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4. SisFrance

4.4. La filiation des sources

Une fois en possession des documents, intervient la phase de filiation des sources : le but est de séparer les sources selon leur type (première ou seconde main ou de bibliographie pour reprendre les termes de P. Alexandre) afin de mettre en évidence les sources contemporaines du tremblement de terre. Ce processus permet d’écarter les documents produits à posteriori et d’identifier les copies.

Il y a plusieurs éléments de filiation à prendre en considération : nous en dénombrons principalement quatre, qui peuvent être élargis en fonction du type de documents. Tout d’abord la « reprise textuelle avec mention » : un auteur écrit à propos du tremblement de terre ; il n’y a pas assisté lui-même et reprend donc à son compte les informations d’un témoin de l’évènement qu’il juge fiable, en le mentionnant clairement, parfois même avec une référence. Dans le cas du tremblement de terre de Bagnères-de-Bigorre de 1660, E. Forestie209 mentionne in extenso les « Mémoires de Natalis » concernant la ville de Montauban. De même en 1906 M. Lanore210 dans la « Revue des Hautes-Pyrénées » cite le registre des baptêmes de 1660 pour la commune de Posac. Dans ces deux cas il est facile de remonter à l’original, soit la source primaire.

Le tremblement de terre de Vendeuvre de 1704 (n° 370008) est un évènement assez peu documenté au regard d’autres d’intensités plus élevées. En effet la base SisFrance référence seulement 25 sources, contre 89 pour celui de Bagnères-de-Bigorre de 1660 (n° 650009, Iepc=VIII-IX),

une centaine pour Loudun 1711 (n° 860004, Iepc=VII-VIII) ou encore 51 pour celui de l’Entre-Deux-

Mers de 1759 (Iepc=VII-VIII) au début de cette thèse. La séparation des sources fait apparaître neuf

registres paroissiaux, deux inscriptions, un mémoire, un livre de raison et un papier mémorial. Nous connaissons ce dernier document par l’intermédiaire de Piet-Lataudrie211 qui le publie dans les « Mémoires de la société de statistique, sciences, lettres et arts des Deux-Sèvres » en 1887. Une première filiation donc. Considérons maintenant la source suivante, soit la communication de l’abbé Gallerand212 dans les « Mémoires de la société des sciences et lettres du Loir-et-Cher » en 1926 : sa communication porte sur le Journal d’un Bourgeois de St-Aignan sous Louis XIV, document dont l’original reste à acquérir. De même nous ne disposons pas du document original qui fut transmis à J. Lambert par l’intermédiaire des archives départementales du Cher en 1984 concernant les Mémoires d’Etienne Gassot213. Ce même document est publié pour la première fois en 1881 par A. de La Guere puis mentionné par H. Duchossoy en 1884. Il n’y a pas trace que J. Lambert l’ait utilisé dans une étude, probablement parce que le document était déjà connu. Afin de ne pas alourdir le tableau, il n’y aura pas de flèche entre ces Mémoires d’E. Gassot et J. Lambert, mais seulement jusqu’à « La Guere A., 1881 » puis « Duchossoy H., 1884 ».

J. Lambert a cependant étudié (ou ré-analyser) et trouver de nouveaux documents : il s’agit des registres paroissiaux de St-Christophe de Vatan214 [Indre], d’Andillé215 et de Verrue216 [Vienne]. Le

209 « Un tremblement de terre à Montauban, le 21 juin 1660, d’après les mémoires de Natalis », édité par FORESTIE E., dans Notices historiques ou éphémérides montalbanaises et du Tarn-et-Garonne, Montauban, imp. Forestie, 1882.

210 LANORE M., « Le tremblement de terre de 1660 à Bagnères », Revue des Hautes-Pyrénées, t. 1, Tarbes, 1901. 211

« Papier mémorial de la famille Bastard 1585-1721 », cité dans PIET-LATAUDRIE P.-A., Mémoires de la

société de statistique, sciences, lettres et arts des Deux-Sèvres, t. 4, sér. 3, Niort, 1887.

212 GALLERAND (abbé), « Le journal d'un bourgeois de St-Aignan sous Louis XIV », Mémoires de la société des

sciences et lettres de Loir-et-Cher, t. 26, 1926.

213

« Mémoires d'Etienne Gassot, Sieur de Priou (1691-1715) », cité dans DUCHOSSOY H., « Climatologie du département du Cher », Mémoires société historique Littéraire et scientifique du Cher, t. 1, Série 4, Bourges, 1884. 214 A.C. Vatan [Indre], Reg. par. de Saint-Christophe de Vatan.

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registre de Vatan avait déjà été mentionné en 1987 par G. et S. Le Duc, sans autre analyse. J. Lambert revient sur ce registre pour ajouter quatre nouveaux repères à la base de données SisFrance, à savoir dans l’Indre : Vatan, Levroux, Issoudun et Graçay dans le Cher. C’est ici que s’opère la rupture entre la recherche de nouveaux repères macrosismiques et la recherche historique : dans son rapport au BRGM, les nouveaux repères seront annotés « code R » pour ressenti dans la base de données, sans préciser si des recherches dans ces quatre localités ont été opérées ou non.

Une recherche aux archives départementales est donc nécessaire afin de statuer si des documents mentionnant l’évènement sont disponibles ou non. Si tel est le cas alors la source est considérée comme fiable, dans le cas contraire il faut rechercher les causes qui pourraient expliquer qu’elles ont été mentionnées par le curé Caignault à Vatan sans en avoir elles-mêmes parlé. Ces localités sont indiquées dans le tableau lorsque cela est possible dans des encadrés noirs pointillés pour signifier qu’une recherche reste à faire. Il en va de même pour le registre paroissial de Vendeuvre217 présent aux archives départementales de la Vienne qui stipule que l’archiprêtre Dissay fut envoyé par Monseigneur Jean Claude de Poype de Vertrieu, digne évêque de Poitiers « pour faire la visite de tout le désordre de nostre église dont il a dressé son procez verbal en présence des principaux habitans qu’il a convoqué au son de la cloche ».

Or il n’y pas trace de ce procès-verbal dans la base de données SisFrance ; c’est un document qui pourrait s’avérer précieux pour juger des dommages survenus dans l’église, notamment pour le montant des dégâts. Les registres paroissiaux d’Andillé et de Verrue sont tous deux analysés par J. Lambert en 2007, deux flèches les relient donc. De même il a étudié celui de Cigné218 en Mayenne, une flèche de plus. Le journal d’un bourgeois de St-Aignan est ensuite utilisé par deux auteurs, l’abbé Gallerand en 1926 qui en communique un résumé d’intérêts et Guyonnet219 en 1981 qui édite le texte, deux flèches supplémentaires. Ce sont ensuite deux inscriptions gravées dans la pierre qui composent les sources primaires ; ces dernières sont citées par La dépêche du Centre220 en date du 26 janvier 1924 ainsi que par J.-M. Couderc221 en 1995. Couderc ne précise pas comment il eut connaissance de ces inscriptions. Le doute subsiste quant au fait qu’il en ait trouvé mention dans La dépêche du Centre. Conséquemment, les flèches seront communes des deux inscriptions à « La dépêche du Centre du 26.01.1924 » et à « Couderc, 1995 ».

La suite concerne le registre paroissial de Radegonde, dans lequel le curé de la paroisse indique que le tremblement de terre fut ressenti à Tours ; information reprise par L. de Grandmaison222 en 1905 dans les Mémoires de la Société archéologique de Touraine. Cette référence nous vient par ailleurs de H. Grimaud223 en 1909. C’est vraisemblablement Grimaud que La dépêche du Centre aura recopié : le texte diffère mais ce sont exactement les mêmes informations qui sont données, dans le même ordre. La flèche va donc du registre de Radegonde224 à L. de Grandmaison, puis à H. Grimaud pour enfin rejoindre La dépêche du Centre. Il y a une connexion probable entre J.-M. Couderc et L. de Grandmaison ou H. Grimaud, mais en l’absence de preuve tangible, les flèches ne l’indiquent pas. Les deux dernières sources primaires proviennent des inventaires sommaire des Archives d’Indre-et-Loire, série E supplément pour Azay-le-Rideau225 et Lignières226.

215

A.D. Vienne, Reg. par. d’Andillé, Registre 1693-1704. 216

A.D. Vienne, 5 Mi 0856, Reg. par. de Verrue, Registre 1701-1715. 217 A.D. Vienne, 1703-1704, 5 Mi 1041, Reg. par. Vendeuvre, MS (vue 88). 218

A.D. Mayenne, E dépôt 51 E 5, Reg. par. de Cigné, Registre 1700-1710. 219

« Le livre de raison d'Alexandre de la Borde (1690-1737), bourgeois de St-Aignan [Loir-et-Cher] » cité dans GUYONNET R. (publ.), Revue mun. de St-Aignan-sur-Cher, St-Aignan, 1981.

220

La dépêche du Centre, 26 janvier 1924. 221

COUDERC J.-M., « La Touraine : une région sismique », La Touraine insolite, série 3, Chambray-les-Tours, 1995. 222 GRANDMAISON L. (de), « Les registres d’état civil du canton de Tours-Nord », Mémoires de la Société

archéologique de Touraine, t. XLIV, p. 366.

223

GRIMAUD H., « Les tremblements de terre en Touraine », Bull. Soc. Archéol. de Touraine, t. 17, 1909. 224

A.D. Vienne, Reg. par. de Sainte-Radegonde.

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Il serait pertinent de retourner à l’original afin d’être certain que les sources disponibles ne sont pas des extraits. Une lettre du directeur des Archives départementales de l’Indre-et-Loire datée de 1979 adressée à J. Lambert l’informe que l’original n’est pas en dépôt dans ses locaux mais plutôt dans les archives de la commune. Le directeur en fournit la copie. Une flèche pointillée relie ainsi ces deux sources à J. Lambert qui fut en mesure de les analyser. Il n’y a cependant pas trace de ces analyses.

Cette dernière remarque est d’importance pour l’avancée de la recherche en sismicité historique : la traçabilité doit avoir sa place au sein des travaux de sismicité historique afin que les chercheurs qui travaillent sur le même sujet puissent chacun ajouter leurs contributions, leurs pierres à l’édifice. C’est tout l’intérêt de la création d’une méthode de lecture des tremblements de terre anciens : chaque chercheur applique rigoureusement les étapes, permettant d’affiner les résultats, les corriger si besoin.

Les faux documents, les multiples sont ainsi mis à l’écart, comme on a pu le constater, mais aussi les erreurs de dates, de lieux, les anachronismes. Ainsi pour le tremblement de terre de 1660 à Bagnères-de-Bigorre, il est important de situer les sources, certaines sont placées à Bagnères-de- Luchon, d’autres à Bagnères-de-Bigorre. Or ces deux villes sont éloignées de pas loin de 86 kilomètres ! La première est proche de Lourdes : c’est une ville thermale reconnue et prisée déjà au XVIIe siècle, tandis que la seconde est située près de la frontière espagnole. Toutes deux sont situées à proximité de rivières, mais Bagnères-de-Bigorre est également à proximité d’une route importante. Les deux villes ont très probablement ressenti le tremblement de terre de ce 21 juin 1660 à 4 heures du matin. Cependant c’est de Bagnères-de-Bigorre dont il est le plus question dans les sources disponibles. Cet exemple montre bien l’importance à accorder aux détails et leur traçabilité afin que le travail déjà effectué n’ait pas besoin de l’être à nouveau.

Dans le cas du tremblement de terre de 1799 dans le marais breton, ce sont les articles de presse de différents journaux locaux ou régionaux qui sont mentionnés. Il n’est pas fait mention dans SisFrance des recherches qui ont été effectuées : les journaux étant plus faciles d’accès et plus facilement lisibles, les registres paroissiaux ont-ils été délaissés ? Seuls deux registres sont présents dans la base de données, les registres de Concoret227 et de Bourgneuf228. Un troisième registre est également présent mais concerne les délibérations municipales d’Herbignac. Dans un cas comme celui-ci, il faut pouvoir établir une filiation entre les différents articles de journaux. C’est alors que nous rencontrons les trois autres éléments de filiation : « reprise textuelle sans mention », « plagiat », « filiation par localités mentionnées ». Si les deux premiers éléments sont parlants, le dernier l’est un peu moins : certains journaux reçoivent des lettres de leurs correspondants. Dès lors ils ont le choix entre publier la lettre in extenso et mentionner l’auteur, soit reprendre l’information sans en mentionner l’auteur. Cette dernière démarche est la plus fréquente, c’est ainsi que l’on peut lire dans « Le Bien Informé » en date du 11 pluviôse an VII229 : « On écrit de Caen… » suivent les informations concernant les secousses et leur direction dans la ville. Détaillons donc : le « Bien Informé » a obtenu des informations de Caen et les publie le 11 pluviôse, sans mentionner le ou les auteurs de cette information. Il est alors nécessaire de construire un tableau référençant les localités citées dans ces articles. Le but est multiple : être organisé et gagner du temps par la suite, mais aussi construire une chronologie de l’évènement, rendue possible par la succession des articles de journaux. C’est le grand avantage de cette période d’avènement de la presse qui permet de se représenter le parcours et la diffusion de l’information à travers le royaume. Les références sont apposées en abscisse selon leurs dates de parution tandis que les localités mentionnées dans ces derniers sont rangées en ordonnées. Nous obtenons ainsi comme le montre l’extrait du tableau construit pour le tremblement de terre de 1799 la diffusion des informations relatives à T0 jour du

tremblement de terre puis T+1 etc.

226

A.D. Indre-et-Loire, Reg. par. de Lignières [Indre-et-Loire], Inventaire Impr., Registre 1702-1721, t. 1, série E, supplément. 227

ROPARTZ S., Le registre de Concoret, mémoires d’un prêtre réfractaire pendant la Terreur, Saint-Brieuc, 1853. 228

A.D. Charente-Maritime, Registre des délibérations municipales de Bourgneuf. 229 Le Bien Informé, 11 pluviôse an VII.

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Le tremblement de terre survient dans la nuit du 5 au 6 pluviôse, vers 4h. Dans la journée du 6 pluviôse, deux journaux publient l’information : la « Feuille nantaise230 » et « L’ami de la liberté231 ». Ils mentionnent deux localités différentes, Nantes et Angers. Quatre jours après, la « Feuille du jour232 » traite à nouveau du sujet mais mentionne cette fois sept localités autres qu’Angers et Nantes. Le 13 pluviôse se sont des informations sur la Normandie qui sont données, tandis que le 20 pluviôse ce ne sont pas moins de seize localités qui sont mentionnées, dont sept qui ne l’étaient pas auparavant. En présence de registres paroissiaux, la filiation est plus aisée, car il s’agit généralement de textes courts et concis. Les copies sont le plus souvent facilement identifiées par l’emploi des mêmes termes.

Tableau 1 : Mention par la presse nationale des localités touchées par le tremblement de terre de 1799, d’après les données issues de SisFrance. Source : FRADET T., 2015.

Feuille nantaise, 6 pl. L'ami de la liberté, 6 pl. Feuille nantaise, 8 pl. Feuille du jour, 10 pl. Feuille nantaise, 10 pl. Le Bien informé, 11 pl. Gazette Nationale, 11 pl.

Nantes Angers Nantes Nantes Paimboeuf Caen Laval

Angers Boin Rennes Nantes

La Flèche Nantes Courtagis La Flèche

St-Maixent Noirmoutier Nantes Rouen

Le Ferté-Bernard Beauvoir

Laval Angers

Rouen Rennes