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La situation économique et matérielle des esclaves et des affranchis publics

2. Les attestations de richesse

2.1. Les vicarii publicorum

Parmi les signes qui traduisent l’aisance de certains publici, on relèvera d’abord le fait que plusieurs d’entre eux disposaient de leurs propres esclaves. Une dizaine de vicarii attachés à des dépendants de cités sont en effet clairement identifiés grâce à l’épigraphie et une pierre fragmentaire provenant d’Aquilée permet de compléter cette liste par la mention d’un vicarius resté anonyme mais dont on sait qu’il servait un employé – peut-être un tabularius - de la colonie630.

Les vicarii des servi publici

Par ailleurs, il se pourrait qu’un certain Trophimus Germanianus, col(onorum) c(oloniae) P(atriciae) ser(vus), ait lui aussi occupé cette position auprès d’un servus publicus de Cordoue631. Certes, le personnage n’en fait pas explicitement état dans la dédicace funéraire qu’il adresse à A. Publicius Germanus, sacerdos et magister perpetuus iterum de la familia publica, mais la lecture du document permet néanmoins d’envisager la nature des liens qui

630 InscrAq., 555. Nous suivons ici la restitution proposée par F. Luciani, op. cit., p. 86-87 mais d’autres interprétations restent envisageables.

631 CIL, II2, 7, 315 (= CIL, II, 2229).

Lieu / Références Date Vicarii Servi publici ordinarii

Aquileia

InscrAq., 555

Ier / IIe s. ? [--- tabula?]rius p(ublicus) c(olonorum)

A(quileiensium) s(ervus)

Venusia

CIL, IX, 472

Ier s. Trop[h]imus Pyramus colon(iae) vi[l]icus Telesia

CIL, IX, 2244

? Adiutor Epitychanus Telesinorum ser(vus) ark(arius) Pitinum Mergens

CIL, XI, 5968

? Sabinus Fructus pub(licus) s[er(vus)] Urbinum Mataurense CIL, XI, 6073 ? Secundus October Secundina

Verecundus Urv(inatium) vil(icus) ab alim(entis)

Brixia

CIL, V, 4507

(Inscr.It., X, 5, 302)

Ier / IIe s. Nigrinus Cosmus Brix(ianorum) vilicus

Comum

CIL, V, 5318

Ier s. Surio Trophimus m(unicipum) C(omensium) act(or). Vercellae

CIL, V, 6673

IIe s. ? Severinus Zosimus m(unicipum) V(ercellensium) vilicus Narbo

CIL, XII, 4451

(ILS, 6874 )

unissaient les deux hommes. L’agnomen Germanianus vient en effet rappeler qu’avant de passer au service de la cité, Trophimus avait préalablement appartenu à A. Publicius Germanus632, lui-même ancien esclave public devenu affranchi. On ignore à quel moment Trophimus a été acquis par A. Publicius Germanus mais, dans l’hypothèse où celui-ci se trouvait alors encore dans la servitude, Trophimus pourrait avoir été son vicarius. Il est possible aussi qu’en vertu des dispositions avantageuses dont bénéficiaient les publici quant à la gestion de leur pécule, A. Publicius Germanus ait conservé son esclave lors de son affranchissement. Il apparaît en tout cas que Trophimus fut par la suite vendu (empticius)633 à la cité et ce, peut-être dans le but même de venir remplacer Germanus au sein des services municipaux. De fait, cet exemple singulier soulève la question du rôle joué par les vicarii.

En règle générale, ils semblent intervenir comme des auxiliaires, secondant les publici dans leur travail et, au demeurant, force est de constater que les esclaves qui disposaient de vicarii détenaient très souvent des fonctions d’encadrement et exerçaient des responsabilités au sein de l’administration municipale634 : quatre d’entre eux sont des régisseurs (vilici)635 et il y a aussi un arkarius636 et un actor637. Il s’agit par conséquent de personnels qui remplissaient des tâches souvent complexes et qui pouvaient avoir besoin de requérir pour cela l’aide de serviteurs. Dans certains cas, il est probable aussi que les vicarii publicorum aient tenu le rôle de suppléants auprès de leur ordinarius et H. Erman a montré que le vicariat constituait en cela une forme d’apprentissage : l’esclave ordinaire achetait et formait à ses côtés un vicaire qui pourrait ensuite le remplacer, notamment après son affranchissement638. Il y avait de la sorte transmission de savoir-faire et de compétences et, concrètement, la succession d’un vicarius à son ordinarius permettait d’assurer une certaine continuité dans le service. Un rescrit de Gordien vient d’ailleurs confirmer que les esclaves publics avaient, semble-t-il, la possibilité de fournir ainsi un remplaçant lorsqu’ils obtenaient la

manumissio639. Outre ces fonctions techniques et administratives, le vicarius devait

632 Sur le passage d’esclaves privés vers la propriété publique, cf. supra partie I.

633 Cette mention est en effet très rare dans les sources épigraphiques et c’est la seule dans le corpus des esclaves publics. Elle indique explicitement que l’acquisition des esclaves publics pouvait se faire selon le mode de l’emptio, procédure du reste confirmée par la rubrique 79 de la loi municipale d’Irni : « (...) emptiones eorum

qu[i] municipibus [s]erviant (...) » ainsi que par un décret d’Herculanum (CIL, X, 1453 = ILS, 5616) : « (...) servos quei re[i k(ausa)] emptus est erit (...) ».

634

Ce phénomène est constaté pour l’ensemble du monde servile. Sur ce point, voir notamment H. Erman, Servus vicarius..., op. cit., p. 433 à 437 et J. Andreau, R. Descat, Esclave..., op. cit., p. 173.

635 CIL, IX, 472 ; CIL, XI, 6073 ; CIL, V, 4507(Inscr.It., X, 5, 302) ; CIL, V, 6673 636 CIL, IX, 2244.

637

CIL, V, 5318.

638 Selon H. Erman, Servus vicarius..., op. cit., p. 432, il s’agit précisément de l’affranchissement dit « vicario

relicto ».

639 C. J., 7.9.1 (Gord.) : « Si ita ut lege municipali constitutionibusque principum comprehenditur, cum servus publicus esses, ab ordine consentiente etiam praeside provinciae manumissus es, non ex eo quod is, quem dederas vicarium in fugam se convertit, iugo servitutis quod manumissione evasisti iterato cogeris succedere. »

également, comme tout esclave, servir l’ordinarius à titre personnel. Aussi est-il sans doute quelque peu vain de vouloir établir une distinction entre les différentes tâches qui revenaient à ces agents car, comme le pense F. Reduzzi Merola640, les rôles devaient souvent se confondre. Cependant, on peut penser que les vicariae, telles Myrine, employée auprès d’un certain Faustus, esclave public de la colonie de Narbonne641, et Secundina, dépendante de Verecundus, vilicus ab alimentis de la cité d’Urbinum642, étaient des esclaves personnelles, servant leur maître dans un cadre strictement domestique. Il est établi, du reste, que nombre de vicariae se trouvaient être en réalité des contubernales de l’ordinarius car, selon H. Erman643, un esclave devait avoir plus de chance de garder auprès de lui sa femme et ses enfants s’ils étaient ses vicaires et s’ils entraient dans son pécule. L’épitaphe d’Urbinum témoigne sans doute d’ailleurs de ce type de situation : Verecundus en adresse en effet la dédicace à la fois à Secundina et à deux autres vicarii, Secundus et October, ce dernier étant lui-même qualifié de verna, terme dont on sait qu’il dissimulait quelquefois un rapport de filiation. C’est donc très certainement l’existence de liens familiaux qui explique que ce vilicus ait été entouré de trois vicarii. Dans tous les autres cas recensés, les publici ne semblent avoir possédé qu’un seul esclave.

Cela n’en constituait pas moins un signe distinctif et un marqueur évident de leur aisance financière. Disposer d’un vicarius suppose en effet d’avoir eu un pécule suffisant non seulement pour en faire l’acquisition mais aussi pour subvenir ensuite à son entretien courant. Par conséquent, les auteurs s’accordent à reconnaître que seul un nombre relativement restreint d’esclaves a du bénéficier de ce privilège644 et, manifestement, les publici gestionnaires appartenaient à cette catégorie. Dans son étude, H. Erman a défendu l’idée selon laquelle la forte présence de vicaires auprès des esclaves qu’il appelle « supérieurs », s’expliquerait par un moindre accès de ces derniers à l’affranchissement645. L’argument n’est sans doute pas irrecevable mais on reste en droit de penser que ce sont d’abord les moyens substantiels dont disposaient ces agents qui leur ont permis d’avoir à leur tour des esclaves. De surcroît, au-delà de ses aspects fonctionnels et économiques, le système du vicariat constitue bien évidemment, à son échelle, une représentation des structures sociales. En reproduisant le rapport esclavagiste dominant / dominé646, il offre à l’élite servile l’occasion d’afficher aux yeux de tous sa propre réussite. Ainsi, avoir à sa disposition des esclaves est un

640 F. Reduzzi Merola, Servo parere..., op. cit., p. 183.

641

CIL, XII, 4451 (ILS, 6874 ).

642

CIL, XI, 6073.

643 H. Erman, Servus vicarius..., op. cit., p. 444. 644 J. Andreau, R. Descat, op. cit., p. 173. 645 H. Erman, op. cit., p. 447.

646

Sur ce point, Y. Thébert, L’esclave, L’homme romain (dir. A. Giardina), Paris, 2002 (éd. française), p. 204-208.

moyen de se démarquer et de « tenir un rang » car, si le vicarius assure à l’esclave ordinaire de nombreux services dans sa vie quotidienne et son travail, il lui sert tout aussi bien de faire-valoir. La possession d’autres esclaves semble le corollaire d’une certaine aisance financière mais d’autres signes matériels peuvent également en attester.