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CHAPITRE 2 La refondation du mouvement zouave et la réactivation du mythe au début du XX e siècle

2.2. L’actualisation du passé dans le récit

2.2.4. Les lieux de la mémoire zouave

À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les zouaves canadiens, anciens et nouveaux, se dotèrent de

lieux où était conservée et exposée leur mémoire collective : une chapelle, un monument, un musée et les quartiers généraux des compagnies. Il a été mentionné rapidement au chapitre précédent qu’en 1895, les anciens zouaves canadiens inaugurèrent une chapelle-souvenir dédiée au Sacré-Cœur dans la cathédrale de Montréal. Ce projet visait à « protester perpétuellement de leur attachement à la cause sacrée de l’Église, et rendre en même temps hommage à la population du diocèse de Montréal qui [avait] si généreusement contribué à ce mouvement. »357 Il fut d’abord formulé par le vétéran du 2e détachement de volontaires, Henri-Anastase

Plamondon, qui le soumit au comité directeur de l’Union Allet. Ce dernier accueillit le projet favorablement comme l’expression d’« un vœu ardent des Zouaves Pontificaux ».358 De l’avis de l’ancien président de l’Union

Allet Alphonse Piché, l’idée de Plamondon était « la plus sensée et la plus belle, car, après tout, [elle] entrepren[ait] de perpétuer "in aeternum" ce que cinq cents Canadiens croyants et catholiques [avaient] fait. »359

Afin d’assurer la réalisation dudit monument, une souscription pécuniaire fut organisée parmi les anciens zouaves dont 137 se manifestèrent, y compris le général de Charette en France.360 Près de deux mille

dollars furent amassés et remis au comité de direction de l’Union Allet auquel la responsabilité du projet avait été confiée. Comme on le sait, ladite chapelle fut inaugurée le 20 septembre 1895. Avec l’accord de l’archevêque, elle fut dédiée au Sacré-Cœur de Jésus. De plus, on la décora « de façon à rappeler autant que possible, la décoration de St-Pierre de Rome » et on y installa quatre plaques de marbre sur lesquelles étaient gravés les noms de tous les volontaires canadiens.361 Ainsi, cette « page brillante de l’histoire de l’Église

canadienne » était désormais « écrite sur [le] marbre » au bénéfice de la postérité.362

Quelques années plus tard, au début du XXe siècle, les vétérans se dotèrent d’un nouveau lieu de

mémoire. Le 24 juin 1903, un monument fut inauguré sur un terrain adjacent à la cathédrale de Montréal en hommage à Mgr Ignace Bourget. Il s’agissait d’une sculpture en bronze à l’effigie de l’évêque, œuvre du sculpteur Louis-Philippe Hébert. Sur la base de granit, un haut-relief représentait Mgr Bourget en compagnie

357 Lettre de B. A. T. de Montigny à H. A. Plamondon, 1er mai 1894, ACAM, 995 040 894. 358 Idem.

359 Lettre de A. Piché à H. A. Plamondon, 3 mai 1894, ACAM, 995 040 894. 360 Lettre de H. A. Plamondon à Anonyme, 15 octobre 1894, ACAM, 995 040 894. 361 Adresse du comité de l’Union Allet aux membres, 25 janvier 1895, ACAM, 995 040 895. 362 Idem.

des zouaves pontificaux.363 Ceux-ci, d’ailleurs, participèrent au financement et à l’inauguration du monument.364

Le jour du 24, « [l]es Zouaves Pontificaux en uniformes, commandés par M. J. A. Prendergast, étaient groupés au pied du monument. »365 Leur présence répondait à une invitation de l’archevêque de Montréal qui « désirait

les voir nombreux ce jour-là et en uniforme autant que possible ». Aussi, selon Joseph Bussières, les zouaves se firent un devoir d’être présents ce jour-là, « à [leur] poste, pour former la garde d’honneur ».366

Il est à peu près certain que très peu de néo-zouaves prirent part à cette cérémonie puisque la compagnie de Québec n’avait que deux ans d’existence et celle de Trois-Rivières débutait à peine son existence. Mais la participation des vétérans à l’érection de ce monument ne s’inscrivait pas moins dans un élan de vigueur renouvelée, de refondation du mouvement associatif. C’était là, certainement, l’impression de Joseph Bussières écrivait à ses vieux camarades, le 3 avril 1903 : « […] plus que jamais l’organisation [des nouvelles recrues] est à l’ordre du jour. »367 Après quoi il rappelait aux zouaves de souscrire pour le monument. Ainsi,

cette mobilisation s’inscrivait dans la suite de la réanimation du mouvement. Le monument devait non seulement servir à rappeler le passé, mais aussi devenir un point de ralliement pour relancer la cause zouave.368

En 1927, le même désir de doter les zouaves d’un lieu propre à assurer la conservation de leur mémoire collective se manifesta de nouveau lorsque le vétéran Damien Leclair formula le projet de créer un musée des zouaves à Montréal. Contrairement aux initiatives précédentes, qui voulaient laisser une trace officielle de l’expédition canadienne à Rome, celle-ci visait à la conservation de souvenirs personnels. À partir des artéfacts conservés par les vétérans ou leurs descendants, on cherchait notamment à recréer l’uniforme complet, avec tout l’équipement, d’un officier, d’un sous-officier, d’un sergent-major, d’un caporal et d’un soldat sans grade.369 Tout comme Bussières l’avait fait avant lui, Leclair sollicitait l’aide de ses anciens compagnons d’armes

et, surtout, leur camaraderie et leur loyauté envers le régiment. Car le temps, selon lui, pressait ; il fallait faire vite, pour la postérité, avant que la mort n’ait fait son œuvre et qu’il devînt impossible de réunir ces souvenirs.370

De plus, la mobilisation des anciens zouaves devait également servir à la mobilisation des générations suivantes et de toute la population catholique de la province. Dans cette optique, le 3e bataillon du régiment des Zouaves

363 Yvette Jacques Grenier, Vie en église de Saint-Zénon de Piopolis 1871-2009, [s.l.], Micheline Allard éditrice, août 2009,

p. 66.

364 Dans une adresse datée du 3 avril 1903, le président de l’Union Allet Joseph Bussières rappelait à chaque zouave de

souscrire « suivant son moyen » pour le financement du monument à Mgr Bourget. (ACAM, 995 040 903.)

365 « La Saint-Jean-Baptiste à Montréal », Le Soleil, vol. 7, no 150, jeudi 25 juin 1903, p. 1. 366 Adresse de Joseph Bussières aux membres de l’Union Allet, 4 juin 1903, ACAM, 995 040 903. 367 Adresse de Joseph Bussières aux membres de l’Union Allet, 3 avril 1903, ACAM, 995 040 903.

368 Dans son adresse du 4 juin, Joseph Bussières écrivait encore : « Soyons, le 24 Juin [sic], aussi nombreux que possible,

autour du monument de ce grand Évêque à qui nous devons l’honneur du titre glorieux de soldats de l’Église, soyons fiers de nos droits redisons lui bien haut notre foi, notre amour et notre reconnaissance. » (Adresse de Joseph Bussières aux membres de l’Union Allet, 4 juin 1903, ACAM, 995 040 903.)

369 Lettre de Damien Leclair à Anonyme, avril 1927, ACAM, 995 039. 370 Idem.

pontificaux canadiens constitua un comité chargé de venir en aide à Leclair.371 Exprimant également son soutien

au projet, l’archevêché de Montréal mit à sa disposition « une salle dans les voûtes de sûreté de l’Archevêché pour y former un musée d’objets ayant appartenus [sic] aux Z.P.C. »372 Afin de combler les coûts d’installation

(achat d’armoires, d’étagères, de mannequins, etc.) estimés à 500 dollars, on demanda encore une fois la souscription financière des zouaves, vieux comme jeunes.

Il n’est pas certain que ce musée vît bien le jour dans les voûtes de l’archevêché. Selon une brochure de 1958, il finit par être installé au Château Ramezay où une première exposition fut organisée en 1926.373

Quelques lettres adressées à Damien Leclair confirment d’ailleurs qu’on lui envoya plusieurs souvenirs374, tandis

qu’une liste (non datée) fait état d’un don de la part d’un certain abbé Ed. Brunel.375 Ainsi, l’appel aux vétérans

porta ses fruits et les croisés canadiens purent disposer d’un lieu dédié à la conservation de leurs actions et de leurs souvenirs.

D’autres lieux encore jouèrent ce rôle, bien qu’à une échelle plus locale et plus modeste. Une bibliothèque fut installée en 1939 aux Halles Berthelot, quartier général de l’AZQ, pour mettre à la disposition des membres plusieurs livres sur l’histoire du régiment ainsi que leurs journaux associatifs.376 De plus, plusieurs

locaux associatifs abritaient des artéfacts ayant une valeur mémorielle à l’échelle de la compagnie. À Trois- Rivières, par exemple, la famille du fondateur et premier commandant de la compagnie donna son uniforme à l’association qui décida de faire fabriquer un cadre, sans doute pour l’exposer dans ses locaux au bénéfice de la postérité.377