le transport du bois ont laissé de nombreuses traces, tant matérielles (archives) qu’environnementales (modification du paysage)72.

Le volume de la consommation a eu un impact important sur les forêts à travers l’histoire, au point qu’une première règlementation est mise en place en 1349 (Ordonnance de Brunoy) par Philippe VI de Valois, puis de 1661 à 1669 par Colbert (Ordonnance « sur le fait des Eaux et Forêts »). Malgré cette tentative de rationalisation de la gestion forestière française, la couverture forestière de la France n’est plus que de 16 % à l’aube de la Révolution industrielle. Des études montrent la progressive disparition des bois dits « longs », nécessaires à diverses étapes des constructions (navale : pour la mâture, les coques de bateaux ; civile : plafonds, murs porteurs, charpente). Si la construction navale reste fort instructive, elle n’en sort pas moins du cadre de la présente étude et se voit citée dans le seul but d’illustrer la pénurie de bois longs et la primauté de la construction navale sur la construction civile.

Au Moyen Age les techniques de constructions se transmettent oralement, laissant ainsi peu de traces écrites. L’époque moderne voit la réapparition de traités d’architecture ou de construction, comme l’« Architecture ou l’art de bien bâtir73 » de Charles Etienne Briseux pour le milieu de la période étudiée. Ces traités reprennent les différentes techniques, les matériaux utilisés, prodiguent également des conseils. L’étude de divers traités a mis en évidence une évolution des systèmes d’assemblages, concernant tant les murs que les charpentes. Les planches du « Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle » de Viollet

Le Duc74 illustrent parfaitement ces différents systèmes.

Le graphique proposé par J. Lambert75 (Figure 10 : Mille ans de séismes en France : répartition des évènements par classes d’intensité épicentrale. Source : Base SIRENE, BRGM-EDF- IPSN, 1995.) illustre le nombre de séisme -par classe d’intensité- connus pour les milles dernières années. La courbe apposée en transparence rend compte de la couverture forestière entre 1650 et 1850. Ainsi si la question reste finalement ouverte, elle mérite cependant d’être posée : y a-t-il un lien causal entre la progressive pénurie de bois long, l’évolution des systèmes d’assemblages et l’augmentation du nombre de séismes connus, à partir des XVIe-XVIIe siècles ? Formulée autrement, cette évolution est-elle liée à une évolution de la vulnérabilité du bâti (hausse, baisse, stagnation) ?

Nous savons déjà que d’autres facteurs entrent en jeu, tels le développement de la presse, le courant de pensée des Lumières, l’évolution des connaissances scientifiques. L’ensemble de ces facteurs se retrouvent partiellement ou pleinement intégrés à la question posée précédemment.

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BURIDANT J., Le premier choc énergétique, la crise forestière dans le nord du bassin parisien, début XVIIIe- début du XIXe siècle, Mémoire d’HDR, Université Paris IV Sorbonne, Paris, 2008, 2 volumes.

73 BRISEUX Ch.-E., Architecture moderne ou l’Art de bien bâtir pour toutes sortes de personnes tant pour les

maisons des particuliers que pour les palais. Contenant cinq traités..., 2 vol., chez Claude Jombert, Paris, 1728.

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VIOLLET-LE-DUC E.-E., Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, éd. par Jean-Paul Kurtz,

Reproduction en fac-similé, 1 vol., Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Paris, 2015.

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Figure 10 : Mille ans de séismes en France : répartition des évènements par classes d’intensité épicentrale. Source : Base SIRENE, BRGM-EDF-IPSN, 1995.

1.15. Cas d’études

1.15.1. Bagnères-de-Bigorre 1660

Sur la liste initialement proposée, seuls quelques séismes ont fait l’objet d’une étude approfondie. C’est le cas du séisme de Bagnères-de-Bigorre de 1660 dans les Pyrénées (évènement n° 650009, intensité VII-VIII) : survenu au tout début de la période étudiée, cet évènement est intéressant par les diverses dimensions qui s’articulent autour de la catastrophe. Le rapport à Dieu est mêlé à des facteurs d’ordre économique et social.

L’histoire des Bagnérais a forgé leur identité à travers le temps et l’espace géographique, influençant les comportements face aux risques et aux évènements traumatiques. Ville thermale depuis l’antiquité, Bagnères et ses voisines voient la quotidienne s’organiser autour de l’activité thermale. Lorsque le tremblement de terre de 1660 la remet en question, c’est tout un pan de la société pyrénéenne qui est affecté.

1.15.2. Entre-Deux-Mers 1759

Le tremblement de terre dans l’Entre-Deux-Mers de 1759 (Gironde, évènement n° 330009, intensité VII-VIII) se situe au milieu de la période, un siècle après le précédent. Motivée par l’état des connaissances avant l’étude, c’est le cas le plus abouti. L’ensemble des éléments abordés dans la thèse se retrouvent traités ici : traitement des documents historiques, mise en contexte, utilisation et test des outils méthodologiques créés, utilisation de la cartographie. L’ensemble mène à une nouvelle interprétation de l’évènement, apportant à la fois de nouveaux documents pour les séismes survenus dans la même zone, mais aussi une explication rigoureuse et robuste du vide de source au niveau de la zone épicentrale. L’outil cartographique a démontré pour cet évènement une partie du potentiel des systèmes d’informations géographiques (SIG) et de l’intérêt d’intégrer un tel outil dans les bases de données.

La cartographie présente en effet de nombreux avantages, bien qu’elle nécessite des compétences que les historiens ne possèdent souvent pas. Rapidement chronophage, nous ne

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présenterons ici que quelques exemples réalisés avec l’aide d’un informaticien spécialisé d’EDF76. Les systèmes d’information géographiques disponibles aujourd’hui permettent une utilisation toute autre des fonds de cartes historiques, permettant la mise en lumière de nouvelles pistes de recherches, tout autant que l’illustration des données disponibles ou encore les résultats d’une étude à différentes échelles.

1.15.3. Manosque 1708

Le tremblement de terre de 1708 intervient dans un contexte historique local particulier : Manosque, qui est la plus proche de l’épicentre estimé de ce tremblement de terre d’intensité VIII (MSK 1964, Alpes de Haute-Provence, évènement n° 40005) bénéficie d’une très forte identité sociale qui se répercute sur son environnement proche et plus ou moins lointain. Dans le présent cas l’utilisation de la cartographie s’est avérée trop lourd pour pouvoir être mis en œuvre : en effet la digitalisation du plan cadastral disponible compte plus de 900 parcelles auxquelles il faudrait adjoindre les informations disponibles.

Au-delà du contexte qui nous renseigne sur la vulnérabilité de la population manosquine à travers les âges et nous permet de statuer sur les différents comportements adoptés suite à l’épisode tellurique, deux principales pistes de recherches ont été suivies. La première a consisté à croiser les données issues du rapport de visite des consuls de la ville à la suite de la catastrophe avec les données issues du cadastre le plus proche historiquement de façon à déterminer de façon certaine l’emplacement des divers bâtiments visités, pour lesquels nous disposons d’informations concernant les dégâts induits par le séisme. La seconde s’est avérée toute aussi pertinente : il s’agissait de traiter des données issues d’archives notariales concernant les propriétaires manosquins. Il s’avère en effet que ces actes notariés nous renseignent de façon très précise sur l’état des bâtiments visités lorsqu’est dressé l’acte.

Le croisement de l’ensemble de ces données fournit un tableau très complet de la situation à la fois avant l’évènement, mais aussi après. Ces informations nécessitent cependant d’être confrontées aux documents historiques disponibles afin d’en corroboré les données.

Enfin, la très forte identité manosquine et la volonté des cadres municipaux sont très intéressants à étudier dans la mesure où elles dressent le portrait d’une population à l’échelle locale avec toutes les relations (politiques, sociales, économiques, religieuses) que cela implique. Les questions touchant la vulnérabilité et la résilience sont ainsi abordées à travers le prisme de données d’origines diverses.

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Tous mes remerciements à Didier Augier-Micou pour son aide lors de la création de ces cartes ainsi qu’aux intervenants de la formation intitulée « Spatialisation des données historiques : cartographie et SIG » ayant eu lieu à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne : Léo Dumont, Hélène Noizet et Alain Dallo.

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2. Catastrophe et histoire