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Les failles de la jonction Alpes – Bassin Ligure fonctionnent-elles par glissement sismique ?

seulement dans la région. Cependant, elle prend une importance particulière dans les régions à faible taux de déformation où les vitesses long terme sur les failles sont très lentes ce qui est probablement un paramètre favorisant l’accommodation des déformations par glissement asismique. Pour les géologues, cela revient à se demander si derrière un plan de faille se « cachent » des séismes ou des micro-glissements plus ou moins continus.

La réponse est bien sur immédiate pour la période actuelle et les failles sismogènes, comme la faille de Blausasc (voir § III.), mais c’est bien plus délicat pour les périodes passées. En effet, que le glissement soit sismique ou asismique certains paramètres majeurs ont des valeurs comparables : c’est le cas du glissement fini et de la longueur des segments de faille activés, par exemple. Par contre le temps de montée et la vitesse du glissement sont très différents (voir Première Partie, § II. A-). Il faut alors déterminer quelles observations de terrain attestent d’un glissement sismique sur un plan de faille ; c'est-à-dire trouver des critères structuraux permettant de différencier un glissement rapide et de courte durée d’un glissement lent et de longue durée.

Les marqueurs de glissement associés aux plans de faille ne sont pas très nombreux :

¾ Les stries mécaniques : de nombreuses observations signalent des stries sur des miroirs de faille

recoupant la surface juste après un séisme. Néanmoins on observe aussi de magnifiques stries associées à des glissements de terrain et rien ne démontre que la vitesse et la durée du glissement soient des

paramètres déterminant la formation des stries. Par conséquent, on ne peut pas relier de façon sûre la présence de stries à un glissement sismique sur un plan de faille.

¾ Le développement de cristallisations orientées (calcite, gypse fibreux, serpentine…) nécessite du temps pour la formation des cristaux. Les incréments de glissement doivent être très petits lors de chaque mouvement, ils présentent donc les caractéristiques des glissements asismiques (e.g. Power et Tullis, 1989).

¾ Les cataclasites et les gouges (e.g. Sibson, 1986a ; Sibson, 1986b) résultent de la fracturation des roches par la pénétration de la déformation de part et d’autre du plan de faille principal. Je ne connais aucun argument (observations, travail expérimental…) permettant de relier la structure de ces roches avec la vitesse de glissement. On peut donc, là aussi, considérer que gouges et cataclasites se forment aussi bien lors des glissements asismiques.

¾ Seules les pseudotachylytes constituent un cas évident car elles sont interprétées comme résultant de la fusion du matériel rocheux de part et d’autre du plan de mouvement (e.g. McKenzie et Brune, 1972). Or la température nécessaire à cette fusion sous faible pression (à partir de 2-3 km de profondeur ; e.g. Killick et Roering, 1998 ; Fialko et Khazan, 2005) ne peut être atteinte que si la vitesse de glissement est rapide ~1 m/s sur une distance d’au moins quelques dizaines de centimètres (e.g. Di Toro et al., 2005 ; Nielsen et al., 2008). Compte tenu du nombre de séismes modérés et forts, et même si les volumes de fusion sont faibles, les pseudotachylytes devraient être des roches largement répandues dans les portions de croûte exhumée correspondant à la zone sismogénique (5-15 km) or ce n’est pas le cas (Kirkpatrick et al., 2009). Les géologues structuralistes ont-ils des difficultés à reconnaître les pseudotachylytes ou cela signifie t-il que l’essentiel des glissements sur les failles sont asismiques ? Quoi qu’il en soit ce sont les seuls marqueurs directs dont on puisse affirmer qu’ils sont formés lors d’un glissement sismique. ¾ Les coins colluviaux représentent un cas un peu particulier. Il résultent de la dégradation d’un

escarpement crée par un mouvement vertical significatif sur une faille (Yeats et al., 1997). La

composition des coins colluviaux avec, le plus souvent, des débris de taille supérieure à 10 cm atteste de la formation instantanée, donc d’un glissement sismique, de l’escarpement. Cependant l’érosion va rapidement entraîner la « diffusion » de l’escarpement et le coin colluvial, qui est une formation non consolidée, est facilement remobilisé. Les coins colluviaux sont donc des formations qui témoignent d’un glissement sismique mais (i) qui ne se forment que pour des failles présentant un rejet vertical important en surface et (ii) qui ne sont conservés que durant quelques milliers d’années.

Les marqueurs de séismes non associés aux plans de faille sont encore moins nombreux :

¾ Les tsunamis et les glissements de terrain sont des phénomènes induits et les tremblements de terre en sont une des causes possibles. Dans le premier cas, les mouvements du fond marin transmis à la masse d’eau contrôlent certains paramètres du train de vague. Nous avons fait une tentative pour reproduire les caractéristiques de la source du séisme ligure (23 février 1887) à partir des données sur le tsunami associé (Charlier, 2007). Le cas des glissements de terrain (à terre ou en mer) est plus difficile à analyser car ceux-ci peuvent être spontanés (e.g. Jomard, 2006 ; Hassoun, 2008) ; il faut donc rechercher des arguments établissant le lien avec un séisme. Au final, il n’existe pas de relation simple entre les paramètres du glissement et le séisme.

¾ La liquéfaction des sols : à la suite d’un séisme, si les vibrations cycliques sont suffisantes, les sols saturés en eau peuvent se liquéfier. Des tentatives de corrélation sont faites à partir des observations actuelles pour rapporter l’étendue de la liquéfaction à la magnitude du séisme et proposer ainsi d’identifier des séismes passés et même tenter d’estimer leur magnitude. C’est une approche discutée comme l’illustre le cas des séismes de New Madrid par exemple (e.g. Johnston et Schweig, 1996 ; Newman et al., 1999).

¾ Les sismites correspondent à la déstructuration de certaines couches d’une série de sédiments non consolidés, le plus souvent par expulsion de l’eau contenue dans la porosité (e.g. Sims, 1973). Les sismites sont décrites dans des séries lacustres ou marines et sont soit exposées sur le terrain, soit atteintes par forage. Les travaux récents sur les sismites lacustres autour de la faille du Levant ont fourni des résultats très intéressants (e.g. Daëron et al., 2007) car le contexte est favorable avec une structure

active bien identifiée et de nombreux lacs à proximité des différents segments de la faille. Cependant, bien souvent les couches sédimentaires déstructurées sont difficiles à interpréter. En dehors du fait qu’elles n’identifient pas directement la faille activée, plusieurs processus (d’origine tectonique, gravitaire ou syn-sédimentaire) peuvent être à l’origine de la déstructuration. De plus on ne connaît aucune relation quantitative entre les caractéristiques des ondes (fréquence, durée, accélération…) et les structures développées dans les sismites. Pour l’instant le lien est donc purement qualitatif et permet au mieux la datation d’un ou de plusieurs événements par corrélation entre les affleurements.

Chacun de ces sujets mériteraient des développements qui sont hors du sujet de ce mémoire mais il me semble important de poser la question du comportement des failles dans le temps et des observations géologiques qui en rendent compte, de façon à juger du niveau de certitude des conclusions que nous pouvons proposer.

La question sur la façon dont les failles accommodent la déformation dans le temps est posée depuis plus de 20 ans (e.g. Ekström et England, 1989) mais il y a peu de réponses satisfaisantes et bien souvent là où les données sont nombreuses et pourraient à priori permettre de trancher le débat il n’y a pas de consensus (encore une fois le cas de New Madrid est aussi illustratif à cet égard). Dans les domaines intraplaques, les taux d’accumulation de contrainte sont faibles, il est par conséquent possible qu’une grande partie de l’énergie élastique soit relâchée progressivement par glissement asismique avant que les segments de failles atteignent le seuil de rupture. C’est en tout cas ce que suggère la comparaison entre le taux de déformation sismique et le taux de déformation géodésique sur les Alpes. Béthoux et al. (1998) proposent que la sismicité ne rend pas compte de la totalité de la déformation régionale. Sue et al. (2007) montrent qu’au mieux 10 à 20% de la déformation mesurée par le GPS peut être expliquée par la sismicité observée. Il convient bien sur d’être prudent : d’une part la valeur de la déformation mesurée par le GPS est souvent surestimée sur une courte période de mesure, d’autre part la déformation sismique peut être, elle, sous estimée sur les quarante dernières années (aucun séisme de magnitude 6,5 ne s’est produit sur la zone considérée). Néanmoins, un écart aussi important se retrouve dans d’autres chaînes intraplaques (e.g. Masson et al., 2005), il pourrait être la conséquence de processus de déformation asismique généralisés.

III. LES GRANDES ZONES DE DEFORMATION POTENTIELLEMENT ACTIVES A LA JONCTION ALPES-BASSIN LIGURE.

Dans la première partie de mes travaux de 1997 à 2000, j’ai tenté de corréler les indices de

déformation récente (ceux que j’ai pu relever sur le terrain ainsi que ceux qui sont décrits dans la littérature) avec les failles connues et avec la sismicité historique et instrumentale. Le travail de corrélation, avec une marge d’erreur plus ou moins acceptable, est une chose (la faille Vésubie-Mont Férion pourrait être la source du séisme de 1564, par exemple), mais la démonstration du lien de telle ou telle faille avec une activité sismique définie est beaucoup plus incertaine compte tenu des difficultés liées au contexte.

A partir de l’ensemble des données disponibles, j’ai proposé un schéma de onze zones de failles potentiellement actives (Figure II-23, Larroque et al., 2001). Le terme « potentiellement active » n’est pas une figure de style (Machette, 2000), il traduit l’incertitude dans laquelle nous sommes d’avoir des indices importants mais, pour l’instant, pas de caractérisation du cycle sismique (magnitude des événements, temps de retour, âge des ruptures de surface les plus récentes, taux de glissement) pour des failles ayant une géométrie et une cinématique établies. En dépit de son simplisme évident, ce schéma a servi de cadre à une grande partie des projets que nous avons développés par la suite et dont je vais résumer certains résultats dans les lignes qui suivent.

Figure II-23 : Schéma et caractéristiques des onze zones de failles potentiellement actives à la jonction Alpes – Bassin Ligure (d’après Larroque et al., 2001). Les flèches indiquent la cinématique, par rapport à un point supposé fixe dans l’arc de Castellane, de blocs limités par ces grandes zones de déformation telle que nous la voyons à l’époque. Des changements et des précisions sont intervenus depuis, en particulier sur l’Argentera, la basse vallée du Var, la faille de Peille-Laghet et le Bassin Ligure.

Le manque de données sur le long terme est actuellement ce qui fait le plus défaut. En effet, les périodes de retour des séismes étant vraisemblablement importantes, la définition du cycle sismique (si tant est que l’on puisse parler de cycle sismique dans un tel contexte) doit tenir compte non seulement du catalogue de sismicité complet, des résultats géodésiques mais aussi des résultats paléosismologiques. Pour l’instant aucun site pertinent n’a été identifié pour des études paléosismologiques. Une tranchée a bien été faite sur une branche de la faille Argentera-Bersesio présentant des indices morphotectoniques d’activité récente mais aucune trace de rupture de surface post 18 ka n’a été mise en évidence (Ghafiri, 1995 ; voir § C-

1.).