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Diplomates, marins, missionnaires

Dans le document Td corrigé Les Miettes pdf (Page 87-90)

Dans ses Traités avec la Porte, François I avait obtenu, pour la France seule, parmi toutes les autres nations, la protection des chrétiens de tout rite, quelle que fut leur nationalité; avaient-ils à se plaindre d’un acte de violence quelconque de la part d’un fonctionnaire Ottoman, en tant que chrétiens, ils avaient le droit d’en référer aux Ambassadeurs et aux Consuls de France. Les Nations étrangères enviaient ce privilège qui rehaussait le prestige de nos couleurs et guettaient l’occasion de nous en déposséder.

La tempête anticléricale qui se déchaîna autour de 1880, en France, eut sa répercussion sur ces traités.

Le pays se partagea en deux camps. Le camp maçonnique, infime comme nombre, présidait aux nominations, spécialement dans l’Armée et la Marine81.

Le problème se posa dans ce camp lui même. Fallait-il propager, à l’étranger, en pays d’influence Française, cet anticléricalisme, où la pénétration de nos missionnaires est profonde. Gambette lui même (1838-1882) hésitait :

puis se décida : « L’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation ». Paix aux missionnaires.

Au Levant, la France conservera son rôle de protectrice des chrétiens. Un Amiral, ami des loges, cependant crut faire sa cour, en violant la consigne. Cela pensait-il lui voudrait de l’avancement.

Une escadre Française, comme c’est l’usage chez toutes les grandes nations, avait été chargée de porter nos couleurs dans les ports du Levant, et d’y recevoir les hommages de tous ceux qui s’en réclament et en affirmant : La France est assez forte pour vous soutenir.

L’amiral, à son retour, se présente à l’ambassadeur français de Constantinople, M. C..., pas catholique pour un liard, mais conscient de son rôle et des intérêts français.

Notons en passant, que les personnages de cette catégorie, assurés de n’être pas taxés Paris de cléricalisme, ne craignent pas de se compromettre et sont parfois les meilleurs soutiens des missionnaires. Ils nous voient de prés à l’œuvre et n’hésitent pas , non seulement à nous soutenir mais à promouvoir nos œuvres82.

L’amiral a M. C.. : « A chaque escale, ce fut à mon bord un assaut d’ensoutanés de toutes couleurs, noirs, violets, rouges. Missionnaires, évêques, archevêques, patriarches.

Ces naïfs, les prélats, ne doutent de rien? Ils s’attendaient à ce que je les salue à coups de canon ! Ils ne me connaissaient pas ... Je ne les ai pas jetés à la mer. On sait vivre en France, et ils ne savent pas nager... Mais je les ai remis à leur place de la belle façon. Ma parole ! Ces pauvre gens se croient encore au temps du Roi Très Chrétien François Ier et s’imaginent que le France se soucie de leurs salamalecs. Je n’allais tout de même pas brûler ma poudre pour ces moinillons là. Je leur ai fait comprendre que la France a évolué, que notre gouvernement n’est plus celui de Saint Louis et des croisades. Ils savent maintenant qu’un individu costumé en Patriarche, en Archimandrite, en archi... je ne sais quoi, n’est aux yeux de la République qu’un citoyen comme un autre, quelque soit son plumage. J’ai invité ces soi-disant chefs de nation copte, syriaque, maronite, grecque, arménienne à regagner leurs sacrés gourbis.... »

L’amiral, excellent marin peut-être, mais physionomiste et psychologue comme ma botte, prit sans doute pour une approbation les crispations qui échappaient à l’ambassadeur, habitué cependant, par profession, à dissimuler ses intimes impressions. La diplomatique cervelle éclata, et en termes nullement académiques.

« Amiral, dans ma longue carrière j’ai éprouvé bien des surprises, j’en ai vu de vertes. Mais des impairs de ce calibre, c’est de l’inédit. Tonnerre de tonnerre ! Mais d’où sortez-vous ? Vous démolissez tout notre travail et vous en êtes fier ? Nous nous épuisons à retenir ce qui nous reste d’influence au pays des croisades et vous le jetez à la mer ! Ce que nous avons péniblement construit vous, vous le bombardez... »

« Anticlérical sincère, on le sait à Paris, je le fus. J’ai fait mes preuves, comme on dit. Je ne le suis plus. Non par commande, non par profession, mais par loyauté. Sans être

81 On demanda un jour à un général « Avez-vous des officiers qui fréquentent l’église ? Réponse : « Je ne saurais vous dire. Comme j’occupe le premier rang, j’ignore ceux qui se placent derrière ». C’était un acte de courage.

82 Pendant la guerre 14, j’ai vu un colonel, non pratiquant, répartir le dimanche, quand c’était possible, tout comme un évêque, les prêtres soldats dans les paroisses du front privées de leur curés par la mobilisation.

devenu pour autrui un croyant, j’ai vu ici de trop près à l’œuvre nos missionnaires pour ne pas apprécier leur travail et respecter leur personne. Que coûtent-ils à l’État ? Rien. En attendant que vos loges aient fourni des équipes d’hommes capables comme eux, de se donner à des œuvres d’humanité, leur vie durant, corps et âme, gratis, sans espoir d’avancement ni de bénéfice personnel quelconque, en attendant vos équipes à vous, ceux-là, les missionnaires, je les salue chapeau bas. De vos loges, de votre anticléricalisme, je m’en F.

Je ne connais que la France, elle seule vous a envoyé.

Quant aux prélats, aux ensoutanés, comme vous dites, c’est une autre question.

Comme de juste, amiral, vous ne savez pas un traître mot d’arabe. Mais qui donc en Égypte, en Palestine, en Syrie, au Liban, en Turquie, etc. enseigna le français à ces prélats ? Nos missionnaires.

Sortons de la Sacristie, entrons dans les docks, les magasins. Qui permet à nos commerçants, à nos représentants de grandes usines et ateliers de Paris, de Lyon, de Marseille, Rouen, St Étienne, Troyes, Roanne...etc. de vendre l’article français, de faire travailler nos ouvriers ? Nos missionnaires. Vous cueillez les fruits d’une main et de l’autre vous voulez couper l’arbre ! Cette méthode porte un nom que je n’ose prononcer. Croyez vous qu’un chef d’escadre anglais, italien...etc. agirait ainsi ? Ils ont dû se frotter les mains de l’autre côté de la mare en vous voyant lâcher ceux que vous deviez soutenir.

Si vous voulez qu’à Paris, au ministère, on sache quel joli travail vous avez accompli, si vous en êtes fier, vous n’avez qu’un mot à dire. Je m’en charge, je n’aurai qu’a transmettre votre entretien sans changer une syllabe. Mais vous ne seriez pas le bon marchand, je vous en donne ma parole.

Ils poursuivent, nos missionnaires, un idéal, un but moral, plus élevé que le commerce et l’industrie je le reconnais; est-ce pour cela que vous les recevez sur nos bateaux, terre française, de la façon dont vous le dites ? Cela passe limite.

Ce haut clergé à qui vous avez refusé les honneurs des salves auxquelles, par tradition séculaire, il avait droit... « pour ne pas brûler votre poudre aux moineaux ». En quelle langue s’est-il présenté à vous ? Voulez-vous qu’il aille s’adresser, dans une autre langue, à une autre marine battant pavillon anglais, italien, allemand ? Non. Alors ? Voulez-vous que notre gouvernement renonce à des privilèges diplomatiques que tous les régimes : royauté, empire, république, ont tenu à conserver, malgré les intrigues intéressées des nations rivales ?

De quel droit avez-vous signifié, vous militaire à ces chefs de communautés, de

« nations », pour parler leur langage, qu’ils n’ont plus à compter sur aucune préséance?

Depuis quand un militaire de passage a-t-il le droit d’abroger des conventions diplomatiques ? Des Traités ? Vais-je sur vos bateaux abroger des conventions militaires ? Paris n’a pas l’habitude de passer par dessus la tête des ambassadeurs, il m’aurait prévenu tout d’abord. Et même dans ce cas il aurait reçu une réponse adéquate : ma démission.

Amiral, il faut recoudre. On ne vous a pas envoyé là-bas uniquement pour sabler le champagne avec les notabilités et les rastaquouères de haut vol, ni pour faire valser,

« mazurker », vos jeunes officiers avec de jolies donzelles du high-life, mais pour affirmer devant des agents consulaires étrangers trop pressés, que l’anticléricalisme n’est pas pour nous un article d’exportation et que la France entend conserver tous les droits et privilèges qu’elle tient des Capitulations de François Ier, en même temps qu’elle remplira tous ses devoirs.

Dans toutes les maisons officielles, cléricales ou non, battant pavillon français, il y aura donc des manifestations où marins et soldats dresseront, en bonne place, nos couleurs.

Et il me faut de ces cérémonies avec des prélats et des curés de toute couleur, en

masse, où vous sortirez tous vos grands jeux, tout le tralala des jours de fête. Et puis de ces processions longues, longues, avec... avec je ne sais trop quoi... de ces processions avec...

messe, salut, vêpres et tout ce qui s’ensuit, mais aussi du canon qui se répercute 100 fois dans les montagnes... Et que ça pète et que ça claque, tonnerre de Brest ».

Dans le document Td corrigé Les Miettes pdf (Page 87-90)