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Le détail de mes responsabilités administratives et d’enseignement se trouve dans la Cinquième

Partie (§ IV) du mémoire. Plutôt que de les répéter ici, je souhaite faire part de quelques réflexions sur

l’organisation de l’enseignement à l’Université telle que je la perçois. Ces réflexions n’ont bien sur de valeur que par rapport aux situations que j’ai pu rencontrer depuis 10 ans. Les quelques lignes suivantes pourront sembler, d’une part bien péremptoires alors que mon expérience est limitée, et d’autre part assez triviales pour des familiers du système universitaire. Néanmoins l’attention que j’ai porté aux difficultés des étudiants, au fonctionnement quelques fois ubuesque de notre système et aux diverses vagues de réformes qui déferlent ces derniers temps me motivent pour écrire les dernières lignes de ce mémoire (que les rapporteurs veuillent bien m’en excuser…).

1. La semestrialisation

A la fin des années quatre-vingt dix, le ministère de l’enseignement supérieur a réformé le

déroulement de l’année universitaire en imposant l’organisation semestrialisée. Un des arguments majeurs de cette réforme était la lutte contre l’échec dans les premières années. Pourtant de nombreux collègues

expérimentés expliquaient alors que le problème n’était pas tant dans l’organisation mais surtout que le public arrivant à l’Université avait changé et que nos méthodes et nos moyens d’enseignement n’étaient plus adaptés. Après pratiquement 10 ans, la semestrialisation me semble avoir au moins une vertu : elle fait accomplir des prodiges aux collègues en charge des emplois du temps ! Mais qu’en est t-il de l’amélioration des résultats aux examens ? Je n’ai vu aucune enquête indépendante et fiable sur ce point pourtant critique. Pour ma part, je ne constate aucune amélioration, au contraire, les conditions d’organisation des

enseignements étant plus tendues, les premiers à en pâtir sont les étudiants. L’improvisation est permanente, les problèmes de gestion des salles et des emplois du temps sont devenus insolubles, il n’y a plus aucune

liberté pour adapter la progression de son enseignement. La course permanente aux salles, aux créneaux de cours et autres problèmes fait que c’est l’intendance qui domine la pédagogie alors que l’intendance devrait être au service de la pédagogie…

2. L’organisation L-M-D

En 2003, à l’occasion du passage au système européen des niveaux de diplômes

(Licence/Master/Doctorat) les Universités françaises ont subi la plus importante réforme depuis 20 ans. Il ne m’appartient pas de commenter cette réforme globale, qui comporte de nombreux aspects positifs, mais comme « praticien de base » dans ce système je voudrais relever quelques points qui me semblent poser des problèmes :

¾ L’architecture des diplômes est devenue incompréhensible, à tel point que chaque université a mis en place, d’une part des structures d’accueil chargées d’expliquer aux élèves de terminale comment construire un cursus cohérent et/ou d’autre part un logiciel de simulation de parcours pour s’assurer que l’étudiant ne fasse pas fausse route… J’ai suivi plusieurs élèves désireux de s’inscrire à l’Université et je dois dire que l’expérience ne fut pas concluante. La multiplicité des unités d’enseignement et des types d’unités d’enseignements, qui se veut une richesse du système, ressemble plutôt à une complication inutile. Comme nous sommes tous convaincus qu’il faut toujours enseigner les fondements des

disciplines, est-il vraiment impossible de construire des parcours simples et lisibles au moins au niveau licence, plutôt que de se cacher derrière un pseudo-modernisme aux « appellations complexifiantes » ? ¾ Le système proposé abouti à une parcellisation des enseignements. La multiplication des unités

d’enseignement (là où il y avait une UE de 100 h, on en a crée 2 de 50 h, voir 4 de 25 h…) entraîne des problèmes importants de coordination, et même sur le fond des problèmes pédagogiques de contenu et de progression. De plus, sachant que la plupart des collègues doivent mener de front, préparation des cours, réalisation des cours, évaluation, administration, recherche et d’autres obligations encore, ils sont peu disponibles pour la concertation pédagogique alors que la complexité de ce système exigerait de consacrer un temps important à la coordination.

¾ La liberté laissée aux étudiants pour construire leur cursus au travers des modules « libres » ou « optionnels » ou autre dénomination a aussi d’importants effets pervers. En effet, nous savons tous qu’une grande partie des étudiants qui rentrent à l’Université sont rapidement en difficulté. Le système de choix qui leur est proposé devrait les responsabiliser mais il exige de leur part une grande maturité et une domination du sujet scientifique, ce que la plupart d’entre eux n’ont pas. Deux points me semblent problématiques : (i) de nombreux modules proposés en option sont assez « pointus » et n’assurent pas une formation générale et (ii) pour de nombreux étudiants le choix se résume souvent à privilégier les modules « les plus faciles », à partir du « bouche à oreille » et de l’analyse des résultats des examens des années précédentes. Ces deux points ne facilitent pas la construction d’un cursus solide et cohérent. Il est étonnant de constater que pour les meilleurs étudiants sortant des classes terminales, qui intègrent les classes préparatoires aux grandes écoles, le cursus est simple, complet et pré-établi, ce dont personne ne se plaint me semble t-il. Je ne suis pas un défenseur du système des classes préparatoires, qui présente aussi ses défauts, mais le fait que les étudiants les plus en difficulté doivent d’abord déchiffrer notre « usine à gaz » me laisse perplexe…

¾ Il a été commenté par de nombreux collègues depuis une vingtaine d’année le fait que le public accueilli à l’Université a fortement changé. Une part importante de ce nouveau public est peu réactive à nos méthodes d’enseignement, qui elles sont restées inchangées. Les cours magistraux, en particulier, me semblent en décalage avec les possibilités d’assimilation de nombreux étudiants. Il serait bien préférable de travailler sous forme de TD, en petit groupe et en s’assurant de la participation réelle des étudiants au travail présentiel. Au sein d’une unité d’enseignement, 2 h de cours magistraux devraient suffire pour en présenter le programme, tout le reste étant réalisé en groupe réduit.

3. L’évaluation

J’ai toujours été stupéfait de constater que de nombreuses enquêtes font état des mauvais résultats dans les premières années universitaires et qu’aucune conclusion ne pointe le problème des modalités d’évaluation et de la préparation des étudiants. Les étudiants de première et deuxième année de Licence ne comprennent souvent pas à partir de quels types d’épreuves ils vont être jugés (c’est surtout vrai pour les examens écrits terminaux) et ils n’ont, bien souvent, aucun entraînement pour ces épreuves. Là encore il est étonnant de constater que les étudiants des classes préparatoires aux grandes écoles subissent chaque

semaine des entraînements aux épreuves écrites et aux épreuves orales, là où un étudiant universitaire subira une seule épreuve : l’examen final de l’unité d’enseignement.

Pour tenter de voir l’importance de ce problème, dans le cadre d’un module de deuxième année, j’ai mis en place une épreuve écrite « blanche » suivi d’une correction pour les étudiants volontaires avant les révisions pour l’examen écrit terminal. Bien que ponctuelle, l’aide a été réelle pour les 40% d’étudiants qui y assistaient. Ce système est resté en place trois ans mais il n’a pas été possible de l’officialiser faute de moyens suffisants.

Sur un autre point, à l’occasion de l’encadrement de stage de M1 ou de M2, nous constatons

régulièrement que nombre d’étudiants ont des difficultés à rédiger mais combien d’examens ont-il passé sous forme de QCM durant leur formation ? De même, nombre d’étudiants ont des difficultés de présentation à l’oral mais combien d’épreuves orales ont-ils préparé durant leur formation ? Bref, il me semble que la stratégie d’évaluation et la préparation à cette évaluation est déficiente dans le cursus universitaire. Il y a beaucoup à faire pour améliorer la formation des étudiants dans ce domaine mais cela doit aussi passer par une formation des enseignants du supérieur avec les moyens nécessaires à la mise en place d’une véritable préparation à l’évaluation.

4. Des applications dans l’enseignement secondaire ?

Le projet de réforme du Lycée actuellement en discussion entre le ministère et les différents

partenaires du système éducatif reprend un certain nombre des éléments d’organisation qui ont été instaurés à l’Université depuis plusieurs années. La réforme du Lycée est large et ne se réduit, bien sur, pas aux deux points que je mentionne ici :

¾ La semestrialisation devrait devenir le socle de l’organisation des enseignements,

¾ Les matières optionnelles vont être généralisés et occuperaient 30 à 40 % du total des enseignements. J’ai suivi les débats concernant cette réforme et les arguments essentiels que j’ai entendu de ses promoteurs sont : (i) « on fait comme ça dans les autres pays européens » et (ii) « c’est le bon sens » (l’évocation du « bon sens » ne servant le plus souvent qu’à masquer le manque d’argument sur le fond et à couper court à toute discussion). Il est tout de même étonnant que ces éléments d’organisation qui posent de lourds problèmes à l’Université soient retenus comme des solutions pour l’enseignement secondaire. J’imagine que les problèmes actuels de l’Université ont été soigneusement analysés et que nous aurons intérêt à regarder comment ce système va se mettre en place pour trouver les solutions que nous sommes incapables d’imaginer dans l’enseignement supérieur.

5. L’évolution de l’enseignement pratique en Sciences de la Terre

Les sciences de la Terre sont une discipline réputée difficile. De nombreux étudiants sont déroutés par la diversité des échelles d’espace et de temps abordées, par les difficultés d’observation, par les modélisations et par la nécessité d’avoir des bases solides en physique, chimie et maintenant en informatique.

Les stages de terrain, qui en dehors de ce que nous pouvons sortir des tiroirs de nos salles de TP représentent le seul lien avec la réalité concrète. Ils sont malheureusement de plus en plus difficiles à justifier pour des raisons de budget. Par conséquent, le temps passé sur le terrain par les étudiants a été

considérablement réduit depuis vingt ans au profit d’interventions en salle ou de séances de « réalité virtuelle ». Que penser d’un enseignement général de sciences de la Terre en filière BGSTU (Biologie Générale, Sciences de la Terre et de l’Univers) dans lequel on va expliquer les problèmes de viscosité de l’asthénosphère à des étudiants auxquels on n’a même pas montré une coupe de la croûte continentale et de la croûte océanique sur le terrain ? Je me suis retrouvé dans cette situation pendant quatre ans et je n’en pense pas de bien…

Les travaux pratiques d’une façon générale, et le terrain en particulier pour les géologues, sont un des fondements de nos disciplines. Je ne crois pas qu’on puisse intéresser les étudiants, et bien les former, sans cette approche de la réalité ; et sans cette approche on peut même se demander si il est encore utile d’enseigner la discipline ?

Une question similaire se pose au lycée : les enseignements de sciences de la Vie et de la Terre, comme ceux de physique-chimie, ont été récemment mis en cause et pourraient être significativement réduits dans les futurs programmes. Ces disciplines sont de grandes consommatrices de séances de travaux pratiques en groupes réduits et avec du matériel qu’il faut renouveler. Le problème budgétaire a été bien analysé et semble l’avoir emporté sur toute autre considération, en particulier sur l’aspect formateur de ces séances qui sont les seules où l’élève met « la main à la pâte » (Charpak, 1996 : ça c’est une référence question

pédagogie !) et peut être formé sur le double aspect pratique et théorique avec une continuité de l’Ecole à l’Université.

Bien sur on peut visiter une montagne, faire une dissection ou un montage électrique sur ordinateur mais la « virtualisation » des actions ne me semble pas permettre à l’élève et/ou à l’étudiant de s’approprier l’objet et la méthode, ni d’assimiler convenablement la démarche scientifique. J’ai eu l’occasion de faire quelques essais de Formation Ouverte A Distance (FOAD) et j’ai été surpris par l’ « impression d’avoir compris » des étudiants qui se retrouvant quelques temps après devant le concret n’en étaient pas moins désemparés. Bien évidemment je ne crois pas qu’il faille rejeter l’usage des nouvelles technologies dans l’enseignement, bien au contraire, elles apportent un plus important lorsqu’elles sont utilisées en complément mais il est d’abord fondamental de « toucher », au sens propre, les sujets d’étude (plantes, animaux, roches, paysages…) et de ne pas en rester à un contact indirect. J’ai, de plus, la désagréable impression d’assister à une dérive vers le « virtuel » dans laquelle certains gestionnaires de budgets tentent de nous faire croire que ces méthodes peuvent remplacer le contact professeur/étudiant qui est le fondement même de la pédagogie active.

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur le contexte de l’enseignement supérieur. Depuis de nombreuses années les rapports se succèdent sur l’ « Université malade ». Des causes sont pointées du doigt et des solutions, souvent toutes faites (semestrialisation, orientation…), nous sont régulièrement proposées mais pour l’instant le remède efficace n’a pas encore été inventé… Néanmoins vu de l’intérieur, l’Université française est tout de même une machine extraordinaire et pleine de ressources car malgré tout elle fonctionne !! Et fort heureusement il en sort chaque année des jeunes diplômés compétents et reconnus dans une

multitude de secteurs professionnels tant privés que publics.