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3. Les séismes historiques

3.2. La recherche de nouveaux documents

3.2.3. Trouver de nouveaux documents

3.2.3.12. L’Entre-Deux-Mers

Le tremblement de terre de 1759 est relativement bien documenté et a fait l’objet de recherches par nos prédécesseurs193. Chacune à leur façon ces études ont permis de mieux appréhender la crise sismique bordelaise des années 1759-1761. Néanmoins une question subsistait quant à l’absence de sources dans la zone épicentrale. En effet la carte isoséiste présente dans SisFrance ne montre que l’emplacement de l’épicentre estimé. La zone épicentrale estimée ne comporte aucune mention de documents et les traces des recherches de nouveaux documents ne montrent pas qu’il y eut des témoignages sur le plateau de l’Entre-Deux-Mers. Le dépouillement des inventaires sommaires des archives départementales de la Gironde effectué par J. Lambert194 ne montre pas de nouveaux documents pour les registres des paroisses présentes dans la zone épicentrale.

Une des critiques qu’il est possible de faire est l’absence de carte historique pour apposer les aires isoséistes. En effet la carte historique de Cassini (bien que postérieure de quelques décennies) montre que la zone épicentrale estimée ne contient que 7 paroisses. Un simple coup d’œil à une carte

187 A.D. Vienne, 4 E 53/149-174. 188 A.D. Vienne, 4 E 55/68 100. 189 A.D. Vienne, 4 E 53/229-259. 190 A.D. Vienne, 4 E 53/283-303. 191 A.D. Vienne, 4 E 53/454-467. 192 A.D. Vienne, 4 E 1/276. 193

Entre autres : VOGT J., « La crise sismique bordelaise de 1759-1761. Mise au point de sismicité historique »,

Rapport n° 81-SGN-624-GEG, BRGM, Orléans, 1981 ; YVARD J.-C., VOGT J., « Catalogue des tremblements de terre

ressentis à Bordeaux », Bulletin de la Société linnéenne de Bordeaux, t. 30, 2002, p. 17-28 ; FAURE J., LEVRET A.,

Complément à l’analyse de la sismicité historique du Bordelais, Note technique DSN/SERS n°147, 1979 ; QUENET

G., « Le tremblement de terre de Bordeaux du 10 août 1759 vu par un compagnon vitrier », Hypothèses, n° 1, 2000, p. 39-46 ; QUENET G., Les tremblements de terre…, op. cit., 2005, p. 29.

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LAMBERT J., « Dépouillement d’une sélection d’archives relatives au tremblement de terre du 10 août 1759 en bordelais », BRGM, 2009 ; LAMBERT J., « Suite du dépouillement d’une sélection d’archives relatives au tremblement de terre du 10 août 1759 en bordelais », BRGM, 2010. Ce travail est indiqué à poursuivre.

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topographique195 combiné aux données disponibles sur le plateau de l’Entre-Deux-Mers fait apparaitre une zone escarpée, aux coteaux abrupts et aux ravines profondes, parcourues de rivières rejoignant tantôt la Dordogne au nord, tantôt la Garonne au sud. Cela constitue un premier élément pour la répartition potentielle de la population au XVIIIe siècle. L’atlas de Trudaine196 et la carte de la Guyenne de Belleyme197 présentent des échelles plus petites, il est ainsi rendu possible de jouer avec les échelles. La zone est partiellement boisée, là où il n’y a pas de paroisses, mais bien plus des fermes isolées et des gentilhommières. Y a-t-il une raison pour que les habitants du plateau n’aient pas témoigné du tremblement de terre de ce 10 août 1759 ? En tant que néophyte en sismologie au début de cette thèse, la première idée fut de suspecter des effets de sites dus à la topographie. Cette possibilité a vite été écartée par les encadrants compétents de la thèse. Il fallait alors trouver une autre piste de recherche qui pourrait expliquer cet état de fait.

La bibliographie est abondante concernant l’histoire de la Guienne (ou Guyenne), que ce soit vis-à-vis de son histoire politique, religieuse, militaire ou encore commerciale. C’est ce dernier point qui a mené à chercher de nouveaux documents dans les fonds notariés : le Bordelais est historiquement une région viticole. En effet la culture et la production viticole198 y sont attestées dès l’antiquité par les romains. Ce goût pour la bonne chair ne semble pas avoir quitté les habitants qui, au XVIIIe et grâce à la découverte du nouveaux monde et du développement commercial européen connaît un essor prodigieux. La carte de la couverture viticole du Bordelais au XIIe siècle montre déjà une production intéressante199 tandis que celle du XVIIIe siècle démontre l’expansion de cette culture. Il est toutefois une particularité à cette expansion : il faut différencier la couverture viticole du volume de production. Si les environs de Libourne montrent une couverture dense, de même que le sud de la Garonne et la banlieue bordelaise, le delta de l’Entre-Deux-Mers n’est pas en reste quoique moins dense. Et pourtant c’est au niveau de ce delta que la production de vin est la plus conséquente, conjointement à la zone située sur la rive ouest de la Garonne, en face du Blayais. Cette situation peut s’expliquer par le nombre de petits exploitants qui vendent leur production à des grossistes, ceux-là même qui mettent le vin en tonneaux. Afin de réduire les coûts de production, ces derniers centralisent. Nous observons néanmoins que la banlieue bordelaise, appartenant en grande partie à l’aristocratie de Bordeaux, produit elle-même son vin, le volume de production équivalant à la couverture viticole. De même au sud où le domaine de Montesquieu produit autant de vin blanc que de vin rouge par exemple. La majeure partie des tonneliers du royaume résidait alors dans la région au XVIIIe siècle. Ce fait est notamment attesté par les archives notariales. Dans une région où le commerce vers les îles et le nord de l’Europe est plus que florissant (Bordeaux étant le premier port français devant Marseille), on retrouve de nombreux notaires dans la région. Or la répartition géographique des études notariales est équivalente à celle des paroisses qui entourent la zone épicentrale estimée. La carte de la répartition des notaires montre que 87 notaires étaient en activité à Bordeaux, 6 à Villegouge, 9 à Libourne, 10 à St-Emilion, 8 à Cadillac, 10 à St-Macaire et encore beaucoup d’autres répartis tout autour de l’Entre-Deux-Mers.

Au vu du nombre de notaires, la recherche de nouveaux documents dans les fonds notariés s’avère statistiquement pertinente. Quatre cantons ont été sélectionnés lors de la recherche aux archives de la Gironde : les cantons de Carbon-Blanc correspondant à la zone située après le delta de

195 Il n’est nullement question d’entrer dans le champ d’investigation des géologues, géographes et autres chercheurs plus compétents.

196

Arch. Nat., Cote CP F 14 8458.

197 Cette carte présente une échelle double de celle de Cassini, permettant de soigner la topographie et de différencier de nombreux éléments (forêts, routes, réseau hydrographique, limites, etc.). Disponible en partie en ligne sur le site des archives départementales de la Gironde :

http ://archives-num.cg24.fr/pleade330/pages/carte_belleyme.html 198

La production vinicole doit être dissociée de la culture viticole : la production peut ne pas se faire sur le lieu de culture. En l’occurrence la région bordelaise concentre ces deux activités, en plus de la tonnellerie.

199

HIGOUNET Ch., Histoire de Bordeaux, Laboratoire de cartographie historique CROS Bordeaux-III, t. 2, Bordeaux, 1963.

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l’Entre-Deux-Mers et au plateau, de Fronsac au nord du plateau, celui de Libourne à l’Est, et de Créon au sud. Ces cantons ont été choisis pour leur situation géographique et la disponibilité des sources potentielles. Ce type de recherche devient vite chronophage, il est donc important de bien préparer l’étude en amont afin de gagner du temps une fois sur place. Il ne faut donc pas hésiter à prévoir plus d’une semaine de recherche. C’est une durée minimale de par les difficultés rencontrées lors de la lecture des sources qui sont manuscrites et nécessitent donc d’être déchiffrées. Par ailleurs la levée de documents présents dans les magasins prenant du temps et étant soumise à approbation du directeur de salle, il n’est pas possible de demander beaucoup de documents, même si des exceptions peuvent être faites200. La patience nous a mené à sélectionner 14 notaires en activité à la date du tremblement de terre du 10 août 1759. Sur l’ensemble des fonds dépouillés, seuls 15 documents ont été retenus, car mentionnant des dégâts matériels tels que des ruines, des lézardes ou encore des planchers menaçant de s’effondrer. Néanmoins pas une seule fois les mots « tremblement » ou « secousse(s) » n’ont été rencontrés201. Loin d’être une évidence, il faut repréciser que nous traitons ici des archives notariales, soit des testaments ou autres documents faisant état du mobilier et de l’état général du bâti. Les causes des dégâts n’ont ici pas lieu d’être mentionnés. Le travail de l’historien s’arrête donc ici. Le relai se doit d’être pris par des architectes, conjointement avec le support d’historiens pour statuer sur la nature des dégâts et pouvoir ainsi se positionner sur l’origine la plus probable de ces derniers. L’analyse des pathologies du bâti ancien et du comportement du bâti sont aujourd’hui relativement bien connus pour permettre de préciser si les dégâts mentionnés peuvent être dus au tremblement de terre ou non. La mission conjointe menée avec G. Poursoulis n’a malheureusement pas permis de statuer sur ces documents.

200

L’auteur adresse ses sincères remerciements au personnel des Archives Départementales de la Gironde. 201 Quel que soit l’orthographe retenu : tramble, tramblement, tremblement, tremble, terre tremble par exemple.

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