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CHAPITRE 4. DEVIS DE RECHERCHE ET STRUCTURE DE DÉMONSTRATION

5.6 Les usages observés de la notion d’intervention

Évidemment, nous avons porté une attention toute particulière aux usages de la notion d’intervention pendant nos diverses observations et temps de lecture des écrits organisationnels. Nous avons remarqué un usage écrit plus fréquent et surtout plus systématique de la notion d’intervention que dans la langue parlée. À cet égard, l’intervention apparaît davantage inscrite dans une sémantique organisationnelle que pratique. L’intervention paraît en outre comme un lexème de la langue de la programmation. D’ailleurs, les documentations internes, comme ceux de la régie régionale, du ministère et d’autres agences étatiques, font un usage abondant d’intervention. Plus spécifiquement, nous avons entendu nombre d’usages d’intervention pour désigner une forme ou l’autre de l’action institutionnelle ou programmatique en tant que telle. Ainsi, le C.L.S.C. intervient auprès de la commission scolaire pour obtenir une ressource.

L’acception intervenante fait cependant l’objet d’un usage très répandu dans la langue pratique. Ce terme permet sans doute de réduire les difficultés de désignation interprofessionnelle (titres de fonction, titres professionnels, titres disciplinaires, etc.). Mais plus fondamentalement, nous pensons que cet usage traduit le désir et la nécessité d’égaliser les statuts des diverses travailleuses dans ce lieu, le C.L.S.C., qui fut conçu et qui se veut interdisciplinaire. Une telle modalité symbolique d’égalisation statutaire, même si elle peut sembler parfois dérisoire, apparaît comme une condition importante du travailler ensemble. Au Conseil d’administration, les administrateurs sont parfois désignés comme des intervenants. Même une fonctionnaire de la régie régionale sera considérée comme intervenante lors d’une discussion qui porte sur des programmes. Dans les écrits institutionnels (officiels et promotionnels), l’intervenante générique est toute employée agissant directement dans la vie des clients (de l’auxiliaire familiale au médecin). En périnatalité, «les parents sont les premiers et les meilleurs intervenants», affirme une infirmière. En sécurité au travail, les travailleurs sont également les premiers intervenants

pour assurer la sécurité. Les documents internes tels que le plan de développement et le rapport annuel font grand usage d’intervention et de ses dérivés, notamment du terme

intervenant pour désigner l’ensemble des professionnelles à l’œuvre au C.L.S.C., comme

mandataires de la mission première et directe de l’organisation. Le terme intervenants sociaux désigne l’ensemble des travailleuses sociales et autres agents de relations humaines, par-delà leurs différences disciplinaires.

En général, pour les infirmières, plan de soins, plan de traitement et plan d’intervention sont à peu près synonymes. Le dernier réfère un peu plus aux objectifs et souligne les légitimités impliquées dans l’action. Il comprend notamment l’autorisation explicite du client et s’ouvre à des dimensions plus larges que la stricte action clinique en nursing.

À la ligne Info-santé, nous avons observé des usages très systématiques de la notion d’intervention. Les infirmières oeuvrant dans ce service répondent à des appels téléphoniques, pour une grande partie dans le domaine de la santé. Le client pose une question relative à un problème puis l’infirmière mobilise dès cette première question un répertoire informatisé de problèmes. Elle cherche à nommer avec le plus de précision possible le problème de l’appelant. Ce répertoire informatisé collige une vaste série de problèmes auxquels correspondent des interventions protocolarisées. Ce système reprend d’une façon pédagogique les répertoires d’interventions infirmières auxquels nous avons référé au second chapitre. En pratique, les infirmières restent très collées à l’énoncé même du protocole et réfère le client à une ressource spécialisée s’il s’avère que l’explication doive le dépasser. Il arrive parfois qu’elles présentent le protocole sans trop y croire. Mais la nécessité d’établir une standardisation des messages est telle qu’elles n’osent aller au-delà de ce qui est écrit. Même dans les dossiers où l’infirmière est experte, elle ne livre pas, ou si peu, son expertise propre. 59

L’action de ces infirmières vise, dans un premier temps, à repérer des indices permettant d’identifier le protocole approprié. Une fois identifié, il sera déclamé avec précision. L’apport spécifique de l’infirmière se situe surtout au niveau de l’accueil existentiel (le ton de la voix, quelques techniques d’écoute active) sans trop cependant inviter à l’établissement d’une

59 Encore une fois, notre propos n’est pas de critiquer mais de décrire une situation. Dans une perspective

professionnaliste, une telle standardisation apparaît déprofessionnalisante. Dans une perspective où l’infirmière est part d’un réseau, il importe de ne pas créer de confusion par la multiplicité des discours. Cette confusion

relation par trop signifiante, le contexte et le mandat ne s’y prêtant pas. Il va sans dire cependant que pour une situation qui exigerait une affiliation forte, par exemple en ce qui concerne un appel comportant des indices suicidaires, l’infirmière pourra prendre le temps de discuter davantage, le temps de pouvoir référer aux travailleuses sociales de l’accueil.

Nous avons observé une rencontre d’équipe d’infirmières scolaires pendant laquelle il y eu une activité de conceptualisation de la notion d’intervention. Une phrase écrite au tableau normalisait comme ceci l’intervention : «Intervenir correctement, à partir de la personne.» La formation à laquelle se référait cet énoncé reproduit encore le double ancrage de l’intervention infirmière en soulignant la grande nécessité d’établir un lien signifiant avec le client tout en rappelant la principale crainte des infirmières, soit de ne pas faire l’intervention juste. Cet épisode traduit à lui seul cette articulation complexe entre le vrai, comme positivité de la pratique, et la relation, comme son envers.

Lors d’interventions de groupe, comme il y en a en périnatalité, le terme intervention est peu ou pas employé. Son usage rappellerait-il le caractère illusoire de la rencontre qui se veut si légère et relationnelle ? S’agit-il d’une stratégie d’occultation de la fonction sociale de ces groupes ? Sans y voir une intention manifeste et malfaisante, cet anecdote est pour nous l’envers symétrique de ce que nous avons écrit plus haut quant aux nombreux usages de ce terme dans les écrits de la programmation. En appeler à l’intervention, c’est alors rapatrier dans une activité qui s’espère relationnelle les systèmes d’intervention.

Enfin, et cela est significatif pour nous de ce qu’occultent les usages d’intervention, s’il y a des usages divers du terme et de ses dérivés, il n’y a aucun équivalent pour l’autre pôle de la relation clinique : point d’intervenu, il n’y a que des clients. Ici, les tonalités de liberté et de contrainte sont totalement inversées par rapport à celles qui découlent de la lecture que nous faisons du sens politique de l’intervention.

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pourrait être apportée en preuve pour invalider la ligne Info-santé qui, par ailleurs, est généralement estimée comme un vif succès.

Comme notre recherche ne s’inscrivait pas dans une perspective d’analyse organisationnelle, mais bien dans une perspective d’analyse des pratiques professionnelles, nous limitons nos propos à ces quelques pages liminaires. D’autres informations tirées de l’observation seront rapatriées, ici ou là, dans la suite de la thèse. Le lecteur ou la lectrice pourra repérer les importations les plus structurantes. Pourtant, ce qui aura été le plus signifiant de cette observation ne se retrouve pas stabilisé dans l’écrit. C’est que ces semaines d’observation nous ont permis de développer une posture compréhensive de la communauté pratique que forme le C.L.S.C., posture qui eu un impact certain pour la suite de l’élaboration théorique.