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La CMC : un terrain fertile pour la sociolinguistique

2.2 Qui sont les internautes ?

2.3.1 Hors ligne

La question des différences d’intérêts entre femmes et hommes a été étudiée par différentes disciplines dont la psychologie, la psychologie sociale

et la sociologie. Certain·es chercheur·es ont exploré les différences entre femmes et hommes en analysant leurs conversations. La plupart d’entre eux se sont toutefois davantage intéressés à la façon dont les conversations sont menées, mettant en lumière les styles communicatifs des hommes et des femmes, plutôt qu’aux sujets évoqués (Dunbar et al., 1997).

L’étude de Moore (1922) est considérée comme un travail pionnier sur les centres d’intérêt par l’observation des conversations. Chaque soir, pen-dant plusieurs semaines, Moore s’est promené lentement sur l’avenue de Broadway à New York. Lors de ses déambulations, il a recueilli des frag-ments de conversations qu’il a ensuite analysés. Il a remarqué que quand les femmes parlaient avec des femmes, leurs conversations tournaient au-tour des hommes ou des vêtements, de leurs appartements ou maisons et de la décoration intérieure. Les hommes, quant à eux, parlaient davantage d’argent, de travail et de loisirs.

En 1990, Bischoping (1993) a reproduit l’expérience de Moore à l’uni-versité du Michigan, chargeant ses étudiant·es d’écouter des conversations dans une salle de classe, dans la salle du syndicat étudiant et dans plu-sieurs cafétérias. Elle souhaitait comparer ses résultats avec ceux de son prédécesseur et savoir si les sujets de conversation avaient évolué. Les 262 conversations écoutées par ses étudiant·es révèlent qu’en 1990, les femmes parlaient davantage de travail, d’argent et de loisirs que 88 ans auparavant. Elle note toutefois que les différences entre les sexes persistent, même si elles se sont atténuées. Dans cette même étude, Bischoping analyse les ré-sultats de huit autres travaux sur les sujets de conversation des hommes et des femmes (Carlson et al., 1936 ; Kipers, 1987 ; C. Landis, 1927 ; M. Lan-dis & Burtt, 1924 ; Meil, 1984 ; Sleeper, 1930 ; Stoke & West, 1930 ; Watson et al., 1948, tous cités par Bischoping). Elle en conclut que, dans toutes les études, les femmes parlent plus des gens, des relations et de l’apparence physique que les hommes, et que les hommes évoquent davantage des su-jets liés au travail, à l’argent et aux questions politiques et sociales. Elle note que les hommes parlent davantage des loisirs, mais que, dans plu-sieurs cas, cette différence peut être attribuée au seul fait que les hommes semblent s’intéresser davantage au sport que les femmes. Par leur objec-tif (la recherche de différences) et leur conception du genre (essentialiste), ces études amplifient bien souvent les différences entre femmes et hommes. Bischoping (1993) relativise par ailleurs les résultats des études réalisées, soulignant que la façon dont les catégories (travail, famille, etc.) sont créées et la façon dont une conversation est placée dans une catégorie peuvent être subjectives et donc influencer les résultats.

Dunbar et al. (1997) ont utilisé une méthodologie similaire, observant à leur insu les conversations d’étudiant·es dans les universités de Londres et Liverpool. À la différence de leurs prédécesseur·es, ils ont tenté de détermi-ner avec davantage de précision la proportion de temps consacrée à chaque thème. Leurs résultats diffèrent considérablement de ceux des études pré-cédentes. Ils révèlent une seule différence significative : les hommes par-laient plus de travail et d’études que les femmes. Cette différence était am-plifiée quand les hommes étaient en présence de femmes. Les chercheur·es

notent également une différence dans les conversations sur des sujets tech-niques, mais indiquent qu’elle est obscurcie par un grand nombre d’obser-vations zéro (c’est-à-dire de personnes qui n’en parlent pas). Aucune diffé-rence n’a été relevée dans les thèmes liés aux expériences personnelles et aux questions sociales. L’étude montre, enfin, que les personnes plus âgées parlent moins de leurs expériences personnelles que les plus jeunes, et que cette tendance est particulièrement marquée chez les hommes.

Les centres d’intérêt des femmes et des hommes ont également été étu-diés par le biais de questionnaires, les chercheurs demandant aux sujets de quels thèmes ils parlent le plus souvent, et à quelle fréquence. Haas et Sherman (1982) se sont intéressé·es aux conversations entre personnes de même genre ; ils notent que les sujets de conversation privilégiés dépendent des personnes à qui on s’adresse, et que ceux-ci sont les mêmes pour les femmes et les hommes (le travail avec un·e collègue, la famille avec un pa-rent ou un enfant, les personnes de « l’autre sexe » avec un·e ami·e). Les dif-férences concernent la musique et le sport, privilégiés par les hommes, et les relations, la cuisine et la mode, privilégiés par les femmes. En utilisant une méthode similaire, Aries et Johnson (1983) ont trouvé que les hommes parlent moins que les femmes, et discutent des sujets liés aux domaines « extérieurs » davantage qu’elles. Sehulster (2006) a également utilisé un questionnaire pour étudier les sujets de discussion de 515 étudiant·es amé-ricain·es. Il remarque que les hommes disent parler moins que les femmes. Ils parlent davantage de loisirs qu’elles, tandis qu’elles préfèrent les sujets liés à la famille, aux relations amoureuses et aux ami·es.

2.3.2 En ligne

Avec internet et l’essor considérable des forums et réseaux sociaux, les méthodes utilisées pour étudier les centres d’intérêt ont évolué. Ces pla-teformes offrent une opportunité inédite d’étudier les centres d’intérêt des hommes et des femmes, en donnant aux chercheurs l’accès à une immense masse de données. Plusieurs techniques quantitatives et qualitatives ont été utilisées pour explorer les sujets de discussion. De manière générale, les tendances remarquées par les chercheurs hors ligne semblent égale-ment exister en ligne. Les femmes y parleraient davantage de la maison et des relations sociales que les hommes, qui évoqueraient davantage des thèmes liés au travail, au sport, à la politique et à la religion (Schwartz et al., 2013 ; Thelwall & Stuart, 2018 ; Wang et al., 2013).

Twitter, qui donne librement accès à ses données publiques à qui sou-haite les exploiter (« About Twitter’s APIs », p. d.) est un des espaces privi-légiés par les chercheur·es qui explorent les centres d’intérêt genrés. Holm-berg et Hellsten (2015) se sont intéressées aux échanges sur le changement climatique sur Twitter en comparant le contenu des tweets des femmes et des hommes ainsi que les hashtags utilisés ; elles ont trouvé que les hommes se focalisent plus sur la politique, l’économie et la science, et les femmes sur les effets sociaux de changement climatique. H. Evans (2016) a utilisé l’analyse de contenu (en classant les tweets par thèmes) pour détecter les

différences entre les thèmes évoqués par des femmes et hommes politiques sur Twitter ; elle a trouvé que si les femmes évoquent davantage des sujets « féminins » que les hommes, leur sujet de prédilection est le « business ».

Wang et al. (2013) ont analysé un million de statuts Facebook en exa-minant des clusters de mots qui apparaissent souvent ensemble et qui ont des sens similaires. Ils ont découvert que les femmes parlent beaucoup plus de relations et de leur vie personnelle que les hommes, qui ont tendance à évoquer davantage la politique et la religion, et à parler plus de sport. Ils remarquent par ailleurs que les différences entre femmes et hommes sont moins marquées chez les adolescent·es que chez les adultes. Schwartz et al. (2013) se sont également intéressés à Facebook, utilisant l’analyse de mots clés (les mots qui sont significativement utilisés plus fréquemment que les hommes, et vice versa) pour examiner les messages de 75 000 volontaires. Les résultats montrent que les femmes utilisent davantage de termes liés aux processus sociaux et à la maison, tandis que les hommes parlent plus fréquemment de travail et de leurs réussites. Thelwall et Stuart (2018) ont analysé à la fois les taux de participation des femmes et des hommes dans les 100 forums les plus populaires de Reddit et les mots les plus fréquem-ment utilisés par chaque groupe. Ils ont montré que les hommes participent davantage aux forums consacrés à l’humour, aux jeux vidéo, à l’actualité et à la politique.

2.4 Comment écrivent les internautes ?

Cette section présente les principales caractéristiques du Netspeak et du Textese (→ p. 52), puis décrit plus en détail les procédés que nous avons choisi d’étudier dans cette thèse.