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Lien entre drop-out et alliance thérapeutique

6. Introduction

6.5. Lien entre drop-out et alliance thérapeutique

D’un point de vu méthodologique, notre étude a pour objectif d’identifier les facteurs prédictifs des drop-outs dans un centre de crise. Nous avons émis l’hypothèse que le drop-out était aussi lié à la qualité de l’alliance thérapeutique. Ainsi, en plus des variables cliniques et démographiques, nous avons mesuré également des variables de modalités de prise en charge (changement de référents après le premier entretien et délai de prise en charge inferieur ou supérieur à 24 heures). Ces deux variables sont ainsi considérées empiriquement comme des marqueurs indirects de l’alliance thérapeutique. En effet, il a été constaté que les patients qui n’ont pas le sentiment d’avoir établi une relation positive avec leur thérapeute rompent prématurément le suivi (22). Le risque de drop-out est également accru si les représentations d’un traitement psychiatrique et psychothérapeutique sont négatives, comme le fait de considérer les traitements comme inefficaces ou d’être embarrassé de voir un spécialiste de la santé mentale (23). Reneses et al. ont également mis en évidence que l’implication de plusieurs référents thérapeutiques dans le traitement augmentait le risque de drop-out (24).

6.5.1. Le drop-out

Le terme drop-out provient de l’anglais et caractérise généralement la situation d’un étudiant ayant abandonné ses études et vivant en dehors d’un système social, mais également une personne ayant été par divers mécanismes exclue d’un corps social ou d’un quelconque environnement, pour différentes raisons (25). Le drop-out est donc associé à une notion de marginalisation.

Le drop-out du suivi médical est généralement défini comme l’abandon précoce de la thérapie. Il s’agit d’une rupture sans l’accord du thérapeute après une ou quelques séances, comme si le patient avait de la difficulté à entrer dans le processus thérapeutique proposé.

Le drop-out pourrait ainsi presque être considéré comme un agir du patient dans la relation thérapeutique.

Le drop-out est également une rupture dans la continuité des soins, notion qui est apparue après la 2e guerre mondiale dans le cadre des réformes des hôpitaux psychiatriques, qui visaient une sectorisation des soins en France dont les objectifs étaient des soins psychiatriques ambulatoires ou hospitaliers proches du lieu de vie du patient, renforçant la coordination des acteurs du dispositif. Cette sectorisation avait par ailleurs tendance à renforcer le degré d’investissement du patient dans les soins. Le patient est porteur d’un projet, par exemple de réhabilitation.

Probablement que les caractéristiques du patient et du thérapeute ne peuvent à elles seules rendre compte du drop-out. En effet, expliquer la causalité de la rupture est compliqué, car elle est parasitée par l’investissement du patient dans le cadre d’un contrat thérapeutique des soins proposés. Elle est influencée par de nombreux facteurs qui relèvent du fonctionnement psychique du patient d’une part, de ses représentations des soins, de la relation à autrui, de la notion d’engagement et aussi de l’adéquation du dispositif de soins d’autre part.

Le taux de drop-out d’un traitement psychiatrique ambulatoire est très variable et dépend de sa définition, des caractéristiques de l’échantillon et du « design » de l’étude (4, 26). Ceci génère une certaine confusion dans la communauté scientifique. La prévalence du drop-out varie entre 15 et 60 % (23, 24, 27, 28, 33) et le risque de drop-out est plus élevé chez les jeunes (23, 30, 31, 32).

En 2013, Gaudriault et Joly dans l’ouvrage «Construire la relation thérapeutique» (33) font une brève revue de la littérature citant Kolb et al. qui en 1985 (34) définissent le drop-out comme le fait de manquer deux séances consécutivement, Hatchett et al. en 2002 (35) de ne pas se rendre à la dernière session prévue, Longo et al. en 1992 (36) comme le fait de ne pas revenir après un entretien préalable et Pekarik en 1992 (37) comme l’arrêt de la thérapie par le patient sans l’accord du thérapeute, quel que soit le nombre de séances. En 2008, Barett et al. (38) rapportent que sur 100 personnes consultant dans un centre de soins, seule la moitié d’entre eux reviennent après un premier entretien d’évaluation, ils ne seront plus qu’un tiers après la première séance de thérapie, 20 d’entre eux dépasseront la troisième séance, et moins de 17 iront au-delà de 10 séances. Salta et Buick (39) montrent que sur une cohorte de 349 patients dans un centre communautaire de santé mentale qui ont demandé un rendez-vous initial de dépistage ou d’évaluation psychiatrique le taux d’abandon diminue une fois que les patients ont dépassé la troisième séance.

Des études ont cherché à établir un lien entre le diagnostic psychiatrique et la tendance au drop-out, mais les résultats ont été le plus souvent contradictoires. Aapro et al. en 1994 (40) montrent que les patients souffrant de troubles de l’addiction, ayant des traits de personnalité antisociaux, manipulateurs ou impulsifs ont tendance à l’abandon précoce. En 1999, selon Ogrodniczuk et Piper (41), les patients souffrant d’un trouble de la personnalité borderline sont portés à l’interruption précoce et au passage à l’acte dans la thérapie

analytique. De Panfilis et al. (42) ont montré qu’un antécédent de tentative de suicide augmentait le risque de drop-out, alors que les traits de personnalité évitants et les troubles du comportement alimentaires diminuaient ce risque.

Les facteurs prédictifs démographiques du drop-out sont peu clairs. Wierzbicki et Pekarik ne constatent pas d’association entre les facteurs démographiques et le drop-out (43). D’autres études mentionnent un lien entre le drop-out et le délai avant le premier contact (44), le faible revenu, la mauvaise couverture assécurologique, le fait de vivre seul et le faible statut socio-économique (45). Une étude prospective sur une population de 365 patients montre que les patients qui rompent plus fréquemment le suivi sont ceux considérés comme plus sévèrement malades avec un fonctionnement social pauvre (46).

6.5.2. L’alliance thérapeutique

La définition et l’historique du concept de l’alliance thérapeutique sont difficilement dissociables de la métapsychologie psychanalytique. Elle est généralement considérée comme un aspect particulier du transfert, s’appuyant sur le concept de dissociation du moi, ce qui est à mettre en perspective avec un texte de Freud de 1933 (47) qui écrit que le moi peut se diviser et se réunifier de manières diverses.

Dans la métapsychologie psychanalytique, le transfert est considéré comme un phénomène universel et spontané, consistant à relier le passé au présent moyennant une fausse connexion qui superpose l’objet originel à l’actuel. Cette superposition du passé et du présent est liée à des objets et à des désirs anciens qui ne sont pas conscients pour le sujet et qui confèrent au comportement un caractère irrationnel, où l’affect ne semble pas adapté ni en qualité ni en quantité à la situation réelle, actuelle (48). L’usage du terme « transfert » pour désigner une production psychique du, ou plutôt du « malade » dans sa relation au

« médecin » est manifeste dès 1895 dans les Etudes sur l’hystérie (48, 50).

Freud (51) déjà en 1913 explique la nécessité de l’établissement d’un rapport favorable chez le patient. Pour Fenichel (52) et Greenson (53), le concept de transfert n’est qu’une partie de la relation thérapeutique psychanalytique. Echegoyen (48) considère comme synonyme le transfert rationnel de Fenichel de 1941 (54), le transfert mature de Stone en 1961 (55), l’alliance de travail de Greenson en 1965 (56). Paula Henimann parle de transfert de base en 1970 (57).

Sterba (58) en 1934 évoque la possibilité du moi de se dissocier avec une partie du moi qui fait alliance avec l’analyste contre celle qui s’y oppose, c’est-à-dire les pulsions du ça, les défenses du moi et le surmoi. Puis Zetzel (59, 60) développe l’idée que la dissociation du moi avancée notamment par Sterba ne peut aboutir qu’à partir du processus de régression thérapeutique qui s’engage dès les premiers mois de traitement, comme une tentative d’élaborer des expériences traumatiques infantiles.

Greenson développe le concept d’alliance de travail et le considére comme un aspect du transfert (56), dépendant du patient, de l’analyste et du cadre. À noter que l’absence d’alliance de travail marque pour lui le seuil d’inanalysabilité. En 1965, il postule donc que le transfert est composé de la névrose de transfert et de l’alliance thérapeutique.

Dans une perspective similaire, Metzler écrit en 1967 (61) que le patient possède une partie mature psychique provenant de l’identification introjective d’objets internes adultes. C’est avec elle qu’une alliance est constituée durant le travail analytique. La partie adulte est, pour Melzer, un concept métapsychologique : un élément du self qui a atteint un niveau élevé d’intégration et en contact avec le monde des objets externes.

Gaston en 1990 (62) évoque une alliance de travail basée sur la capacité du patient de travailler dans la thérapie. L'alliance thérapeutique est alors définie comme le lien affectif du patient au thérapeute, la compréhension et l'engagement affectif du thérapeute pour le patient et finalement l'entente entre le patient et le thérapeute sur les tâches spécifiques liées au déroulement du traitement et sur les buts généraux de celui-ci.

Luborsky en 1976 (63) distinguera différents types d’alliance : la première basée sur la perception du patient du thérapeute et la seconde dépendant de la nature de la collaboration entre le patient et le thérapeute pour surmonter les problèmes du patient, dans le sens d’un partage des responsabilités dans le travail pour atteindre les objectifs. Il développera avec Horvath l’idée que l’alliance thérapeutique est un concept panthéorique en 1993 (64).

Les patients n’ayant pas eu le sentiment de mettre en place une union positive avec le thérapeute ont peu de chance de revenir et ils mettront bien plus souvent fin à la thérapie de façon prématurée (22). Grimes en 1989 (65) a montré que les patients qui mettaient fin précocement à la thérapie voyaient leur thérapeute comme quelqu’un de moins compétent, ou de moins crédible, que ceux qui la poursuivaient. Également, Edmund et al. (23) montrent que les patients ont plus tendance à mettre fin à la thérapie, s’ils pensent que les centres de soins sont assez inefficaces ou s’ils se sentent mal à l’aise à l’idée de voir un thérapeute.

Plusieurs chercheurs suggèrent que l'alliance initiale n’est pas liée aux antécédents ou aux caractéristiques du patient, mais qu'elle se développe au cours des premiers entretiens en fonction du travail et de l'attitude du thérapeute. Elle apparaît aussi dotée d'un pouvoir prédictif plus important que l'alliance moyenne entre plusieurs séances ou l'alliance mesurée au milieu du processus thérapeutique (66). La régularité des entretiens et l'engagement du thérapeute dans la clarification des règles et de la structure du traitement facilitent certainement la construction d'une bonne alliance (67).

Plus récemment, J.-N. Desplands (68) souligne que les interrogations cliniques, théoriques et empiriques concernant l'alliance thérapeutique sont clairement liées à la tradition psychanalytique nord-américaine et que le concept d’alliance thérapeutique est actuellement considéré comme un facteur pronostic important dans divers traitements psychiatriques,

notamment de psychothérapie psychanalytique. À noter l’alliance thérapeutique est au centre de recherches lausannoises Lausanne Early Alliance Project, LEAP.