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(I) A PPROCHE LINGUISTIQUE

1.8.6.2 De la lexis à l’énoncé

?

en cours en cours ?en cours

Imparfait Présent Futur simple Figure 27 – Les trois tiroirs verbaux pivots

intervalle du procès intervalle-en-question intervalle d’énonciation

Avant de poursuivre notre classification des temps grammaticaux au sein des espaces mentaux alternatifs futur et passé, essayons d’expliciter les mécanismes menant de la lexis à son actualisation sous forme d’énoncé.

1.8.6.2 De la lexis à l’énoncé

Si l’on admet, en accord avec NOYAU (1991), KLEIN (1994) et GOSSELIN

(1996 ; 2005), qu’il existe bien deux types de relations à la base du temps grammatical, comment, dans notre conception, s’organisent-elles ? On pourrait théoriquement envisager trois dispositions différentes :

(1) La conceptualisation de la relation temporelle précède celle de la relation aspectuelle

(2) La conceptualisation de la relation aspectuelle précède celle de la relation temporelle

(3) La conceptualisation des deux relations est simultanée

Bien entendu, comme le remarque GUILLAUME (1973, 138) : « nous n’avons pas accès […] aux opérations de pensée qui précèdent en nous le

24 Remarquons que, malgré une approche différente de la nôtre, GOSSELIN (1996, 23), illustre les trois relations temporelles de base (« temps absolus ») : passé, présent, futur avec des exemples respectivement à l’Imparfait, au Présent et au Futur simple : Luc dormait/dort/dormira.

déclenchement de l’acte de langage » ; dès lors il semble impossible de déterminer le cheminement susceptible de conduire de la construction de la lexis en amont à l’énoncé achevé en aval. On peut cependant essayer d’imaginer une série d’étapes cohérentes, que suivrait le locuteur pour aboutir à l’énoncé. Reprenons l’exemple simple : « Il a plu ». À moins d’imaginer des phrases préconçues en langue, d’emblée la solution (3) ne parait pas acceptable. Examinons donc la solution (1), qui se décomposerait de la façon suivante :

(a) Choix des unités linguistiques

L’encodeur choisit les unités linguistiques appropriées : <pleuvoir> (+<il>)

(b) Conceptualisation de la relation temporelle

L’encodeur sait qu’il se trouve dans l’espace mental de base, qui définit l’intervalle-en-question. Comme celui-ci coïncide avec l’intervalle d’énonciation, il recourt au tiroir verbal pivot de l’espace mental de base : le Présent : « Il pleut »

(c) Conceptualisation de la relation aspectuelle

L’encodeur constate que le procès est rétrospectif. Il recourt alors au participe passé : avoir plu.

(d) Finalisation

L’encodeur construit la phrase « Il a plu », qu’il articule.

Cette option pose le problème de requérir une conjugaison provisoire en (b) qui se retrouverait contredite dès la prise en compte de la relation aspectuelle en (c). Il parait alors plus logique de recourir à la solution (2) :

(a) Choix des unités linguistiques

L’encodeur choisit les unités linguistiques appropriées : <pleuvoir> (b) Conceptualisation de la relation aspectuelle

L’encodeur constate que le procès est rétrospectif. Il recourt alors au participe passé : avoir plu.

(c) Conceptualisation de la relation temporelle

L’encodeur sait qu’il se trouve dans l’espace mental de base, qui définit l’intervalle-en-question. Il recourt au tiroir verbal pivot de l’espace mental de base : le Présent (de l’auxiliaire).

(d) Finalisation

L’encodeur construit la phrase « Il a plu », qu’il articule.

Cette solution, plus cohérente que la précédente, se verrait par ailleurs corroborée par la morphologie même. Ce qui transparait plus clairement si l’on adopte la terminologie suggérée par exemple par CREISSELS (1995,170) :

Présent Il pleut

Présent composé Il a plu

Futur simple Il pleuvra

Futur composé Il aura plu

Imparfait Il pleuvait

Imparfait composé Il avait plu

Tableau 4 – Les tiroirs verbaux composés et leur dénomination selon CREISSELS (1995) En effet, après le choix de l’infinitif, puis de l’« infinitif composé », viendrait celui du tiroir verbal à appliquer à l’auxiliaire, pour aboutir à « Il a plu ». Ce processus s’avère néanmoins moins convaincant dans le cas des périphrases en venir de+infinitif et aller+infinitif.

Synthèse De la lexis au choix du tiroir verbal pivot

Le choix du temps grammatical s’opèrerait dans cet ordre : 1. Choix des unités lexicales

2. Choix de la relation aspectuelle 3. Choix de la relation temporelle

4. Actualisation de la proposition construite

En situation élémentaire d’interaction verbale, à chaque espace mental correspond un tiroir verbal pivot :

Espace mental de base : Présent

Espace mental alternatif passé : Imparfait Espace mental alternatif futur : Futur simple

Le tiroir verbal pivot indique que le contenu sémantique de la lexis décrit une représentation de la réalité au sein de l’espace mental en question. Venons-en maintenant aux espaces mentaux alternatifs.

1.8.6.2.1 L’espace mental alternatif futur

L’organisation des temps grammaticaux au sein de l’espace mental

alternatif futur suivrait le même principe de répartition que ceux de

l’espace mental de base. On remarquera cependant l’absence du

prospectif. En effet, le français ne possède pas de Futur périphrastique

du futur. VETTERS (1996, 20) relève d’ailleurs que les recherches en linguistique générale n’ont toujours pas permis d’identifier une langue qui possèderait un tel tiroir verbal.

?

RÉTROSPECTIF ?EN COURS PROSPECTIF

Futur antérieur

Passé périphrastique futur Futur simple

Figure 28 – Les trois tiroirs verbaux de l’indicatif dans l’espace mental alternatif futur

intervalle du procès intervalle-en-question intervalle d’énonciation

Tiroir verbal Exemple

RÉTROSPECTIF Futur antérieur (Futur composé)

Passé périphrastique futur

Il aura plu

Il viendra de pleuvoir

?EN COURS Futur simple Il pleuvra

Revenons sur le point d’interrogation. Si dans l’espace mental de base et l’espace mental alternatif passé, le Présent et l’Imparfait (voir ci-dessous) peuvent sans difficulté être associés à une relation aspectuelle de type

en cours, un tel attribut parait beaucoup plus problématique dans le cas

du Futur simple. En effet à côté de « Léa travaillera » qui semble pouvoir s’interpréter comme « Léa sera en train de travailler » (i.e. en cours), nombreux sont les énoncés au Futur simple, pour lesquels une telle interprétation parait plus difficilement acceptable. GOSSELIN (1996, 203) considère ainsi que « l’effet de sens typique du futur » se caractériserait par un procès « vu de façon aoristique [=perfectif], comme postérieur au moment de l’énonciation, inchoatif, ponctuel, et porteur d’une relation de succession par rapport aux autres procès au futur qui apparaissent dans son contexte immédiat » (voir également NOVAKOVA 2001, 234-235). En accord avec GOSSELIN, l’aspect « aoristique » semblerait effectivement mieux convenir à la description de [28], alors que l’Imparfait de [27] s’interprète sans hésitation comme « en cours » :

[27] Quand je l’ai vu, il souriait. (en cours) [28] Quand je le verrai, il sourira. (?en cours)

Notons cependant que [28] accepte l’interprétation « il sera en train de sourire », même si, spontanément, cette lecture parait peu naturelle. MAINGUENEAU l’explique par l’existence d’une dissymétrie entre tiroirs verbaux du passé et du futur :

Incompatible avec la perspective du récit, le futur ne dispose pas non plus des étagements complexes que rend possible l’opposition aspectuelle entre passé composé et imparfait. Pour les formes du futur, à la différence de celles du passé, l’essentiel, c’est la tension qui s’établit entre l’actualité de l’énonciateur et la réalisation de l’évènement que son énoncé supporte.

(MAINGUENEAU 1994/1999, 100) L’argument de MAINGUENEAU semble effectivement recevable. Il parait en effet logique qu’en l’absence de choix entre plusieurs types de Futurs, le Futur simple soit voué à une plus grande versatilité que les tiroirs verbaux du passé. Dans son étude contrastive consacrée à la « sémantique du futur » du français et du bulgare, NOVAKOVA (2001, 232) relève d’ailleurs « de nombreux "flottements" quant à la détermination de l’aspect des tiroirs futurs ». Dans La grammaire d’aujourd’hui (ARRIVÉ, GADET & GALMICHE

modèle, et considèrent que « du point de vue de l’aspect, le futur a les mêmes valeurs que le présent (et l’imparfait) »25.

On peut supposer que la différence entre expérience et non-expérience soit à l’origine d’une conceptualisation différente des « époques » passée et future, débouchant sur une perception dissemblable des procès relatés à l’Imparfait et au Futur simple. Par essence, le passé donne lieu à la remémoration – c’est-à-dire une re-présentation – faisant naturellement ressurgir des ensembles de procès dans la complexité de leur enchevêtrement spatiotemporel, dont la projection intellectuelle du futur serait par nature dépourvue. Laissons là ces interrogations, et passons à l’espace mental alternatif passé, plus riche que sa contrepartie du futur.

1.8.6.2.2 L’espace mental alternatif passé

Le tiroir verbal pivot de l’espace mental alternatif est l’Imparfait. Comme l’espace mental de base, il comprend quatre tiroirs verbaux, soit un de plus que celui du futur. Toutefois, n’y figure pas le Passé composé, sur lequel nous allons revenir plus loin :

RÉTROSPECTIF EN COURS PROSPECTIF

Plus-que-parfait

Passé périphrastique passé Imparfait Futur périphrastique passé

Figure 29 – Les quatre tiroirs verbaux de l’indicatif dans l’espace mental alternatif passé

intervalle du procès intervalle-en-question intervalle d’énonciation

Reprenons notre exemple :

Tiroir verbal Exemple

RÉTROSPECTIF Plus-que-parfait (Imparfait composé)

Passé périphrastique passé Il avait plu. Il venait de pleuvoir

EN COURS Imparfait Il pleuvait

PROSPECTIF Futur périphrastique passé Il allait pleuvoir

Nous sommes maintenant en mesure de donner une représentation des trois espaces mentaux et de leurs tiroirs verbaux.