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2.5. La ‘transposition’ didactique

2.5.2. Les limites de la transposition mathématique

Ce qui est opérationnel pour les mathématiques ne l’est pas forcément pour les disciplines proches des sciences humaines, comme l’enseignement d’une langue, qu’elle soit maternelle ou étrangère.

Grâce à Perrenoud, nous pouvons, maintenant, revisiter plus profondément les conditions d’apparition de la transposition, et des problématiques liées à la didactique. Ce dernier nous rappelle l’origine de cette notion de transposition, que Verret a développée dans une étude sociologique, en 1975. Perrenoud en profite pour nous signaler les limites que cet auteur indique, dès le début de la conception de cette notion :

Lorsque Verret (1975) introduisit le concept de transposition didactique, […] il s'intéressait à la façon dont toute action humaine qui vise la transmission de savoirs est amenée à les apprêter, à les mettre en forme pour les rendre ‘enseignables’ et susceptibles d'être appris. Chacun conviendra sans doute qu'il importe de rendre les savoirs accessibles aux apprenants, au prix d'une simplification et d'une vulgarisation en rapport avec leur âge et leurs acquis préalables. La transposition didactique passe, selon Verret, par des transformations plus radicales […] Une formation sur le tas, un entraînement sportif ludique, une initiation artistique informelle, comme l'inculcation familiale des bonnes manières à table, passent par des interventions et des transpositions didactiques, même si les acteurs n'en ont pas toujours pleine conscience (Perrenoud, 1998).

Cette transposition n’est, ainsi, pas toujours évidente ou explicite. Elle rejoint la complexité de la formalisation de l’action et de sa conscientisation que nous avons évoquées. En outre, Verret n’a jamais connoté péjorativement le savoir transposé (considéré parfois dans la littérature scientifique comme un savoir appauvri ou dénaturé). De plus, il considérait le

savoir en général, alors que les disciplines ont recentré la notion de transposition sur les

savoirs scolaires (id.).

Par ailleurs, cette transposition à travers laquelle une transformation des savoirs est opérée, peut correspondre selon Perrenoud à une distinction entre curriculum formel et

curriculum réel, perméable aux contraintes horaires, sociales, relationnelles et pour tout dire,

pragmatiques que la classe engendre :

Le curriculum formel est une image de la culture digne d'être transmise, avec le découpage, la codification, la mise en forme correspondant à cette intention didactique. Le curriculum réel est un ensemble d'expériences, de tâches, d'activités qui engendrent ou sont censées engendrer des apprentissages (Perrenoud, 1998 : 489).

Cette différenciation pointe l’écart que l’on peut trouver entre les finalités, telles que décrites dans les BO, et la pratique de l’enseignant dans sa classe. A ce propos, les textes officiels, en Lettres par exemple, contiennent des indications claires, qui montrent que c’est à la charge de l’enseignant de décider des faits de langue à étudier effectivement :

Cette terminologie grammaticale a été élaborée par l’inspection de lettres, et un groupe de professeurs de l’université. Elle vise à donner […] un ensemble commun de termes indispensables à l’analyse du fonctionnement de la langue. Elle ne constitue pas en elle-même un objet d’apprentissage […] il appartient au professeur de l’utiliser à bon escient […] en tenant compte des besoins et des capacités des élèves125.

La culture ‘digne d’être transmise’ met en relief des rapports de pouvoir entre, grosso

modo, des savoirs universitaires et des savoirs scolaires. Or, le modèle de Chevallard

demeure, à ce niveau, seulement descriptif puisqu’il ne prend pas en compte les domaines sociaux de référence et leurs propres valeurs :

Une critique de ce concept-clé de la science didacticienne qu'est la transposition didactique porte alors moins sur la nécessaire réorganisation des savoirs que demande l'acte enseignement que sur les constituants de la transposition didactique, le savoir savant d'une part et le savoir enseigné d'autre part. Cette critique, si elle veut dépasser le cadre descriptif dans lequel se situe en fin de compte le travail de Chevallard, doit prendre en compte les aspects problématiques : autant ceux de la construction du savoir que ceux de l'enseignement de certains de ces savoirs […] Le point faible de la théorie de Chevallard est la notion de savoir savant dans la mesure où les raisons d'ordre épistémologique sont ignorées » (volontairement ou non, peu importe) (Reverdy, 2000).

125

Ainsi, l’enseignant choisit, découpe et réassemble les savoirs. Un autre type d’écart existe entre textes officiels et examens terminaux. Pour exemple assez classique dans l’enseignement des langues étrangères, les examens finaux correspondent à des analyses de textes et des questions de compréhension auxquelles viennent s’ajouter des exercices structuraux de type « écrivez ces chiffres en toutes lettres » ou encore « trouvez la bonne préposition » (BAC PRO section industrielle 2007) alors que « l’oral » doit être la nouvelle priorité, et reste une option dans la plupart des cas. L’écart entre finalités, examens, et pratiques de la classe est ainsi problématique dès la formation des futurs enseignants, comme le signale Bourguignon :

[…] Ils se rendent compte que la vérification des connaissances est antinomique avec des programmes définis en termes d’objectifs et de niveau(x) de compétence(s) à atteindre. Il en est de même pour le décalage entre les préconisations officielles en matière d’enseignement/apprentissage et les exigences des examens terminaux ; à titre d’exemple, les stagiaires d’anglais ne savent pas comment préparer les élèves aux épreuves écrites du baccalauréat alors que les textes officiels préconisent l’oral comme priorité (Bourguignon, 2006b).

Dans le même ordre d’idées, Puren va jusqu’à affirmer que nos examens finaux habilitent ce que la Méthode Active préconisait il y a près d’un siècle : parler d’un texte en langue culture étrangère par documents authentiques interposés. Pour lui, le modèle d’évaluation du baccalauréat actuel en est resté, en effet, jusqu’à nos jours, pour toutes les langues, à celui d’évaluer le candidat sur sa capacité à parler en langue étrangère, sur le texte :

[...] tout en extrayant et en mobilisant des connaissances culturelles spécifiques. Il est parfaitement inutile de vouloir modifier les modes d'évaluation dans les classes en s'appuyant sur le CECRL, tant que le dispositif d’évaluation institutionnelle final (le baccalauréat) en restera, comme maintenant, avec deux guerres de retard par rapport à l’évolution de l’objectif social de référence (Puren, 2006a : 11)126.

On ne peut, dans ce cadre, imputer aux seuls enseignants la responsabilité d’une prise en compte trop timide de l’action et de l’oral. L’institution dans son ensemble pourrait travailler avec plus de cohérence, et ne plus concevoir comme seul paradigme l’explication de texte et les connaissances127.

En analysant la transposition, nous avons montré des décalages qui valent pour les sciences humaines : entre méthodologie et méthode, textes officiels et terrains, évaluations

126 Même si un effort a été effectué pour la rentrée 2012 avec une épreuve axée principalement sur l’oral. 127 Nous n’omettons pas que des diplômes tel que le DCL intègrent véritablement l’approche actionnelle et l’entrée par les tâches. Cependant, cette démarche ne pourra être élargie à l’ensemble de l’enseignement qu’au prix d’un investissement qui relève de décisions politiques.

sommatives finales et évaluations formatives au long cours, entre savoirs savants et savoirs triés et réorganisés.

Travailler sur ces contradictions rejoint le refus d’une grammaire externe traditionnelle imposée sans tenir compte des pratiques, formatives ou sommatives. Le sens doit avoir pour origine les pratiques, quitte à être confrontés aux réfutations d’un système complexe. En effet, les élèves en difficultés et leurs questions multiples sur le fonctionnement de la langue ou sur la pertinence d’une règle pédagogique comme celle du manuel engendrent un travail ultime, nécessaire et constant sur la règle finale écrite dans le cahier. Elle devra satisfaire non pas une transposition réussie (si elle a lieu) mais correspondre à une règle censée et efficace pour les élèves eux-mêmes avant tout, et non pour une grammaire imposée de facto de l’extérieur.

Entre linguistique universitaire, finalités institutionnelles, grammaire des manuels et propositions des élèves, quelle grammaire de référence appréhender alors, dans la complexité de la constitution même de ces savoirs référents ?