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Lien entre didactique et recherches sur l’acquisition

En sondant les représentations grammaticales et métalinguistiques des apprenants et les processus cognitifs en jeu, nous nous insérons dans la lignée des recherches sur l’acquisition des années 1990, la Recherche en Acquisition des Langues Secondes (ou RAL à la suite de Coste). Cette recherche est toujours évidemment active et stipule que l’apprenant, en travaillant sur ses représentations, est susceptible d’améliorer ses compétences, sa pratique et ses connaissances. Murzeau signale la difficulté pour l’apprenant d’une position métalinguistique :

Ce que visent dès lors les entretiens métacognitifs à visée pédagogique, c’est la découverte par le sujet de son propre fonctionnement mental, au travers d’un développement d’une attitude d’élucidation et de

conscientisation, qui lui permette de se décentrer des contenus d’apprentissage pour prendre sa manière

d’apprendre comme objet de réflexion. […] Ce basculement demande au sujet de distinguer la démarche d’apprentissage du contenu d’apprentissage. Ce basculement est difficile du fait que le contenu d’un apprentissage correspond à des connaissances et à des actions de l’apprenant, le second correspond également à des connaissances et à des actions de l’apprenant mais d’un autre niveau parce qu’elles englobent les premières à la manière des poupées russes76

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Nous nous intéressons donc aux interactions en classe, terrain susceptible d’engendrer une aide aux élèves en difficultés, en laissant la place à des échanges ouverts et dirigés vers le questionnement, la mise en évidence de problèmes, de dysfonctionnements, et leur résolution éventuelle, à cours, à moyen ou à long terme.

L’ère communicative des années 80 vouée justement à la communication a eu comme effet de recentrer les problématiques sur les interactions. Elles concernent l’observation de communication dite « naturelle » (c’est-à-dire non scolaire) chez des adultes (souvent des travailleurs peu qualifiés). En fait, la RAL s’affirme sur l’autre terrain délaissé par la didactique et les sciences de l’éducation, et s’intéresse au dehors de la classe de langue.

La didactique est tournée vers l’institution mais la communication dite naturelle aboutit à des simulations en classe de la réalité. Elle est aujourd’hui réorganisée par le CECRL autour d’un nouvel objectif : effectuer une tâche (une action sociale) en communiquant. Cependant, le rapport entre ces recherches, la didactique et la pédagogie (en tant que mise en œuvre en classe) n’a pas été à notre sens assez exploité ou expérimenté. D’ailleurs, ce rapport ne va pas de soi, comme le rappelle Bange en 2005 :

Les relations entre chercheurs dans le domaine de l’acquisition des langues (les acquisitionnistes) et chercheurs dans le domaine de la didactique des langues (les didacticiens) se caractérisent souvent par une série d’incompréhensions réciproques (Bange et al, 2005 : 7).

Cette opposition est artificielle pour nous car les recherches en acquisition revigorent le travail sur le processus d’acquisition, tout en s’écartant d’une linguistique appliquée et en s’attachant aux aspects, pour le coup, sociaux et interactionnels de l’enseignement/ apprentissage (ainsi mentionnés car indissociables).

Les domaines de l’acquisition et de la didactique réfléchissent l’opposition entre cadre scolaire et espace extérieur à l’institution. Or, ce n’est que de leur comparaison et de leurs spécificités que peut naître un travail sur le langage en classe selon De Pietro :

Il est important, certes, de montrer que les interactions scolaires ressemblent parfois à ce qu’on observe dans les situations naturelles, que parfois elles semblent s’en éloigner davantage, et de tenter de comprendre les différences constatées (Pekarek, 1999 ; Trévise, 1979 ; de Pietro & Schneuwly, 2000 ; Vasseur à paraître, etc.) ; il est important aussi d’examiner comment, dans les deux milieux, s’élaborent et se définissent les objets langagiers à s’approprier et d’observer s’ils suivent un même parcours d’appropriation (Schlyter, 1997 ; Diehl, 2000)77.

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Deux grands courants émergent de cette foisonnante émulation : dans le premier courant, on traite des situations exolingues et on analyse la collaboration entre locuteurs natifs et apprenants pour construire du sens dans les conditions sociales et interactionnelles du processus d’appropriation. Dans une situation exolingue, les participants n’ont pas le même niveau de maîtrise de la langue utilisée, ce qui engendre une asymétrie et des comportements adaptatifs. Cette situation est courante dans les migrations, le tourisme, la vie professionnelle internationale, mais aussi dans le cadre scolaire. En effet, l’un des participants est l’informateur, l’expert. Cette notion tend d’ailleurs à réduire le schisme entre didactique des langues et recherche en acquisition :

[…] l’attention portée à la communication exolingue et aux échanges entre natifs et alloglottes met en évidence des moments de focalisation sur les formes linguistiques et de négociation entre interlocuteurs, moments qui, dès lors qu’un « contrat didactique » est tacitement établi, présentent des séquences « potentiellement acquisitionnelles », « SPA » qui ne sont pas sans analogie avec des échanges ternaires généralement observés en classe, encore que les réalisations en soient plus diversifiées quant à l’initiative et à la gestion des tours de parole (Coste, 2002 : 8) ».

Dans le second courant, on porte une attention particulière aux fonctionnements de la langue cible, au recours aux autres ressources linguistiques (la langue maternelle ou L1), et au développement des activités réflexives, même si dans l’enseignement de l’anglais en France, comme d’ailleurs dans l’enseignement du français langue maternelle ou langue étrangère, la tentation de copier le milieu naturel a toujours été grande. Elle traverse l’histoire des méthodologies. Comme nous allons le montrer plus loin, cette tentation a tout de même été source de rénovations et d’avancées vers « l’authenticité ».

Pourtant, l’idée de mettre en avant notre spécificité pour mieux l’analyser, et ainsi améliorer notre action auprès des élèves, nous semble autant opportune que de poser une hiérarchie et un rapport de reproduction direct entre l’apprentissage naturel et l’apprentissage

guidé :

Les interactions en milieu naturel tendent parfois – et peut-être plus souvent qu’à leur tour – à mimer des fonctionnements scolaires, lorsque le comportement communicatif est traversé de préoccupations normatives (Matthey, 1996) ou lorsque s’instaure, plus ou moins explicitement, un « contrat didactique » (De Pietro, 2002 : 48-49).

De même que la didactique a gagné son autonomie par rapport à la linguistique appliquée, nous devons défendre l’originalité propre du lieu institutionnel et prendre position contre l’idée d’en faire un artefact total du monde extérieur en classe. Nous en reparlerons

dans le cadre de la grammaire pédagogique. Mais auparavant, pour construire notre didactique intégrative, il nous faut élargir notre perspective.