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La lettre au général Guillaumat

Dans le document Td corrigé Les Miettes pdf (Page 80-87)

ou : Père de famille, ou : la Charité récompensée.

Nous étions au repos, dans je ne sais plus quelle petite gare totalement isolée, dans la plaine crayeuse de Champagne. Arrive le major Julia : « Bergy, votre auto de ravitaillement sanitaire part bien demain matin à 7h pour les ambulances ?... Oui... bon.

Voici une lettre pour le général Guillaumat à X ». Il est à 40 kilomètres, je mets la lettre dans ma poche.

Le lendemain à 8 heures, la lettre était encore... dans ma poche... poche restante.

Me voilà frais !! Et c’est de l’état-major de santé au grand état-major d’armée !... au Général de corps d’armée. Diantre ! C’est grave.

Il n’y a pas à tortiller, il faut que la lettre arrive. Il faut que j’y aille moi-même, pedibus cum jambis, etc. Je lace mes croquenots (= dans le civil : souliers de marche). Je prends un bon morceau de boule et du chocolat (que Pannetier Juliette (à Bichain, Seine et Marne) recevait par erreur, de l’usine Meunier et me renvoyait alors de temps en temps. Je payais. Mes hommes surpris : « Où allez-vous sergent ? », « Qu’est-ce qui se passe ? ». Moi :

« J’ai commis un oubli... etc. J’y vais ». Eux : « Mais 40kms + 40kms = 80kms ». Moi : « Je me débrouillerai ».

Quelle route prendre ? Il n’y en a pas. « Ah ! la voie 60 ! (voie étroite créée pour ravitailler le front) elle me conduira de biais... Je la quitterai quand elle s’écartera trop, soit 12 à 15kms. Après : on verra.

Je marchais donc sur la voie. Arrive un vieux poilu employé sur la voie, complaisant au possible. « Le train va passer à telle heure... par là . Aux tournants, il ralentit... vous choisissez votre moment... et vous levez les bras comme ça. Les poilus du dernier fourgon, toujours assis sur le bord de la porte vous verront... et comprendront. Au passage il vous saisiront par les poignets et vous enlèveront... Pour descendre, choisissez encore un tournant, et vous sautez. Pas dans le sens de la marche ! Ca ferait de la casse...

mais vers l’arrière, comme ça... alors pas de bobo si vous sautez bien ». « Compris, merci ».

De fait, à un tournant, les poilus du train m’enlèvent. En causant, ils m’expliquent les routes, le tournant où descendre. Je saute... pas de bobo... une simple culbute. J’admirai mon talent d’acrobate. Marche à travers champs dans la direction indiquée. Voici la route... une grande route nationale.

Je marche... je marche...

J’arrive au pied d’une côte raide et longue. En bas, une pauvre femme fatiguée poussait une petite baladeuse contenant à l’étroit deux enfants... deux ans ? quatre ans ? C’était pitié. Moi : « Et où allez-vous donc madame... avec vos colis ? ». Elle : « A X. Je suis une réfugiée des pays envahis. Mon mari est cuistot à l’état-major. Si je finis par le

rattraper... vous comprenez. J’aurai à manger pour mes enfants, c’est sûr. Ah, c’te sale guerre. Heureusement que mes deux innocents, eux, y comprennent rien ».

On a beau être attifé en poilu, et pressé par le temps, on n’a pas un cœur de crocodile. « A nous deux la petite mère ». Elle pousse, nous poussons. Mais c’est lourd et ca ne va pas vite. Une idée ! Je tire de ma poche ma ficelle-cordelette en permanence : tradition Bergy...

Elle pousse, je tire, attelé à l’avant. Ca va mieux. Tout en tirant, j’essaie de prêcher un peu. Inutile. Ulcérée et épuisée, elle ne veut rien entendre. Elle est bien excusable la pauvre. Tout de même cela n’arrange pas mes affaires...Quand arriverai-je chez Guillaumat avec ce train d’escargot.

Mais !! Que vois-je ?... Là-bas, en haut de la côte... pas possible ! une auto débouche sur la grande route. Mon auto de ravitaillement à moi. Si je n’avais pas été retardé par la mémère, l’auto aurait débouché derrière mon dos. Je ne l’aurais pas vue... et alors, sur cette route absolument déserte, combien aurais-je eu de kilomètres à m’appuyer aller et retour !

L’auto descend la côte à toute vitesse. Mes deux hommes, devant mon attelage ouvrent de ces quinquets ! Ils me reconnaissent, s’esclaffent, se rangent auprès de mon véhicule... « Ca ne s’était jamais vu ! ».

Ces monstres n’avaient pas obéi à ma consigne. Au lieu de revenir directement du front au cantonnement par les petits chemins de campagne, ils avaient fait un grand crochet pour prendre la route nationale, et ils tombent juste sur moi... au bon moment. Une minute de plus et on ne se serait pas croisés.

Avouez qu’il y a de ces séries de coïncidences bien curieuses, à en donner sa langue au chat.

Illico, je roule ma ficelle. Je laisse pain et chocolat, L’auto ne pouvait pas les contenir. Adieux touchants. Je saute dans l’auto qui fait demi-tour, et dare-dare je file sur X.

Je remets la lettre pour Guillaumat à l’état-major... et je glisse un mot pour le cuistot. « Sa femme et ses deux enfants sont sur la route à 20 ou 25kms, s’il peut venir les aider... ».

Vers 14h, j’arrive au cantonnement de départ... en affectant l’air d’un homme paisible qui trouve cela tout naturel ! Et mes hommes ébaubis de s’écrier : « Ah ca, s’est raide... c’est ce qui s’appelle une chance de jésuite » (sic).

Le lendemain matin, l’état-major s’amusait de l’aventure et surtout du tableau d’un religieux tirant à la ficelle... sa famille. Quand à la lettre me dit Mr Julia, c’était tout bonnement une invitation à dîner. Les troupes étaient au repos.

Dans les griffes du greffe

En permission à Fontainebleau chez Florentine Joseph Lamirault, ma sœur, rue des Sablons, j’étais invité à déjeuner chez mon aînée Eugènie Jules Gagneux, grande rue ? (route de Melun). Je passe donc derrière les grands murs de la Prison. Rue déserte, sauf deux individus : une espèce de grand voyou... et une femme de même allure.

Ils lançaient, en direction de la prison, des coups de sifflets... comptés, espacés, des signaux, évidemment, sans s’inquiéter de ma personne. Un poilu, c’est zéro, il y en a tant.

Qu’est-ce que cela peut bien signifier ?... Bah ! cela ne me regarde pas... On m’attends à déjeuner. Qu’ils sifflent tant qu’ils voudront. Cela m’est égal. Je m’en moque.

« Je m’en moque !». J’entends dans le fond de ma conscience un petit : Toc-toc...

J’ai tellement entendu l’équivalent : « Je m’en f... » répété par des gens qui pensaient se libérer, avec ces mots, d’un devoir gênant, que je n’ai jamais prononcé cette formule. En

famille on ne l’admettait pas. Je me surprenais donc à la prononcer mentalement ! J’en fus humilié. Cela piqua mon amour-propre.

C’est comme le tympan (chez les sourds). Tant qu’on entend le plus petit toc-toc, c’est bon signe. Dès qu’on ne l’entend plus, c’est mauvais signe. C’est grave, beaucoup plus grave qu’on pourrait le croire. Les « j’m’en fichistes », ce sont des sourds amoraux... des immoraux si vous voulez.

Donc je dois répondre au : toc-toc. Arrivé devant le Prétoire, le Palais de Justice, j’entre.

Une femme balayait le vestibule. Je lis : Greffe. « Madame, je désire voir M. le Greffier ». Elle : « C’est mon mari. Qu’est-ce que vous lui voulez ? ». Moi : « Lui dire deux mots ». Elle : « Qu’est-ce que vous voulez lui dire ? ». Ah ca ! quelle pécore ! ». Moi, très sec : « Madame, c’est à lui que je veux parler et non à vous ». Maussade, elle lâche son balai, monte le grand escalier,... et reparaît. Elle : « Il est à son bureau, vous pouvez monter ». Je monte.

« Monsieur le Greffier, je n’ai que deux mots à vous dire. Cela n’a pas d’importance. En passant sous les murs de la prison, j’ai vu deux individus lancer des signaux au sifflet, c’est tout ». Lui : « Pardon, voudriez-vous me donner lentement tous les détails. Je vous écoute en écrivant ». Un peu surpris, je donne les précisions, et je salue en me retirant. « On m’attends (à déjeuner). Lui : « Pardon, je regrette mais vous ne pouvez pas partir ainsi. Il faut absolument que vous voyiez le juge d’instruction ». Moi, intérieurement : Bonsoir de bonsoir, dans quel guêpier suis-je tombé. « Mais, Monsieur, j’ai dit tout ce que j’avais à dire ». Lui : « Vous ne pouvez vous retirer ». Ce disant, il entre dans le bureau du juge d’instruction, lui dit deux mots à l’oreille. Aussitôt celui-ci s’adresse à moi : « Entrez, entrez, je vous écoute ». Moi : « Mais Monsieur, j’avais deux mots à dire, sans intérêt ».

Lui : « Veuillez me répéter ce que vous avez dit au greffier ». Moi, intérieurement : encore ! Si on m’y repince ! Je reprends mon récit : individus, signaux... Aussitôt terminé, je veux me retirer. Lui : un instant s’il vous plaît. Pour vous montrer que votre déposition est plus intéressante que vous ne pensez, écoutez ». Il prend le téléphone. « Allô... Melun (15 km)...

Prévôté (ou Justice ?). Ici Fontainebleau. Prison. Nous nous attendons à une révolte, ce soir, dans la prison. Je reçois une déposition qui confirme mes données. Envoyez nous tout de suite deux ou trois sections ». Il coupe. Lui : « Vous voyez l’importance de la question... ».

Voilà tout.

« Et alors mon oncle, qu’est-il arrivé ? ». Tu me le demandes ?... Il est arrivé que j’ai pris mes jambes à mon cou... j’ai filé comme un zèbre, comme si j’avais à mes trousses la cerbère au balai, son greffier de mari, le juge d’instruction et tous les sbires de la création.

En me jurant qu’au grand jamais je ne me jetterais dans les griffes du greffe... quand m’attends un déjeuner. « Mais, mon oncle, si ta conscience fait encore toc-toc ? ». Ma conscience ? Ah oui,... hum... je... comment donc !... évidemment... bien sûr... c’est clair...

je... je lui dirai de taper plus fort... très fort... A mon âge, je crains d’avoir l’oreille un peu dure.

La révolte n’eut pas lieu. La présence des sbires de Melun les fit réfléchir.

Après tout... j’ai peut-être évité à un pauvre diable de gardien l’ennui d’avoir le crâne fracassé.

Dilemne ou le docteur pris à son piège (1905 ou 1907)

Notre bateau a franchi le détroit entre Carybde et Scylla76 devant Messine, et pique vers Alexandrie. Ciel étoilé. Mer calme. Le rythme régulier des machines semble

76 Entre Italie et Sicile.

commander celui des pensées.

Sur le pont, les passagers étendus sur les chaises longues écoutent avec attention un récit du docteur.

Il s’agit de la préparation militaire des Russes à la guerre contre le Japon (1902).

La commission russe, chargée d’un achat d’obus, s’adresse au Creusot où on lui offre les meilleures conditions de matériel garanti et de prix. Impossible d’arriver à un accord.

Pourquoi ? Ces messieurs les Russes avaient un premier but inavouable et inavoué : leur intérêt personnel : toucher une forte « commission » autrement dit un magnifique « pot de vin ». Déçus, ils se rendent à Berlin où le marché se conclut en 5 secs.

C’est toujours le docteur qui parle : Survient la guerre. La flotte russe, en marche vers Port Arthur, très chargée de charbon, donc au ralenti, choisit la passe étroite de Tsoushima proche du Japon. C’est la voie la plus courte, mais la plus dangereuse.

Précisément, à cause de ce danger, les Japonais ne soupçonnèrent pas que les Russes aient pu l’emprunter. La flotte, en ordre de marche, voit son plan se réaliser, tout va bien, elle est déjà passée en partie lorsque, par hasard (?) la vigie d’un petit bateau japonais l’aperçoit, le signale. La flotte japonaise fond de suite sur les malheureux bateaux russes, alourdis de charbon et égrenés.

Bataille.

« Les obus japonais, disait le docteur, éclataient sur les Russes en rencontrant le moindre obstacle, fut-ce un filon, et déchiraient par milliers les marins, y compris l’amiral.

Les obus russes n’éclataient pas sur l’obstacle ou même ne partaient pas. Ils n’étaient pas calibrés suivant l’âme du canon !

Ce fut un désastre irrémédiable, décisif. L’empire russe ne s’en releva pas. Et cela pour un pot de vin, tandis que ces messieurs de la commission d’achat se gobergeaient, fortune faite, dans leurs luxueux hôtels de St Pétersbourg.

Ces félons, ces traîtres infâmes, dignes de tous les châtiments, avaient vendu leur Patrie et fait massacrer des milliers d’hommes pour quelques poignées d’or... pour « trente deniers ». Ainsi parla le docteur.

Je suivais le récit émouvant du docteur et partageais le frémissement indigné de l’auditoire contre les gredins. Sa sobre éloquence obtint un plein succès.

Le lendemain matin, sur le pont, sous le même ciel étoilé, sur une mer aussi calme, le docteur et moi nous devisions.

Le sujet de la conversation était d’un tout autre ordre que la veille. J’étais sur mon terrain. Un missionnaire missionne partout. Il s’agissais de la Morale pure et simple.

Non de son application à un cas particulier, mais de son fondement, de sa valeur obligatoire en somme : de l’existence du Bien et du Mal.

Lui prétendait parler au nom de la Science, d’après les théories matérialistes de Le Dantec alors en vogue, moi au nom de l’assentiment universel, traditionnel et de l’immortalité de l’âme.

Lui : « Non, mon Père, il n’existe aucune autorité qui s’impose à l’homme, à ce qu’on appelle la Conscience. Le bien et le mal, purs concepts, création cérébrale de l’imagination ancestrale, n’existent pas en tant que réalité. Le Dantec, que je dois avoir dans ma bibliothèque, le prouve. Chacun vit et meurt comme un insecte, sans autre obligation que la pensée de ses instincts. Chacun n’a d’autre loi obligatoire que celle de jouir au mieux de la vie suivant les circonstances. Le devoir, ou ce qu’on imagine tel, n’est qu’un mot vide de réalité ignoré dans nos laboratoires où nul ne l’a pesé, mesuré. En dernière analyse, l’intérêt que nos cellules vitales trouvent à vivre, à se développer, voilà la seule loi si c’en est une.

Qu’importe à Sirius, la vie de ces moucherons terriens qui vivent à l’horloge des astres, le

temps d’un éclaire, pour disparaître dans le néant. Vous êtes sincère, mon Père, soit, je l’admets, mais ce que vous appelez Morale ou Devoir, avec un grand D, n’est qu’une illusion... fumier de cigarette... vous êtes dans l’erreur ».

A mon tour : « Docteur, excusez ma faiblesse, mon ignorance, ma parfaite impuissance à concilier vos propos d’hier soir avec ceux dont vous voulez bien m’honorer aujourd’hui. Nous parlons d’homme à homme, en toute sincérité et loyauté. Je vous prierai donc de me dire quelle est votre véritable pensée : celle d’hier ou celle d’aujourd’hui.

Hier, parliez-vous pour la galerie, sans croire un mot de ce que vous disiez ? Le bien était le bien, le crime, un crime. Trahir son pays pour 30 deniers, faire massacrer ses concitoyens, était une infamie, le mal irréductible, immonde, nullement indifférent.

Aujourd’hui, le Bien est une naïveté antiscientifique dont on se débarrasse avec l’Étude, un préjugé atavique, racial ou autre. Le mal est un acte d’habileté ou de maladresse que légitime, l’intérêt sous l’impulsion des instincts. Le crime : l’acte parfaitement indifférent d’un insecte bipède ou non qui dévore son congénère, son époux, comme l’araignée, le scorpion, etc., voire Le Dantec que je connais aussi bien que vous.

Hier, mourir pour la Patrie c’est le sort le plus beau, le plus digne d’envie...

Aujourd’hui : « Mourons pour les petits oiseaux77. » Hier : « Gloire immortelle de nos aïeux »...

Aujourd’hui : « Préjugé de masses tardigrades qui n’ont jamais lu Le Dantec et que les classes instruites et capitalistes entraînent gaillardement aux charniers glorieux, avec les trombones de la Marseillaise et autres slogans patriotiques.

Docteur, encore une fois, voudriez-vous accorder vos propos, sinon je serai en droit de mettre en doute vos sincérités successives. Étiez-vous sincère hier, ou l’êtes-vous aujourd’hui ? Parlez-vous deux langues, l’une pour le public, pour les profanes, l’autre pour les initiés du temple ? Mort l’insecte humain, tout est mort. Est-ce votre dernier mot ? »

Le docteur ne s’attendait pas à « celle-là ». Entraîné par son désir d’ « épater » un missionnaire, sans doute ignorantin, et sortant de la brousse, il n’avait, pensait-il, qu’à me servir tous les mégots pseudo-scientifiques ramassés dans sa jeunesse sur les boulevards du quartier latin et... il s’enferra lui-même à plaisir.

Biaiser ? Impossible. Il ne lui restait pour toute ressource qu’à changer de sujet.

Inutile. J’avais tôt fait de le ramener lestement à la question.

Il s’en tira en amateur : « Puisque l’homme est tiré d’un principe humide, et qu’il fait encore chaud, allons au buffet. Il est encore ouvert. Je vous offre un bock de bière ».

Le surhomme allemand

Dans l’Adriatique, un bateau italien, à tarif très réduit, et cependant presque sans passagers, m’emmène vers Venise. De là, je gagnerai l’Angleterre78.

Sur le pont, nous sommes trois : un officier soi-disant Turc, avec son bonnet (tarbouch) en laine de mouton, sa femme et moi. L’accent, les « ch » ou les « f » au lieu du

« v » français trahissent l’officier allemand. Nécessairement, la conversation s’engage entre lui et moi.

Une première fois il me fit le lamentable tableau de sa Patrie turque humiliée, épuisée par des vampires : « les vieux Turcs de la sublime Porte, hauts fonctionnaires de tous les Ministères, n’étaient qu’un ramassis d’affreux coquins acharnés comme une meute, autour du trésor public. Tous les impôts passaient dans leur poche. Nulle vergogne. Pillage éhonté. Aucun des travaux publics : instruction, communications, défense militaire surtout,

77 Slogan de 1906 contre la guerre.

78 Pour le second noviciat que chacun doit faire après 33 ou 34 ans.

nécessaires à une nation moderne n’était exécuté. Le soldat était retenu en service au-delà du temps légal parce qu’on l’entretenait avec quelques piastres, sans chaussures79, avec habits en loques, sans exercices de tir, presque sans vivres (j’ai vu tout cela) parce que son « prêt » (sa solde) restait aux mains de galonnés superbement vêtus (J’étais là, les permissions se vendaient... même les colonels vendaient. Aviez-vous une montre de prix... Sa dame en avait besoin80). Tous ces purs scélérats, vieux Turcs, obéissaient (ou commandaient) à un sultan sadique, captif dans son harem, rouge de tout le sang de ses ennemis personnels et des Arméniens. Quel était mon avis à moi (!?) et celui de l’Europe ? Eux, les jeunes Turcs devaient-ils occire cette ignoble racaille y compris le Sultan et gouverner en son nom encore sacro-saint pour les foules qui respectaient en lui le Khalife, le successeur du prophète ? etc.

etc.

Peu après ce premier entretien, l’officier (capitaine) me demande ex abrupto :

« Voudriez-vous causer avec moi philosophie. En mer rouge, j’ai causé longtemps philosophie avec M. X? Y? ».

Un peu étonné d’abord de cette entrée en matière bien teutonne, j’accepte avec plaisir.

Cette méthode allemande de choisir un sujet de conversation et de s’y tenir a du bon : Au lieu d’une divagation, d’un papillonnage à droite et à gauche, d’un décousu où chacun bat la campagne au gré de son imagination ou de sa petite vanité, la conversation devient une thèse. Est-ce reposant ? Question d’habitude peut-être.

Mais mon oncle, diras-tu, ne risques-tu pas de t’engager dans une impasse, dans une discussion philosophique d’où tu ne pourrais sortir qu’avec pertes et fracas ?

Nullement, mon neveu. Parce que d’abord je suis, moi, sur mon terrain, eux,

Nullement, mon neveu. Parce que d’abord je suis, moi, sur mon terrain, eux,

Dans le document Td corrigé Les Miettes pdf (Page 80-87)