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2.1 I

NTRODUCTION

En dépit de la latitude dans la définition de l’aspect, la distinction entre l’aspect lexical (désormais mode de procès) et l’aspect grammatical (ici

aspect) semble aujourd’hui faire l’unanimité (voir CONFAIS 1990/1995, 201). Le mode de procès concerne la valeur intrinsèque du « lexème verbal et [de] son environnement actanciel » (GOSSELIN 1996, 10) (par exemple : <laver sa voiture> et <laver des voitures>). Le second, auquel ce chapitre sera consacré, repose sur la modification morphologique du verbe ; par exemple la différence entre « Il lavait sa voiture » et « Il lava sa voiture ».

Comme il est apparu dans le développement de la section précédente, notre réflexion s’inscrit en partie dans le cadre théorique de KLEIN (1994) et GOSSELIN (1996). Dès lors au terme aspect, généralement usité, nous avions substitué celui de relation aspectuelle pour désigner le type d’agencement entre l’intervalle-en-question et l’intervalle du procès. C’était déjà là prendre position. Dans la présentation qui va suivre, sauf démarcation nécessaire, nous recourrons essentiellement à la dénomination conventionnelle d’aspect qui, plus vague, englobe celle de relation aspectuelle.

Dans ce chapitre, nous dresserons en premier lieu un aperçu des difficultés que pose l’examen de l’aspect en français : le flottement terminologique, l’enchevêtrement des phénomènes temporels, et les problèmes liés à la délimitation de l’objet même de l’investigation. En second lieu, nous poserons un regard critique sur plusieurs définitions de l’aspect, dont on relèvera le caractère souvent indéterminé, rendant leur utilisation malaisée. À la suite de ces observations, dans le prolongement de notre choix théorique, nous envisagerons les quatre aspects de base proposés par GOSSELIN et KLEIN. Notre modèle de la

relation aspectuelle n’en prévoyant que trois, nous essaierons de

démontrer en quoi l’aoristique semble échapper à la répartition conçue par les deux auteurs. Cette interrogation sur l’aoristique nous conduira à l’aspect accompli (i.e. rétrospectif) et à une réflexion sur les deux comportements aspectuels attribués au Passé composé. La dernière section concernera la relation de type en cours (≈ « imperfectif »). Venons-en donc aux premières difficultés soulevées par l’examen de l’aspect.

2.2 L’

ASPECT

:

PREMIERS REPÈRES

La simple énumération de ces quelques exemples suffit à montrer que la catégorie de l'aspect regroupe une large variété de distinctions possibles. On aura remarqué le « et cætera ». La théorie de l'aspect en regorge.

WEINRICH (1964/1973), Le temps, p. 108

RIEGEL, PELLAT & RIOUL (1994,292) font remonter la réflexion sur l’aspect au XIXe siècle à propos des langues slaves. KLEIN (1994, 27) précise que le terme aspect serait la traduction française du russe vid (« vue »). Comme le remarque CREISSELS, cette référence aux langues slaves s’avère problématique (voir également l'avertissement de COHEN 1989, 143) :

La description des langues slaves ayant joué un rôle important dans l’émergence de la notion d’aspect, ces langues sont souvent considérées comme illustrations typiques de systèmes verbaux où l’aspect intervient de manière prépondérante. Mais en réalité, le terme d’aspect s’applique en linguistique slave à une distinction sémantique qui n’a plus qu’un rapport indirect avec la plus grande partie de ce que l’on appelle maintenant aspect dans la description de la plupart des langues, et l’aspect slave est un bien mauvais modèle pour la description d’autres langues, car les systèmes verbaux slaves présentent des particularités qu’il est très exceptionnel de retrouver (en tout cas au même degré) en dehors de cette famille de langues.

(CREISSELS 2006, 194) Si, comme l’évoquent RIEGEL et al. (1994, 292), l’application au français de notions issues des langues slaves a suscité quelques réticences, il semble que de nos jours, l’existence de l’aspect en français soit reconnue par la plupart des linguistes (voir par exemple NOVAKOVA 2001, 205 ; on peut toutefois citer des exceptions encore relativement récentes comme celle de WEINRICH 1964/1973, 108-109). Cette reconnaissance n’est cependant pas suffisante. Se pose en effet le problème de la définition et de l’identification de l’aspect en français puisque, contrairement aux langues slaves, aucune marque morphologique n’est à proprement parler exclusivement dédiée à son expression (CREISSELS

1995, 176-177 ; 2006, 195). À l’instar de MAINGUENEAU (1994/1999, 64), on pourrait néanmoins considérer que « la catégorie de l’aspect se présente comme un système très fermé d’éléments opposés, caractérisés par un signifiant nettement perceptible » dans la mesure où, une fois admise l’existence de l’aspect en français, on sait qu’il se trouve exprimé par la morphologie verbale. Mais s’il est caractérisé par un « signifiant nettement perceptible », quel est alors son signifié ? De plus, en l’absence de marquage spécifique, permettant son repérage univoque, est-on sûr que chacun de ces signifiants véhicule une valeur aspectuelle ? Dépend-elle par ailleurs uniquement du verbe ? À ces incertitudes vient s’ajouter « l’immense flou terminologique » (NOVAKOVA

2001, 205) des études sur l’aspect en français. À titre d’illustration, dans un article sur l’Imparfait et le Passé simple, BRES (1998b, 34) déclare, à propos de l’approche aspectuelle : « on trouve dans des cadres

théoriques différents, les oppositions suivantes (que je considèrerai comme globalement équivalentes) : imparfait (imperfectif, sécant, inachevé, perspective interne, intervalle ouvert, statique, etc.) vs passé simple (perfectif, global, achevé, perspective externe, intervalle fermé, dynamique, etc.) » (à ce propos, voir également la citation de WEINRICH

en exergue page 65).

Le problème se trouve accru par le chevauchement terminologique entre l’analyse des modes de procès (aspect lexical) et de l’aspect (grammatical). Ainsi dans une note, GOSSELIN tient à préciser :

La signification des termes d’accompli et d’inaccompli ne parait pas toujours convenir à la description des phénomènes pour lesquels nous les utilisons […]. Nous n’avons toutefois pas souhaité ajouter à la terminologie aspectuelle qui est déjà surabondante, et souvent peu explicite. Par ailleurs, nous avons essayé d’utiliser le moins possible les termes de perfectif et d’imperfectif pour éviter la confusion avec l’aspect lexical.

(GOSSELIN 1996, 22 note 16) CREISSELS nous met également en garde vis-à-vis d’autres dérives terminologiques:

Il convient d’être attentif aux risques de confusions qui découlent d’une pratique récente mais largement répandue (surtout dans les ouvrages en langue anglaise) qui consiste à reprendre perfectif/imperfectif avec des valeurs différentes de celle qui a été initialement donnée à ces termes dans la description des langues slaves : dans les grammaires descriptives écrites en anglais (et parfois aussi dans des ouvrages écrits en français), le couple

perfectif/imperfectif est utilisé avec la valeur couramment donnée en français

à accompli/inaccompli, c’est-à-dire avec une valeur très différente de la valeur avec laquelle ces termes ont été à l’origine introduits pour la description des langues slaves.

(CREISSELS 2006, 195) À titre d’exemple, comparons les définitions de l’inaccompli et de l’imperfectif proposées par RIEGEL et al. :

L’aspect inaccompli saisit le procès en cours de déroulement : le repère T’ [= « le point de l’évènement »] peut se situer en différentes positions entre les bornes initiale et finale.

L’aspect imperfectif envisage le procès dans son déroulement, sans visée du terme final ; le procès est engagé dès que le seuil initial est franchi.

(RIEGEL et al. 1994, 293-294)

Si l’on s’en tient à la première partie de chacune des définitions (la seconde servant de glose), il parait difficile de voir en quoi se différencient l’aspect inaccompli et l’aspect imperfectif. RIEGEL et al.

(1994, 293) précisent toutefois que « cette opposition [=imperfectif/perfectif] […] se manifeste surtout, en français, par le sens du verbe lui-même », ce qui correspondrait non pas à l’aspect grammatical mais lexical (i.e. mode de procès). On voit donc que, selon les auteurs, la distinction imperfectif/perfectif se manifesterait « surtout

[…] par le sens du verbe lui-même » (nous soulignons). De son côté, contrairement à RIEGEL et al., MAINGUENEAU semble considérer que cette opposition tient à l’usage du tiroir verbal :

L’aspect perfectif présente le procès comme un tout indivisible, saisi « du dehors » dans toutes les phases de son déroulement, comme une sorte de « point » apparu à un moment déterminé (il écrivit). L’aspect imperfectif saisit le procès « de l’intérieur » dans son déroulement, sans prendre en compte son début et sa fin (il écrivait).

(MAINGUENEAU 1994/1999, 67) L’aspect accompli/inaccompli « clairement marqué par la morphologie verbale » se définirait quant à lui de la façon suivante :

On parle d’aspect inaccompli quand le procès se réalise au moment indiqué par l’énonciation. […] L’aspect accompli, en revanche, est utilisé lorsque le procès est antérieur au moment indiqué par le moment d’énonciation et qu’on considère le résultat de ce procès à ce moment-là.

(MAINGUENEAU 1994/1999, 69)

Si MAINGUENEAU semble associer les deux distinctions

accompli/inaccompli et perfectif/imperfectif à la morphologie verbale, on pourrait se demander en quoi un procès qui « se réalise » durant le « moment indiqué par l’énonciation » diffèrerait d’un procès saisi « dans son déroulement ».

Comme le fait apparaitre ce court aperçu, il semble difficile d’échapper à la manifestation simultanée de l’ensemble des phénomènes liés à l’expression de la temporalité. Ce que reconnait MAINGUENEAU :

Beaucoup de grammairiens affirment que le présent ne peut être qu’imperfectif ; c’est vrai en règle générale, mais cela dépend aussi du mode de procès du verbe et du contexte : Je le prédis n’est pas imperfectif, tandis qu’en raison de son mode de procès ponctuel, Je trouve quelque chose est difficilement acceptable s’il ne s’agit pas d’un présent historique ou d’une habitude.

(MAINGUENEAU 1994/1999, 67) Le flottement terminologique et la difficulté à déterminer les phénomènes aspectuels nous semblent en partie liés à la question de l’identification de l’objet à libeller. Que recouvre exactement le terme « procès » utilisé par les linguistes ? Est-il exprimé par le verbe seul, le syntagme verbal, l’énoncé dans son entier, l’énoncé pris dans un contexte large27 ? Il est clair qu’opter pour ces trois derniers choix rend difficile l’étiquetage d’un tiroir verbal spécifique, à moins d’observer un

27 Ceci constitue notamment l’une des objections de WEINRICH (1964/1973, 108) : « La théorie de l'aspect s'inscrit dans le cadre trop étroit de la phrase, donc de la micro-syntaxe. De plus, elle se prête mal à être élargie en une théorie de linguistique textuelle, car les déroulements et les phases des procès varient d'un verbe à l'autre ».

comportement aspectuellement univoque de tous les énoncés recourant à ce même tiroir verbal.

Maintenant que nous avons esquissé un aperçu des problèmes, voyons plus concrètement certaines définitions.

2.3 L’

ASPECT

:

DÉFINITIONS

Il va sans dire que la difficulté à établir une définition à la fois intégrante et suffisamment marquée du sceau de l'évidence pour s'imposer à tous, est due essentiellement à la complexité des faits eux-mêmes et à l'impossibilité de réduire totalement l'un à l'autre des systèmes parfois très différents. Il y a quelque apparence cependant que l'histoire même du concept y soit pour quelque chose.

COHEN (1989, 18), L’aspect verbal, p. 18

Dans l’ouvrage qu’il consacre intégralement à l’aspect, COHEN en identifie deux grandes conceptions :

La première reconnait comme aspectif [=relevant de l’aspect] tout ce qui dans le verbe ne relève pas du temps situé (non plus, bien entendu, que des catégories reconnues du mode, de la voix et de la personne). […] En général, la définition qui résulte d'une telle conception est cumulative. Elle aboutit à une énumération de différents phénomènes sémantiques affectant le verbe plutôt qu'une explicitation synthétique de ce qui leur est commun.

(COHEN 1989, 16) Comme le remarque COHEN (1989, 16) (et comme le déplore WEINRICH

1964/1973, 108), la plupart des définitions résultant de cette conception de l’aspect terminent par « etc. ». Nous retiendrons cependant de cette conception, le fait qu’elle écarte la dimension de temps situé (équivalant à la relation temporelle dans les approches de KLEIN (1994) et de GOSSELIN (1996)).

Quant à la seconde conception recensée par COHEN (1989, 18), elle envisage comme « aspectif tout ce qui dans un verbe relève de la notion de durée du procès ». COHEN cite à cet égard la définition de VENDRYES (1923/1968, 118) : « On appelle du nom d’aspect la catégorie de la durée ». Plus de 80 ans après VENDRYES, cette notion reste couramment évoquée à propos de l’Imparfait (voir à cet égard, une synthèse des présentations de l’Imparfait chez LABEAU 2002b). RIEGEL et al.

(1994, 295) préconisent toutefois de ne pas recourir à l’expression d’« aspect duratif » puisque « l’impression de durée n’est qu’un effet de sens produit par l’aspect sécant de l’Imparfait ». Même si l’on écarte les formulations faisant directement dépendre l’aspect de la notion de durée – comme celle de VENDRYES (pour d'autres exemples, voir COHEN

1989, 16-18) –, plusieurs définitions restent possibles. Commençons par les plus « métaphoriques », à l’image de celle proposée par COMRIE :

Aspects are different ways of viewing the internal temporal constituency of a situation.

[…]

Aspect is not concerned with relating the time of the situation to any other time-point, but rather with the internal temporal constituency of the one

situation; one could state the difference as one between situation-internal time (aspect) and situation-external time (tense).

(COMRIE 1976, 3 & 5) Comme s’interroge KLEIN (1994, 28) : « What does ‘see’ or ‘view’ mean in this context? ». L’auteur (1994, 29) signale par ailleurs la difficulté d’envisager la temporalité interne de la situation dans des phrases considérées comme aspectuellement différentes telles que « He didn’t mean it » et « He wasn’t meaning it ». De façon plus précise, CREISSELS

(1995, 174) propose quant à lui de définir « la catégorie de l’aspect […] comme la représentation du déroulement d’un procès relativement à un repère temporel qui ne coïncide pas nécessairement avec le moment de l’énonciation ». Toutefois pour être opérationnelle, une telle définition requerrait l’explicitation de ce « repère temporel ». CREISSELS ne fait apparemment aucune suggestion à cet égard. Pourtant, on ne peut que s’accorder avec la thèse qu’il défend ailleurs à propos des impératifs auxquels devrait se soumettre toute démarche théorique et terminologique :

Une terminologie grammaticale doit s'efforcer d'être le reflet d'un système de définitions qui se développe sans cercle vicieux.

[....]

C'est à partir d'un petit nombre de notions primitives (au sens de la logique) que doivent être construites les autres notions, et la définition de chaque notion ne doit s'appuyer que sur les notions primitives ou sur des notions dont la définition ait été préalablement posée.

(CREISSELS 1993, 52 & 54) Quel serait alors ce « repère temporel » nécessaire à la détermination de l’aspect que CREISSELS n’a pas préalablement défini ? La proposition de DUCROT (DUCROT & SCHAEFFER 1995, 688) constitue une réponse possible : « Les indications […] concern[a]nt les rapports entre la période qui est thème de l’énoncé […] et celle où se situe le procès [constituent] le domaine propre de l’aspect ». Cette solution rejoint, celle de KLEIN (1994, 99), que nous avons adoptée : « Aspects are ways to relate the time of situation [=TSit] to the topic time [=TT]: TT can precede TSit, it can follow it, it can contain it, or be partly or fully contained in it » ; ou pour le français, celle de GOSSELIN (2005, 36) : « C’est la relation entre l’intervalle de référence (de monstration) et celui du procès qui définit l’aspect grammatical » (ce que, pour notre part, nous avons respectivement appelé l’intervalle-en-question et l’intervalle du procès). Rappelons que pour GOSSELIN (2005, 33) et pour nous, l’aspect concerne la proposition (voir également SMITH 1983). À partir de cette définition, il devient possible de recenser divers types d’aspects.

2.4 L

ES QUATRE ASPECTS DE BASE

GOSSELIN (2005, 36) en recense quatre de base : l’aoristique, l’inaccompli, l’accompli et le prospectif (qui correspondent respectivement à

relation aspectuelle se décrit de la façon suivante (nous reprenons nos dénominations) :

L’intervalle-en-question coïncide avec l’intervalle du procès : aoristique28 L’intervalle-en-question inclut l’intervalle du procès : inaccompli

L’intervalle-en-question est postérieur à l’intervalle du procès : accompli L’intervalle-en-question est avant l’intervalle du procès : prospectif GOSSELIN les glose en ces termes :

Avec l’aspect aoristique (perfectif), justement qualifié dans la perspective guillaumienne d’"aspect global", le procès est montré dans son intégralité […] L’aspect inaccompli (imperfectif) ne présente qu’une partie du procès, les bornes initiale et finale ne sont pas prises en compte […]

L’aspect accompli montre l’état résultant du procès […] L’aspect prospectif en présente la phase préparatoire.

(GOSSELIN 2005,36) Comme le souligne KLEIN (1994, 108), la métaphore spatiale couramment utilisée pour décrire l’« imperfectif » qui « saisit le procès "de l’intérieur" » (MAINGUENEAU 1994/1999, 67) se justifierait alors par le fait que

l’intervalle-en-question inclut l’intervalle du procès (voir également DUCROT & SCHAEFFER 1995, 689-690). Confrontons maintenant ces résultats avec ceux auxquels nous sommes parvenus dans la partie 1.8.5 (page 44), où notre approche par les espaces mentaux a débouché sur l’identification de trois grands types de relations aspectuelles : rétrospectif, en cours et

prospectif. Voyons tout d’abord les correspondances terminologiques

qu’il semble possible d’établir :

ici même GOSSELIN (1996) KLEIN (1994) conventionnel autres

rétrospectif accompli PERFECT accompli

en cours inaccompli IMPERFECTIVE imperfectif sécant29

prospectif prospectif PROSPECTIVE prospectif

? aoristique PERFECTIVE perfectif non-sécant

Tableau 6 – L’aspect : correspondances terminologiques

Rappelons que notre approche reconnait à la relation aspectuelle une dimension temporelle de « second ordre », symbolisée par la flèche dans la schématisation de la figure reprise ci-dessous :

28 Rappelons que pour GOSSELIN, la coïncidence est topologiquement parfaite.

29 GUILLAUME (1929/1965, 61) explique ainsi : « L'image verbale est une image qui, d'instant en instant, opère sa réalisation, de sorte que, en quelque point de son déroulement qu'on la considère, elle se divise en deux parties, l'une déjà accomplie qui figure dans la perspective réalité et l'autre inaccomplie qui figure dans la perspective

devenir. Cette vision sécante de l'image verbale est exprimée dans la langue française

par la forme d'imparfait. La phrase Pierre marchait signifie que Pierre marchait déjà depuis un temps aussi court ou aussi long que l'on voudra (perspective réalité), et qu'il marchera encore pendant un temps aussi long ou aussi court que l'on voudra (perspective devenir) ».

intervalle du procès intervalle-en-question

RÉTROSPECTIF EN COURS PROSPECTIF

Figure 31 – Les trois schémas de la relation aspectuelle

Pourquoi « second ordre » ? Parce que cette dimension temporelle n’est pas déictique. Elle ne permet pas par nature la localisation du procès sur l’axe du temps, mais uniquement dans l’espace mental. La localisation déictique est effectuée par la dimension temporelle de premier ordre, c’est-à-dire par la relation temporelle (i.e. le type d’agencement entre l’intervalle-en-question et l’intervalle d’énonciation). Pourquoi ce modèle – étayé sur le fonctionnement par défaut au sein de l’espace

mental de base – ne permet-il pas de prévoir l’aoristique ? 2.4.1 LE PROBLÈME DE LAORISTIQUE

Bien que notre position à cet égard s’avère encore balbutiante et demanderait des approfondissements, nous allons essayer de montrer qu’envisager l’aoristique comme une relation aspectuelle telle que nous l’avons définie – en accord avec GOSSELIN, KLEIN et NOYAU – ne va pas de soi. Dans la partie sur le Passé simple (§5.3.5.1, page 206), nous proposerons une interprétation alternative de l’aoristique en relation étroite avec les contraintes de la narration. Mais avant d’en arriver là, examinons certaines définitions, dont on remarquera d’emblée le caractère métaphorique, présage probable d’une certaine difficulté à circonscrire le phénomène :

L’aspect aoristique offre une vue globale (perfective) du procès. (GOSSELIN

1996, 22)

Le procès perçu suivant l’aspect non-sécant est […] saisi globalement, de l’extérieur, et enfermé dans des limites ; en particulier, une borne finale lui est assignée. (RIEGEL et al. 1994, 294)

L’aspect perfectif présente le procès comme un tout indivisible, saisi « du dehors » dans toutes les phases de son déroulement, comme une sorte de « point » apparu à un moment donné. (MAINGUENEAU 1994/1999, 67)

Au perfectif, le procès […] est intérieur à la période dont on parle. (DUCROT & SCHAEFFER 1995, 689)

Perfectivity indicates the view of a situation as a single whole, without distinction of the various separate phases that make up that situation. (COMRIE

1976, 16)

Toutes ces définitions, à l’exception de celle de DUCROT, font référence à une forme de « globalité » ou d’« indivisibilité ». Les formulations de MAINGUENEAU et de COMRIE paraissent presque contradictoires : est-il possible de saisir le procès « dans toutes les phases de son déroulement », « without distinction of the various separate phases » ? Courant, l’usage de la métaphore rend les définitions difficilement falsifiables : « saisi de l’extérieur », « intérieur », « une sorte de point »,

« enfermé », etc. Dans la mesure où GOSSELIN (ou KLEIN) recourt aux intervalles, il échappe a priori à cette incertitude puisqu’il lui est possible de considérer comme définitoire de l’aspect aoristique la coïncidence parfaite de l’intervalle-en-question avec l’intervalle du procès (même si, nous l’avons vu, la nature de ces intervalles soulève des interrogations). En nous positionnant au sein de l’expérience (passé et présent) et en reprenant la définition de la relation aspectuelle adoptée plus haut, essayons d’interroger cette notion telle qu’elle est présentée ici. Nous nous inspirerons de la définition de RIEGEL et al. (1994, 294), où il est