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La patrimonialisation des édifices religieux

CHAPITRE II :Les édifices religieux, entre reconversion et conservation patrimoniale

3. La patrimonialisation des édifices religieux

De manière général la patrimonialisation sous-entend des sélections et des choix que la société opère parmi les édifices et les objets du passé. Elle leurs attribue des fonctions de remémoration, décide de les faire vivre au présent et de les transmettre aux générations futures. Le patrimoine religieux tire sa spécificité et particularité du fait qu’il renvoie à la religion, un élément constitutif de l’identité intrinsèque de toute société humaine.

Cette particularité rend l’acte de patrimonialisation des biens religieux plus délicat, et souvent assigné par les classes agissantes.

Edifices, ruines d’édifices, mobiliers, œuvres d’arts, pratiques et rituels, les composantes du patrimoine religieux différents. Toutefois les édifices religieux constituent la partie la plus émergente de ce patrimoine. Ils cristallisent également, tous les enjeux et contraintes régissant ce patrimoine. L’identification et la patrimonialisation de tout édifice implique des

tris et des sélections, et par conséquent des exclusions. Les causes de celles-ci sont multiples ; appartenance à une époque révolue, à une religion autre que celle des groupes dominants ou rapport à la mémoire collective. Ainsi les édifices plébiscités patrimoine par les acteurs de la patrimonialisation sont largement protégés, contrairement aux autres. La patrimonialisation de cette seconde catégorie nécessite d’abord un effort de reconnaissance des valeurs intrinsèques de l’édifice, sans pour autant négliger son passé, aussi douloureux qu’il en soit. Avant

d’aborder la problématique de patrimonialisation des édifices religieux des époques révolues, nous allons d’abord s’arrêter devant la patrimonialisation en tant que notion.

Sans avoir de définition précise dans la littérature des sciences sociales, la patrimonialisation est selon Andreea Potop Lazea,

« le processus suite auquel certains biens se transforment en patrimoine.

Prise au sens large, je la définirai comme étant le processus complexe de production sociale du patrimoine qui commence par l’acquisition de la conscience patrimoniale, se manifeste, ensuite, par la réglementation du domaine pour finir dans les actions concrètes de

classification et de protection du patrimoine. Au sens restreint, je comprendrai par

patrimonialisation la réglementation du domaine et les actions concrètes de classification et de protection du patrimoine »86.

Pour Jean Davallon la patrimonialisation est, « l’acte par lequel une norme, un canon hérité du passé, se trouve contesté, subvertie par une nouvelle catégorisation construite à partir du présent »87.

La patrimonialisation est la production du statut de patrimoine. Elle permet d’assurer une double continuité entre générations ; continuité physique par la présence de l’objet où

86

Potop Lazea A., 2010, « Pour une approche anthropologique des monuments historiques et de la

patrimonialisation. Le cas de la Roumanie après 1989 »,thèse de doctorat, université bordeaux II, Soutenue le 13 décembre, P. 74-75.

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du monument et continuité de statut (symbolique). Ladite opération part du présent pour viser des objets du passé. En d’autres termes, le statut de patrimoine est attribué à partir du présent à des objets venant du passé. De ce fait, la charge de déterminer ce qui va être préservé pour être transmis à la postérité revient à ce processus complexe. Pour Paul Rasse « le processus de patrimonialisation, qui débute en aval par la sélection des traces et abouti en amont à leur interprétation, jusqu’à constituer une mémoire collective »88. Dans ce processus de filiation

inversée, pour reprendre l’expression de Jean Davallon, les descendants sélectionnent les traces affirmant la supériorité et la prospérité des aïeux auxquels ils s’identifient. Les édifices religieux en tant que l’une des productions les plus aboutie du génie humain sont parmi les plus visés par ce processus.

3.1 le devenir des édifices religieux et la conservation de la mémoire

Etant des lieux hautement symboliques, les édifices religieux constituent la vitrine qui reflète toutes les mutations qui affectent une société. Ils peuvent parfois être construits sous la domination d’un autre courent de pensé et par des groupes sociaux qui ne sont plus dominants, à l’exemple des édifices religieux de culte non musulman construits sous la domination française en Algérie. Une fois cette époque révolue, ils deviennent des objets non désirés encombrant le paysage qui sont aussitôt reconvertis ou démolis. Dans tout processus de patrimonialisation, les sélections opérées donnent souvent la priorité aux traces dans lesquels les acteurs de patrimonialisation s’identifient. Du coup les édifices des temps que l’en nommera révolus, se trouvent exclus de la sphère patrimoniale.

Projeter un devenir patrimonial à ces édifices passe inéluctablement par une relecture de la mémoire dont ils sont porteurs.

Etant une construction propre à chaque société, le patrimoine est qualifié par Rasse

d’élément « forts, structurant de la matrice mémorielle d’une collectivité qui se nourrit autant de commémorations, que de lieu ou de bâtiments symboliques. Ces derniers par leur

permanence, leur visibilité, leur place dans la cité, leur masse physique et symbolique, contribuent, plus que tous autres, à ancrer la mémoire collective, à la certifier et à la stabiliser»89

. Du fait de leur symbolisme et visibilité, la patrimonialisation des édifices religieux fait souvent l’objet de manipulation consciente ou inconsciente. En effet, par leur présence, ces édifices témoignent d’une histoire et sont porteurs d’une mémoire. Comme l’histoire et la mémoire sont deux modalités déconstruction de rapport au passé, ces édifices ne sont pas acceptés en tant que patrimoine

. Ce dernier est souvent vu consubstantiel à l’identité nationale. La mémoire construit notre rapport au passé, le monument lui est le support commémoratif qui sert à certifier l’histoire. Les avis divergent en ce qui concerne la patrimonialisation des traces de groupes sociaux différents de ceux de l’époque du lancement du processus. Pour certains sociologues la patrimonialisation ne peut se faire, dans la mesure que « le groupe social en question serait différent de celui de l’époque de construction du monument, donc au cas où le courant de pensée/ de mémoire dominant à l’époque en serait autre que celui de la contemporanéité »90.

Mais cet héritage présent au présent peut dépasser le statut de signe, renvoyant au passé, à celui de signal marquant, par sa présence, le paysage urbain. Andreea Potop Lazea fait une

88Rasse P., 2012, « traces, patrimoine, mémoire des cultures populaire »,ESSACHESS Journal for Communication Studies, volume 5, numéro 2, P. 246-255.

89Rasse, 2012, Op Cit, P. 246-255.

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distinction « entre deux types de mémoire sociale redevable au patrimoine bâti : une mémoire référentielle et une mémoire autoréférentielle. La première suppose un patrimoine se

rapportant à quelque chose d’extérieur, la seconde un patrimoine qui se suffit à lui-même, qui ne renvoie pas à un passé où les gens du présent se

reconnaissent »91.

Après l’indépendance l’expérience maghrébine dans le domaine varient d’un pays à un autre. La Tunisie pionnière en la matière a signé un modus vivendi en 1964 avec l’église catholique. Cet accord garantie le libre exercice du culte catholique, définie le statut des biens de l’église et inflige à l’état tunisien la préservation des lieux de culte catholiques.

L’état tunisien s’est porté garent que ces édifices ne seront utilisés qu’à des fins d’intérêt publiques respectant leur ancien statut.92

. Le Maroc comme l’Algérie n’avaient signé aucun accord dans ce sens et les reconversions sont faites de manières spontanées.

4. Les valeurs véhiculées par les édifices religieux de culte non-musulman