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Les Valeurs de Remémoration et contemporanéité :

Chapitre I : Evolution de la notion de patrimoine

7. la notion de valeur :

7.1. Les Valeurs de Remémoration et contemporanéité :

Selon Riegl,50le culte des monuments est organisé autour de deux grandes notions :

Le culte moderne des monuments est issu. Précurseur de la question patrimoniale, il en pose dès1903 certaines questions fondamentales. « Selon la définition usuelle, est œuvre d’art toute oeuvre humaine tangible, visible, audible, qui porte une valeur artistique, est monument historique toute œuvre de même nature qui possède une valeur historique »51. En

conséquence, il pose la question suivante, primordiale dans la recherche d’une définition du patrimoine :

7.1.1. Les Valeurs de remémoration :

Dans son ouvrage «le culte moderne des monuments», Riegl a distingué d’abordla valeur historique. Puis il a montré que cette valeur appartient à une notion plus large qui englobe aussi la valeur d’ancienneté et la valeur de remémoration intentionnelle sous la notion des valeurs de remémoration, liées au fait que l’objet parle du passé.

7.1.1.1.la Valeur d’ancienneté :

Plus un objet est ancien, plus il a de la valeur. Elle renvoie à l’âge de l’édifice et au temps qui s’écoule. Elle implique l’abondant des choses à leur destin naturel aboutit dans tous les cas, à un conflit avec la valeur de contemporanéité. La mise en évidence de la valeur d’ancienneté est considérée comme l’une des contributions le plus originales de Riegl.

«Au regard de la valeur d’ancienneté, la loi esthétique fondamentale de notre époque peut être formulée de la façon suivante : nous exigeons de la main de l’homme qu’elle produise des œuvres achevées et closes, symboles de la loi de la création. Nous attendons au contraire de l’action de la nature au cours du temps la dissolution de ces œuvres, symbole de la loi également nécessaire de la dégradation.» 52.

La valeur d’ancienneté augmente au fur et à mesure de la dégradation de l’objet ou de l’œuvre et disparaît à la destruction totale. Le respect de cette valeur motive le respect des processus « naturels » de dégradation et s’oppose aux ajouts et à la destruction violente. L’émergence de la valeur d’ancienneté peut être liée à l’intérêt nouveau porté au

XIXème à l’action d’une expérience sur un sujet (en tant que sensibilité ou conscience) : la valeur historique est liée à un fait ou un événement objectif par rapport à l’observateur (même si la reconnaissance de l’historicité du fait ou de l’événement est subjective) alors que la valeur d’ancienneté est liée à un effet subjectif et affectif de l’objet ou de l’œuvre sur l’observateur.

50Historien de l’art, Riegl (1858-1905) fut l’une des figures majeures de l’École de Vienne19. D’abord nommé conservateur du département des tissus au Musée autrichien d’art et d’industrie de Vienne, il devient Professeur à l’université de Vienne en 1897. En 1902, il est nommé président de la Commission des monuments historiques et chargé d’élaborer une nouvelle législation de la conservation des monuments dont son ouvrage 51Riegl, « le culte moderne des monuments » 1858-1905 p. 55

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A. Riegl, op. cit., p. 66, cite-in P.M. TRICAUD, CONSERVATION ET TRANSFORMATION DU PATRIMOINE VIVANT op-cit. P.17.

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Bien que Brandi ne parle pas de la valeur d’ancienneté en tant que telle, il insiste sur

l’importance de la patine d’une œuvre dans la perception du temps écoulé depuis le temps de genèse de l’œuvre.

7.1.1.2.la Valeur historique :

Souligne la dimension du patrimoine en tant que témoin du passé. Elle insiste sur l’état originel du patrimoine. Cette valeur implique avant tout une attitude conservatrice et une opération de restauration à l’identique. Selon Riegl, cette valeur ne représente pas seulement la valeur du passé en générale, mais aussi la valeur d’une époque précise.

«La valeur historique d’un monument réside dans le fait qu’il représente pour nous un stade particulier, en quelque sorte unique, dans le développement de la création humaine.»53

Valeur attachée à l’intérêt que présente l’objet ou l’œuvre en tant que stade particulier de la création humaine que ce soit par rapport à son état initial ou par rapport aux ajouts reconnus historiques.

Les altérations et les dégradations ont donc un rôle perturbateur. La valeur historique (pour l’histoire ou l’histoire de l’art) est souvent plus grande si l’état de l’objet ou de l’œuvre est proche de l’état initial. Ceci motive la suppression de ses altérations qui masquent des parties d'origine et des informations, la conservation en l’état ou la reconstitution sur des copies, car l’objet ou l’œuvre est intouchable afin de garantir l’authenticité du document historique.

Brandi parle lui d’instance historique qu’il distingue de l’instance artistique (Brandi, C. 1977; Brandi, C. 1995).

Françoise Choay appelle cette valeur historique, la valeur cognitive insistant sur l’apport du monument à une connaissance

7.1.1.3.la Valeur de remémoration intentionnelle :

La valeur de remémoration intentionnelle s'oppose de manière absolue à celle d'ancienneté, en ce qu'il exige l'effacement complet de toute trace de dégradation et l'éternité du monument.

« La fonction de la valeur de remémoration intentionnelle tient au fait même de l’édification du monument : elle empêche quasi définitivement qu’un monument ne sombre dans le passé, et le garde toujours présent et vivant dans la conscience des générations futures. »54

La valeur de remémoration intentionnelle est attachée à l’origine et à la nature même du « monument » et doit permettre de garder un souvenir dans la conscience.

Cette valeur motive une pérennité de l’état originel. La restauration est donc le postulat de base des monuments intentionnels. C’est une valeur de passé en tant que remémoration mais c’est aussi une valeur de contemporanéité puisque qu’elle est basée sur une immortalité souhaitée.

Un « monument » intentionnel peut perdre son caractère intentionnel : la valeur de

53A. Riegl, op. cit., p.63.

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remémoration intentionnelle peut se transformer alors en valeur historique et en valeur d’ancienneté (exemple des arcs de triomphe : l’Arc de Titus sur le Forum romain, ou l'Arc du Carrousel).

7.1.2. Les valeurs de contemporanéité :

Inversement aux valeurs de remémoration, les valeurs de contemporanéité ne dépendent pas du fait qu’il soit ancien ou récent, hérité ou produit. Elles sont basées sur le fait que tout œuvre ou monument peut être considéré comme l’égal d’une création moderne, récente et à ce titre doit présenter l’aspect d’une création moderne.

«La valeur de contemporanéité réside dans cette propriété qui, de toute évidence, n’attribue de rôle ni à l’ancienneté du monument, ni à la valeur de remémoration qui en découle.» 55

A. Riegl distingue deux sortes de valeurs de contemporanéité : la valeur d’usage (utilitaire) et la valeur d’art.

«La valeur de contemporanéité résulte donc de la satisfaction des sens ou de l’esprit. Dans le premier cas, nous parlerons d’une valeur d’usage pratique, ou simplement de valeur d’usage ; dans le second, de valeur d’art. »56

7.1.2.1.la Valeur d’usage :

Souligne les nécessités actuelles d'utilisation du patrimoine. L'introduction de cette dernière valeur est fondamentale : elle transforme la notion traditionnelle de patrimoine en la faisant passer de l'idée de trace à l'idée de capital.

Permets de considérer le patrimoine en termes de ressources et d'appropriations.

L'expérience de la revalorisation de la ville italienne de Bologne fut significative à cet égard : la valeur d'usage du patrimoine au niveau local fut ainsi mise en relation avec les enjeux fonciers et touristiques actuels, impliquant une conservation intégrée.

7. 1.2.2.la Valeur d’art :

La valeur d'art correspond à la valeur esthétique du monument. Elle se subdivise elle-même en valeur de nouveauté et valeur d’art relative:

-La valeur de nouveauté exige le retrait de toute trace d'altération pour revenir au « caractère achevé du neuf»57. Elle renvoie à l’apparence intacte des œuvres.

«Toute œuvre nouvelle possède déjà, en tant que telle, une valeur artistique que l'on peut appeler; élémentaire, ou simplement valeur de nouveauté.»58

-La valeur d’art relative reflète le jugement que nous exerçons, en bien ou en mal, sur une œuvre du passé. Son caractère relatif vient du fait qu'il n'existe pas de valeur d'art absolue ; la valeur d'art se réfère toujours à une période donnée.

«La seconde exigence, qui résulte non pas de la continuité, mais de la rupture opérée

55A. Riegl, op. cit., p.47.

56A. Riegl, op. cit., p.87.

57A. Riegl, op. cit., p.87 58A. Riegl, op. cit., p.87

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par le vouloir artistique moderne au regard des expressions antérieures, concerne la spécificité du monument (...) On l’appellera “valeur d’art relative”, car cette

exigence n’a aucun contenu objectif ni durable.» 59.

Cette valeur de nouveauté s’oppose le plus souvent à la valeur d’ancienneté, dans la mesure où les marques du temps altèrent l’intégrité de l’œuvre.

Le schéma suivant résume les valeurs du patrimoine ou du monument selon Alois Riegl.

FIG 11 : les valeurs du patrimoine selon Riegl

«La restauration constitue le moment méthodologique de la reconnaissance de l’œuvre d’art, dans sa consistance physique et sa double polarité esthétique et historique, en vue de sa transmission aux générations futures.»60

Compte à Brandi61, il opère la même distinction que celle de Riegl entre valeur historique

et valeur artistique. Mais en employant la notion d’instance (instance historique et instance esthétique). La déférence entre les deux notions est

que la valeur reste relative à celui qu’il l’a attribué alors que l’instance reste une sorte d’obligation morale à l’égard de l’œuvre elle-même et de son créateur.

A cet égard, les contributions de Riegl et de Brandi restent parmi les plus complètes et les plus poussées pour la définition et le classement des valeurs du patrimoine62

« Ce que nous lisons dans les œuvres anciennes - et qui satisfait notre vouloir artistique moderne - n’est à l’évidence, nullement exact du point de vue de l’histoire de l’art. En

59

A. Riegl, op.cit., p.94, cite-in P.M. TRICAUD, CONSERVATION ET TRANSFORMATION DU PATRIMOINE VIVANT op-cit. P.19.

60

BRANDI, C., Théorie de la restauration–traduit par Colette Déroche, Paris, éd. Editions du patrimoine, Ecole nationale du patrimoine, MONUM, 2000. p.30et 32

61Cesare Brandi né en 1906 à Sienne), est un historien de l'art, un critique d'artet un écrivain italien, spécialiste de la théorie de la restauration.

62P.M. TRICAUD, CONSERVATION ET TRANSFORMATION DU PATRIMOINE VIVANT op-cit. P.20

les valeur du patrimoine Valeurs de contemporanéité

valeur

d'usage valeur d'art

valeur d'art relative valeur de nouveauté Valeurs de remémoration valeur

d'ancienneté historiquevaleur remémoration valeur de intentionnel

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créant ces monuments, les artistes anciens étaient guidés par un vouloir artistique fort différent du nôtre »63.

La relativité de la valeur d’art ne peut exister sans la négation d’un canon artistique objectivement valable qui définit un « beau » idéal (pas de valeur d’art absolue). La reconnaissance de la multiplicité des conceptions de l’art entraîne cette relativité.

De plus, cette valeur d’art relative ne peut plus être pensée en référence à une ou plusieurs notions de beau dès lors que l’art ne se donne plus comme objectif une recherche de la beauté. La valeur d’art relative actuelle peut être positive ou négative. Positive, elle entraîne la

satisfaction de notre vouloir artistique moderne et peut impliquer la suppression de certaines traces d’ancienneté (nettoyage d’un tableau par exemple). Négative, elle peut entraîner une poursuite ou une accélération de l’altération, voire de la destruction (en contradiction alors avec la valeur d’ancienneté).