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La jonction entre la transpression en Mongolie et l’extension dans le Baïkal

La description des grandes failles qui découpent la région ouest du Lac Baïkal et le nord de la Mongolie est encore imprécise. C’est le cas, par exemple, de la jonction entre les failles de Sayan, de Tunka et du sud-Baïkal qui déterminent la géométrie complexe de l’ouverture du rift sud-Baïkal et du bassin de Tunka (Figure III-6). Le secteur Tunka-Sayan-Khubsugul est l’un des points fondamentaux pour la compréhension de la transition entre les déformations transpressives en Mongolie et l’extension observée dans le rift Baïkal. Les trois missions de terrain (1999, 2000 et 2001) ont été ciblées, entre autre, sur la cartographie des géométries et l’analyse de la cinématique récente et actuelle des failles de Tunka, de Sayan et de Mondy.

Figure III-6 :

Topographie de la zone ouest du Rift Baïkal (données Gtopo30), les altitudes vont de ~ 500m (vert) à ~3000 m (gris). Les lignes noires fines et épaisses représentent respectivement les principales rivières et le contour du lac, et les principales failles. Les mécanismes au foyer des séismes de M>4 depuis 1950 sont tirées de Delouis et al. (2002) et du catalogue russe BEMSE. STM, chaîne de Sayan-Tunka ; KDR, chaîne de Khamar-Daban ; SF, faille de Sayan ; NTF, faille nord-Tunka ; STF, faille sud-Tunka ; BOF, faille de Bolnay ; TSF, faille de Tsetserleg (d’après Arjannikova et al., 2004).

1. Le bassin de Tunka

Le Bassin de Tunka se trouve à la pointe sud du craton sibérien, c’est une dépression morphologique E-W de 150 km de long et 30 de large située entre le rift Baïkal et les rifts N-S de Khubsugul, Darkhat et Busingol. Il s’est développé depuis l’Oligocène dans un régime transtensif (normal sénestre) associé à

l’ouverture du rift Baïkal (Logatchev, 1993). C’est un demi-garben basculé vers le nord et limité par une faille active de 200 km de long : la faille nord-Tunka (Figure III-6).

La morphologie de la faille nord-Tunka est, au premier ordre, celle d’une faille normale mais nous avons mis en évidence en plusieurs endroits des indices de soulèvement du bassin, des déformations en transpression et même des contre-escarpements témoignant de l’inversion récente de la faille nord-Tunka (Figure III-7). L’analyse de ces déformations montre que la zone de Tunka a suivi une évolution complexe : les failles limitant le bassin sont des structures héritées qui ont été réactivées à plusieurs reprises et les déformations quaternaires témoignent d’un changement cinématique majeur et très récent (Larroque et al., 2001 ; Figure III-8). Le Bassin de Tunka fait donc partie du « bloc Mongolie » caractérisé par des

déformations en transpression.

Figure III-7 : A, Morphologie de la limite entre le Bassin de Tunka et la chaîne de Sayan (à l’ouest du bassin). L’alignement des facettes triangulaires indique la position de la faille Tunka. B, Vue vers l’est du contre-escarpement affectant la faille nord-Tunka sur le site de Biely Camen (à l’est du bassin). Ce contre-escarpement correspond à un décalage sénestre-inverse (RH=8 m et RV=2,5 m) et témoigne d’une inversion du jeu normal de la faille nord-Tunka. Les premières indications obtenues en tranchée montre que ce décalage serait le produit d’un seul événement sismique de forte magnitude. Le sommet du contre-escarpement est souligné par les triangles rouges sur une centaine de mètres.

La limite actuelle entre les déformations en transtension du « domaine Baïkal » et les déformations en transpression du « domaine Mongole » est donc à Tunka. L’inversion de ce bassin à l’ouest du Baïkal est très récente et reste ténue dans la morphologie, néanmoins les arguments sont suffisants pour montrer que le « front » de compression produit par la collision Inde-Asie est maintenant aux portes du Baïkal.

Figure III-8 : A, Schéma structural et cinématique du Bassin de Tunka. La structure d’ensemble est tirée de l’interprétation des images satellitales, les points d’observation sur les failles sont en gras et les points d’observation dans le bassin sont notés +. La structure étudiée à Kyren s’est finalement révélé être une déformation périglaciaire (coin de glace) et non une trace d’activité de la faille sud-Tunka. B, Modèle cinématique interprétatif ; B1, ouverture du Bassin de Tunka en transtension au néogène ; B2, inversion récente en transpression et rotation de blocs à l’intérieur du bassin (d’après Larroque et al., 2001).

Dans ce contexte complexe l’approche multi-disciplinaire a été particulièrement enrichissante. La cohérence d’ensemble est bonne, tant du point de vue des interprétations sismologiques (Delouis et al., 2002) que du point de vue des interprétations géodésiques qui montrent, notamment, le mouvement vers le SE du

bloc « Amour » par rapport à la plateforme sibérienne et fournissent un cadre cinématique cohérent à l’extension dans le Baïkal et à la compression à l’ouest du lac (Calais et al., 2003).

La déformation cumulée observée dans la zone de Mondy (ouest du bassin, voir paragraphe suivant) suggère que ce nouveau régime en transpression a commencé plus tôt, probablement durant le Pléistocène, que dans la partie est. Comme il n’y a pas de déformation post-glaciaire majeure le taux de déformation et les vitesses sur les failles ne sont pas faciles à quantifier mais ils sont certainement faibles. Nous avons proposé des valeurs de l’ordre de 1 mm/an ou inférieur depuis le Pléistocène, à la fois pour les mouvements verticaux et horizontaux (Arjannikova et al., 2004). Cette valeur de 1 mm/an est compatible avec les résultats publiés par ailleurs pour le glissement vertical sur la faille nord-Tunka durant les derniers 500 ka (McCalpin et Khromovskikh, 1995) et avec les mouvements actuels mesurés par GPS entre la plateforme sibérienne et le bassin (Calais et al., 2002).

2. La zone de Mondy, le séisme du 4 avril 1950 et le partitionnement de la déformation La région de Mondy (Figure III-6) est la zone épicentrale du plus fort séisme enregistré dans le bassin et ses environs (Mw=6,9 ; 04/04/1950). Le mécanisme au foyer controversé de cet événement et les nombreux marqueurs morphotectoniques visibles sur le terrain nous ont incité à travailler en détail cette région de transition vers les trois grabens N-S et les chaînes de l’Altay (Figure III-9).

Figure III-9 : Mosaïque d’images landsat-TM (résolution 30 m) de la zone Khubsugul-Tunka. Les triangles blancs soulignent les failles actives majeures. Le cercle pointillé indique la zone épicentrale du séisme de Mondy et le mécanisme au foyer est tiré de Delouis et al. (2002). NTF, faille nord-Tunka. Le rectangle jaune correspond à la figure III-12 (modifié d’après Arjannikova et al., 2004).

Deux failles actives accommodent la déformation à l’ouest du Bassin de Tunka (Arjannikova et al., 2004) :

¾ Au sud, la faille de Mondy se prolonge à l’ouest jusqu’au graben de Khubsugul. Sa longueur totale est de 80 km et son pendage est subvertical. Elle se compose de quatre segments actifs dont le plus long atteint 30 km. Depuis le Pléistocène la cinématique est décrochante sénestre avec une faible composante inverse.

¾ Dix kilomètres au nord, la faille de Ikhe-Ukhgun est longue d’une dizaine de kilomètres avec un pendage sud d’environ 40°. Elle présente deux segments actifs et une cinématique inverse avec une faible

composante sénestre. L’activité holocène de cette faille est probablement l’un des meilleurs arguments pour attester de la compression récente dans la région ouest Baïkal.

Plusieurs mécanismes au foyer contradictoires ont été proposés pour le séisme du 4 avril 1950. Le mécanisme déterminé par Delouis et al. (2002) à partir d’une modélisation des formes d’onde est le plus cohérent avec les déformations que nous avons pu relever sur le terrain : il présente un plan nodal orienté N100°E 75°S correspondant à une décrochement sénestre pur. Ces caractéristiques sont en accord avec la géométrie et avec la cinématique récente de la faille de Mondy dont la longueur totale de 80 km est

segments sont activés (Arjannikova et al., 2004) tandis que l’autre plan nodal, de direction N-S, ne correspond à aucune déformation observées sur le terrain.

Nous avons analysé les relations entre le séisme de 1950 et le champ de contrainte local en comparant le mécanisme prédit par l’application du tenseur de contraintes sur le plan nodal N100°E, correspondant à la faille de Mondy, avec le mécanisme déterminé pour le séisme. Le mécanisme prédit fait apparaître une composante de décrochement sénestre analogue à celle du séisme de 1950 mais aussi une composante inverse significative qu’on ne retrouve pas pour l’événement de 1950 (Delouis et al., 2002). Par conséquent, si le séisme de 1950 s’est bien produit sur la faille de Mondy il ne correspond pas strictement à une réponse au tenseur des contraintes local. J’ai proposé que les failles de Mondy et d’Ikhe-Ukghun soit un système couplé dans lequel se produit un partitionnement entre un mouvement principalement décrochant sénestre sur la faille de Mondy et un mouvement principalement inverse sur la faille d’Ikhe-Ukghun (Figure III-10). Dans ce cas, la compatibilité avec le tenseur des contraintes doit être considéré pour la totalité du système et la composante inverse prédite correspond à la part de la déformation prise en charge par la faille de Ikhe-Ukghun.

Figure III-10 : Schéma 3D de la géométrie des failles de Mondy et Ikhe-Ukghun reconstitué à partir des données de surface et de l’analyse du séisme de 1950. La faille de Mondy (A) présente un pendage fort vers le sud et une cinématique décrochante sénestre. La faille de Ikhe-Ukghun (B) a un pendage d’environ 40° vers le sud en surface et une cinématique inverse. Compte tenu de leur géométrie, la jonction entre les deux failles devrait se faire vers 10-12 km de profondeur. 1, roches cristallines et sédimentaires d’âge archéen supérieur ; (2) et (3) syénites et granites d’âge protérozoïque supérieur.

3. Les limites de la faille de Mondy

Les limites de la faille de Mondy et de ses segments actifs ont été particulièrement discutées dans notre groupe. Ces discussions, et le travail qui en a résulté, soulignent l’intérêt du couplage des méthodes d’analyse de la déformation active et dans ce cas précis l’utilisation conjointe de la télédétection et de la tectonique sur le terrain qui permet un changement d’échelle d’observation et des vérifications

indispensables. Trois exemples me permettent d’illustrer ces différents points :

¾ La limite de la faille vers l’ouest : des alignements d’escarpements observés sur des images satellitales à faible résolution (landsat MSS, résolution 80 m) avaient été initialement interprétés comme la

continuation de la faille vers l’ouest au delà de 100°E (Tapponnier et Molnar, 1979 ; Schlupp, 1996). L’analyse de nouvelles images plus précises et les études de terrain nous ont permis de montrer que ces escarpements correspondent en fait aux bords abrupts d’une vallée glaciaire dans laquelle aucune trace de déformation active n’a été relevée. La faille de Mondy ne présente pas de segment actif au-delà de 100°20’E.

¾ La limite de la faille vers l’est : une interprétation rapide des photos aériennes nous a montré la présence d’escarpements alignés dans une plaine au sud de la ville de Kyren et dans la prolongement de la faille de Mondy (Figure III-8A). Nous pensions alors pouvoir démontrer que la faille de Mondy se connectait à une faille limitant le Bassin de Tunka au sud (faille sud-Tunka) et que ce système décrochant sénestre se prolongeait de plus d’une centaine de kilomètres vers l’est. Nous avons réalisé six tranchées

perpendiculaires aux escarpements lors de la mission d’août 2000 et chacune de ces tranchées faisait apparaître des ruptures dont la géométrie d’ensemble correspondait à une structure en fleur, telle qu’on pouvait l’attendre dans une zone de décrochement (Figure III-11). Nous y sommes retournés en 2001 (avec Pierre Antoine, spécialiste des environnements périglaciaires de l’Université de Lille) : la cartographie de terrain ainsi que l’analyse de la géométrie des ruptures dans des tranchées

perpendiculaires nous a amené à conclure que les escarpements sont dus à des rides de sable déposées par de forts courants éoliens et que les ruptures observées dans les tranchées sont en réalité associées à

des processus cryogéniques de type « coin de glace ». Ces déformations du sol ne sont donc pas d’origine tectonique mais elles sont en relation avec l’évolution du milieu (sédimentation et circulation de l’eau) en environnement périglaciaire. Le segment de faille actif apparent le plus oriental est donc limité à 101°30’E.

Figure III-11 : A, Photo d’un des escarpements « décalés » de la plaine de Kyren, l’espacement entre les 2 triangles rouges est d’environ 10 m. B, Une des ruptures visibles dans la tranchée n°6. Ces déformations ont été initialement interprétées comme d’origine tectonique alors qu’elles correspondent à des processus cryogéniques.

¾ Au niveau de la ville de Mondy dans la vallée de l’Irkut, la morphologie a été érodée et modelée par les glaciers quaternaires : l’essentiel des traces de la faille a disparu. Notre première interprétation

morphotectonique s’est ainsi révélée fausse. Les escarpements de direction WNW-ESE que nous avions interprété, à partir de l’imagerie, comme les traces récentes de la faille de Mondy (Arjannikova et al., 2003) sont en fait des terrasses fluvio-glaciaires (terrasses de Kame) qui se sont formées latéralement au cours de l’écoulement du glacier (Figure III-12 ; Arjannikova et al., 2004).

Figure III-12 : A, Extrait d’une image SPOT panchromatique (résolution 10 m) sur la zone de Mondy. B, Topographie (en mètres) et interprétation morphologique. Les traces de la faille de Mondy correspondent au trait noir épais, (1) limite des dépôts

cénozoïques, (2) éventail alluvial, (3) conglomérats, (4) terrasses de Kame, (5) terrasses alluviales de l’Irkut, (6) moraines, (7) lac, (8) traces de la faille de Mondy, (9) ligne de crête. Les chiffres 1, 2 et 3 indiquent les décalages sénestres le long de la faille de Mondy et l’étoile montre la zone où des ruptures ont été observées en surface après le séisme de 1950.