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E- Conclusion sur la déformation active de la jonction Alpes – Bassin Ligure

V. CONCLUSIONS

La jonction Alpes – Bassin Ligure (JABL) présente des différences notables et quelques points communs avec certains des domaines intraplaques présentés dans la Première Partie du mémoire : ¾ La JABL est un domaine intraplaque instable avec une microsismicité diffuse et superficielle, des

événements modérés réguliers et des temps de retour des événements forts (M>6,5) certainement très longs (plusieurs milliers d’années) mais non quantifiés actuellement.

¾ Par rapport aux domaines intraplaques qui ont subi de forts séismes (M>7), la JABL n’est pas un domaine de craton avec une croûte froide et épaisse (comme en Inde et en Australie, par exemple) et ce n’est pas non plus une ancienne zone de rift réactivée (comme la zone de New Madrid et celle de Charlevoix, par exemple).

¾ La JABL est un domaine géologique complexe avec une croûte d’épaisseur variable, un héritage structural important avec, en particulier, des structures récentes liées à l’orogenèse alpine mais aussi des structures plus anciennes. La localisation des déformations actuelles est étroitement liée à cet héritage structural, aux variations d’épaisseur de la croûte et à son état thermique.

¾ Comme dans la plupart des domaines intraplaques les vitesses actuelles de déformation sont faibles. Aucune vitesse de glissement n’est pour l’instant déterminée individuellement sur une faille mais les données GPS régionales entre l’Argentera et le littoral montrent qu’elles seraient sans doute de l’ordre de 0,1 mm/an.

¾ Le chargement en contrainte est lui aussi complexe avec différentes origines, à la fois lithosphérique (convergence Nubie-Eurasie et rotation de la microplaque Adriatique) et crustale (effondrement gravitaire de la chaîne).

En 1999, lorsque j’ai commencé à travailler sur la jonction Alpes – Bassin Ligure, les objectifs majeurs étaient de caractériser les déformations actives, d’identifier les structures sismogènes et d’estimer leur potentiel. Au final, que peut-on conclure des efforts qui ont été faits dans ce domaine ? Nous avons obtenus des succès certains comme l’identification de la faille active de Blausasc, de la faille Marcel et des failles du promontoire d’Imperia, des succès pour l’instant incomplets sur la faille de Donaréo, un début de vision globale terre-mer (en cours de construction) et des problèmes intéressants concernant le mécanisme de la déformation de l’Argentera à la marge nord Ligure. Ainsi, des progrès importants ont été réalisés depuis dix ans, un zonage sismotectonique régional plus précis que l’existant a pu être établi et deux sources majeures doivent être retenues : (i) un fort séisme (M>6,5) produit par l’activation de l’ensemble des structures du pied de la marge nord Ligure et (ii) un séisme modéré (M<6) mais à faible profondeur (~5 km) sur l’une des failles actives (Blausasc) ou potentiellement actives (Donaréo) proches de Nice.

Les résultats obtenus permettent de disposer de niveaux d’aléa scientifiquement fondés (même s’ils restent insuffisamment précis) et contribuent à la production de cartes d’accélération du mouvement du sol (projet QSHA, par exemple) et à la construction de scénarii de risque. Ce travail important a été accompli grâce aux supports des différents programmes de recherche qui nous ont soutenu et à l’investissement de plusieurs équipes permettant une approche pluridisciplinaire.

Quoi qu’il en soit, il me semble, comme nous l’écrivions il y a 10 ans (Larroque et al., 2001),

qu’appliquer la méthodologie qui a si bien réussi aux grandes zones sismiques du globe n’est pas suffisant. Il nous manque une méthode et/ou un outil adapté à la caractérisation des sources sismiques dans ce type de domaine. De ce point de vue, ni nous, ni les autres collègues (Italiens, Espagnols, Belges, Australiens…) travaillant sur des domaines équivalents n’ont réellement fait de grandes avancées. Au moins deux questions majeures se posent toujours :

¾ Les séismes que nous avons prédits (M=5-6,5) ne se produiront-ils que sur les failles que nous avons répertoriées, et seulement sur celles-là ? Ou peuvent-ils se produire sur n’importe quelle autre faille exprimée ou non dans la géologie de surface avec des caractéristiques (cinématique, magnitude…) éventuellement différentes de ce que nous proposons ?

¾ Est-on « condamné » dans une telle région à ne caractériser les failles actives que par la microsismicité (cf faille de Blausasc) sans rien savoir de leur activité dans le temps et sans pouvoir rien dire sur leur cycle sismique, régulier ou non, compte tenu du fait que si des séismes se cumulent sur une de ces failles, les temps de retour sont tels que leurs traces sont le plus souvent effacées ?

Ainsi, l’évaluation de la grandeur, de la localisation et de la période de retour des séismes reste, dans toutes ces régions, un défi pour les scientifiques.

Une autre des questions fondamentales au départ de ces projets concernait d’ailleurs la notion même de cycle sismique et celle de séisme caractéristique qui doivent être discutés dans ce type de contexte. On retrouve le même problème que celui posé au paragraphe précédent : avec de si faibles taux de déformation et un contexte structural si complexe, quelques failles accommodent-elles la déformation en fonctionnant à peu près régulièrement pendant plusieurs centaines de milliers d’années ou alors est-on en présence de ruptures « diffuses » qui vont se produire, au hasard, sur telle ou telle faille avec une probabilité égale ? En bref, n’est-il pas illusoire de vouloir caractériser le cycle sismique de failles qui n’en ont peut être pas ? Ces différentes questions restent ouvertes. Elles sont complexes et ne peuvent pas être résolues par quelques personnes en quelques années ; nous devons continuer le travail de recherche pour affiner les réponses.

Tous les observateurs savent qu’à intensité égale, les phénomènes naturels sont généralement d’autant plus catastrophiques qu’ils sont rares et inattendus. Les séismes dans les domaines intraplaques en sont une illustration. A la jonction Alpes – Bassin Ligure les séismes ne sont pas inattendus car la

microsismicité est permanente et un séisme modéré se produit environ tous les cinq ans. Par contre les forts séismes, tel le séisme Ligure de 1887 dont le souvenir n’existe plus dans la mémoire des habitants, sont rares. Pourtant la vulnérabilité de la région ne cesse d’augmenter et même si on sait qu’il est impossible d’identifier toutes les petites failles sismogènes ni d’estimer avec précision le séisme maximum possible, les éléments cités précédemment justifient pleinement les travaux entrepris (recherche des sources, évaluation de l’aléa, scénarii de crise…) afin d’anticiper au mieux les conséquences prévisibles d’un événement fort.

I. LES EFFETS DE SITES REGIONAUX EN SISMOLOGIE : APPLICATION DE LA

TECHNIQUE DES RESEAUX DENSES DE CAPTEURS AUX VALLEES DE

L’ARRIERE-PAYS NICOIS.

Les expériences de Caille et d’Annot ont eu pour but principal de préciser l’une des composantes de l’aléa sismique : l’effet de site. Il s’agissait de comprendre le comportement des ondes en suivant l’évolution locale des caractéristiques d’un champ d’ondes suite à l’interaction de ces ondes avec les remplissages sédimentaires de surface et les hétérogénéités locales et régionales qu’elles rencontrent. Ces 2 expériences étaient fondées sur une approche originale et mise en place pour la première fois sur le territoire

métropolitain en 1994 : l’analyse des champs d’ondes par des réseaux denses de capteurs sismologiques. L’apport essentiel des antennes sismologiques est de pouvoir déterminer les vitesses de passage et les azimuts d’arrivées des fronts d’ondes qui les traversent. Les antennes et le traitement spécifique de leurs données ont, par ailleurs, été développées depuis les années soixante pour la surveillance des essais nucléaires souterrains (http://www.ctbto.org/map/#ims).

L’approche proposée dans les projets de recherche était double : dans un premier temps, la mesure sur le terrain par les réseaux de capteurs de la sismicité naturelle et artificielle et dans un deuxième temps, les formes d’ondes observées ont été comparées à des simulations numériques de sismogrammes synthétiques afin de préciser l’influence des sols (i.e. les quelques dizaines de mètres sous la surface) et des structures géologiques régionales sur le comportement des ondes.

Ces expériences se sont déroulées sous la responsabilité de Stéphane Gaffet (CNRS, Géosciences Azur) de novembre 1994 à janvier 1995 pour l’expérience de Caille (3 mois d’enregistrement) et d’avril à mai 1998 pour l’expérience d’Annot (2 mois d’enregistrement). Elles ont été financées au travers de 2 projets par le Programme National pour l’étude des Risques Naturels de l’INSU (voir Cinquième Partie, § VI, 1A- et

2A-). Mon intervention dans ces projets concernait la partie « géologie » pour, d’une part la détermination

des sites d’enregistrement en fonction des critères que nous avions fixés et d’autre part l’interprétation des résultats. J’ai aussi participé activement à l’installation-désinstallation et à la maintenance des réseaux qui, en plus de l’aide apportée par les deux collègues permanents : Philippe Antraygues pour l’expérience de Caille et Cécile Cornou pour l’expérience d’Annot, ont mobilisé un grand nombre de chercheurs et ingénieurs du laboratoire. Ces travaux sont présentés dans les publications P10, P12, PV1, PV2 et les communications C30, C33 et C40 (voir Cinquième Partie, § VII).