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L’étude clinique que nous avons menée au CAPPI du secteur Jonction nous a permis de récolter des données descriptives concernant le profil des patients suivis dans ce centre de crise, ainsi que les facteurs prédictifs du drop-out. Les patients jeunes, qui sont adressés par les urgences psychiatriques et souffrant d’un trouble anxieux ou d’un trouble de la personnalité ont un risque plus important de faire un drop-out et cette discontinuation aux soins a lieu le plus souvent dans les 2 premiers jours de traitement au centre.

Nous avons constaté que 37,6 % des patients ont fait un drop-out (initial ou secondaire), ce qui constitue un taux moins important que l’estimation initiale de 50% de l’enquête menée en 2011, mais cette enquête s’étayait sur des observations non systématiques et non contrôlées. Ce taux de drop-out correspond néanmoins aux pourcentages habituels retrouvés dans les centres de traitement psychiatrique ambulatoire communautaire (23, 24, 27, 28, 70)

Dans 96,3 % des cas, le drop-out a leu lieu dans les 2 premiers jours du suivi, ce qui correspond aux résultats d’autres études (38, 39, 71). Dès que le suivi est organisé, le drop-out est plus rare, ce qui est probablement dû au renforcement de l’alliance thérapeutique. Les patients qui n’ont pas le vécu d’avoir établi un lien positif avec le thérapeute risquent de rompre prématurément le suivi (22). Brandt en 1965 (72) observe, dans une étude comparant 20 études concernant le drop-out en psychothérapies, que plus d’un tiers des patients (36%) ne revient pas après le premier entretien. Dans une étude de Haddock et Mensh en 1957 (73), 66% des patients ont été vus en thérapie moins de 5 fois. Dans une étude de Gabby et Leavitt en 1970 (74), ce taux est de 45% pour une population de 400 patients. Garfield en 1978 (75) montre que plus de 65% des patients arrêtent leur psychothérapie avant la 10e séance. En 2008, Barett et al. (85) montrent que sur 100 personnes consultant dans un centre de soins, seule la moitié d’entre elles reviendra après un premier entretien d’évaluation. Elles ne seront plus qu’un tiers après la première séance de thérapie, 20 d’entre elles dépasseront la troisième séance, et moins de 17 iront au-delà de 10 séances. Salta et Buick (39) confirment, sur une cohorte de 349 patients dans un centre communautaire de santé mentale qui ont demandé un rendez-vous initial de dépistage ou d’évaluation psychiatrique, que le taux d’abandon diminue une fois que les patients ont dépassé la troisième séance.

A la différence d’études antérieures, la plupart des variables démographiques de notre cohorte ne sont pas à l’origine d’une augmentation du risque de drop-out. Bueno Heredia et al. (45) ont montré que le fait de vivre seul, d’être divorcé, célibataire ou veuf, ainsi qu’un bas niveau socio-économique sont des facteurs prédictifs du drop-out. Un faible niveau de formation serait également prédictif d’une augmentation du risque de drop-out dans deux méta-analyses (43, 46).

Dans notre étude en revanche, le faible niveau de formation n’est pas associé à une augmentation du risque de drop-out, probablement en raison du faible taux de patients avec une

formation universitaire. De façon intéressante, le fait d’avoir des antécédents psychiatriques ne diminue pas le risque de faire un drop-out (77,6 % de notre population), ce qui indique que la vulnérabilité du patient n’augmente pas à priori l’adhérence aux soins. Ce résultat contraste avec d’autres résultats antérieurs où il a été retrouvé un lien entre les antécédents psychiatriques avec une baisse du risque de drop-out (76, 77). Dans notre étude, le jeune âge est le seul facteur démographique prédictif de drop-out, et cela en accord avec de précédentes observations (23, 30, 31, 32, 78). Il s’avère que l’adolescence ou la vie de jeune adulte est une période de crise identitaire associée particulièrement avec un risque de perte de contrôle et de conflit avec un psychothérapeute qui peut être associé à une figure parentale.

Sur le plan diagnostic, l’étude montre une forte proportion de troubles de l’humeur unipolaire (72,3%). Par ailleurs, 70,6 % des patients sont au bénéfice d’une médication. Les diagnostics de troubles anxieux et de troubles de la personnalité représentent significativement des facteurs prédictifs de drop-out. En 2012, Martino et al. ont constaté que les patients présentant un trouble de la personnalité borderline avaient un risque accru de faire un drop-out. En plus, les patients qui n’étaient pas satisfaits des relations avec les thérapeutes ou qui rapportaient de nombreux problèmes externes risquaient également davantage d’interrompre le suivi (44). Aapro et al. en 1994 (40) montrent que les patients souffrant de troubles de l’addiction, ayant des traits de personnalité antisociaux, manipulateurs ou impulsifs ont tendance à l’abandon précoce. Selon Ogrodniczuk et Piper (41), les patients souffrant d’un trouble de la personnalité borderline sont plus enclins à l’interruption précoce et au passage à l’acte dans la thérapie analytique.

Finalement, les troubles psychotiques ne sont pas à l’origine d’une augmentation du risque de drop-out dans notre étude. Malgré la faible observance thérapeutique relatée des patients souffrant de psychose (45), Rossi et al. ont montré que dans un centre communautaire de soins psychiatriques, la schizophrénie est un marqueur « parfait » pour prédire l’absence de risque de drop-out (P < 0.001) (70). Il est possible que l’approche multidisciplinaire dans notre centre, qui inclut des infirmiers et les assistants sociaux, prévienne également un nombre important de drop-outs pour les patients souffrants d’addiction ou de troubles psychotiques. Reneses et al. (24) ont montré que le type d’intervenant thérapeutique, ainsi que les modalités de soins de certains centres pouvaient être d’importants facteurs prédictifs du drop-out. Les traitements antidépresseurs et anxiolytiques peuvent prévenir le drop-out chez les patients anxieux. Au niveau addictologique, les résultats mettent en évidence une forte proportion de syndrome de dépendance à une substance psychoactive, essentiellement à l’alcool et au cannabis, mais nous observons que ces patients ne sont pas davantage susceptibles de faire des drop-outs, ce qui est un argument pour renforcer le lien et la coordination avec le service d’addictologie au sein du DSMP.

Concernant les modalités de prise en soins, le taux de changement de référent est seulement de 18,4 % et 48,6 % des patients sont évalués dans un délai de 24 h, ce qui confirme la souplesse

du fonctionnement actuel des centres ambulatoire à Genève, également dans la perspective théorique des interventions de crises. Le délai d’accueil de plus 24 heures et le changement de référent ne majore pas le risque de drop-out. La représentation empirique antérieure au CAPPI Jonction de maintenir les mêmes référents tout le long du processus de soins et de débuter la prise en charge dans un délai inférieur à 24 heures à visée de renforcement de l’alliance thérapeutique et ainsi diminuer le risque de drop-out n’est pas confirmée. Les CAPPI sont donc des structures de 2e ligne, articulée notamment avec l’UAUP. Ceci peut être mis en perspective avec le CCPP à Lausanne dont le délai est de 48 heures, ce qui est une contrainte nettement moindre pour les équipes de soins. Ce résultat pourrait servir de base pour une réflexion d’un accueil différé à 48 heures.

Concernant l’adressage des patients à notre programme de crise, précisons que l’UAUP et l’UITB font partie du SPLIC, un service du DSMP de l’hôpital cantonal. Ces deux unités ont plusieurs missions : de psychiatrie d’urgence, d’intervention de crise et de psychiatrie de liaison.

Ils ont donc un rôle central dans la coordination des soins au sein de ce département, confronté à des troubles psychiatriques aigus en première ligne. Une des missions centrales de l’UAUP est la possibilité d’un accueil immédiat, 24h/24. Cette unité se situe aux urgences de l’hôpital cantonal, ce qui constitue ainsi un lien privilégié avec les structures de 2e ligne comme les CAPPI. Notre étude montre que les patients font moins de drop-outs quand ils bénéficient d’un suivi antérieur (UITB, BI, psychiatre). En ce qui concerne l’adressage par le psychiatre traitant, cette constatation est en plus renforcée par l’analyse statistique multivariée. Egalement, les patients adressés par le service des urgences psychiatrique (UAUP) font significativement plus de drop-outs que les patients adressés par les autres structures ou les psychiatres du secteur privé. Il semble donc qu’une brève hospitalisation à l’UITB présente un double effet positif.

D’abord, celle-ci permet souvent d’éviter une hospitalisation à Belle-Idée. Puis nous constatons que l’adhésion aux soins proposés ultérieurement au CAPPI augmente. Les hypothèses sont multiples, par exemple l’acquisition par le patient durant cette période d’une meilleure compréhension de sa situation psychosociale et médicale. Aussi, nous pensons que la création d’une forme d’alliance thérapeutique, certainement avec les thérapeutes de l’UITB même, mais également avec le dispositif du DPSM, favorise le lien avec d’autres structures comme les CAPPI. Finalement, la conviction du patient d’un bénéfice au soin en raison de l’amélioration symptomatologique est probablement un facteur d’adhésion à des traitements ultérieurs.

Il est à relever que les interventions de crise sous forme d’un suivi ambulatoire intensif (SAI) constitue dans notre étude que 59,6 % des prises en charge, une proportion moindre à ce qui était attendu, mais ce qui va néanmoins dans le sens d’un élargissement actuel de la palette de soins et d’indication dans une perspective de plus en plus marquée par l’adaptation des soins à la vulnérabilité et à la psychopathologie des patients.

L’intérêt de cette étude est l’approfondissement de la connaissance des différentes variables démographiques, cliniques et de forme de prise en charge pour des patients suivis dans un centre ambulatoire de psychiatrie à Genève.

Parmi les limites de cette étude, nous pouvons citer l’absence de données cliniques et sociales confirmées pour les patients qui ne se sont pas présentés au premier rendez-vous, l’absence d’entretiens structurés pour confirmer le diagnostic clinique, l’absence de mesures directes de l’alliance thérapeutique (effectuées seulement par des mesures indirectes qui sont le changement de référents et délai d’accueil) et l’exclusion des patients suivis à la consultation, ce qui limite une représentation globale de l’ensemble des patients suivis dans un centre de soins psychiatriques communautaire.