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CHAPITRE 2. CONCEPTS ET CATÉGORIES DE L'INTERVENTION

3.3 Le statut du langage

3.3.1 Catégorie, translation et schème pratique

Le concept de catégorie

Cette théorie du langage se réalise notamment par une activité incessante de catégorisation.

comme constat que prédicat. Elle se définit par un ensemble de règles formelles de réduction de la réalité et de ses diverses tonalités et formes sensibles. Les catégories, écrit Le Ny : «sont des formes de pensées par lesquelles des données, des états-de-choses, sont fournis à la conscience sur le mode de la présence» et une catégorie grammaticale «est un système de correspondances entre un système de formes […] et un système de valeurs sémantiques» (1990 : 277). Il s'agit d'un système de représentations qui a une fonction d'état, traduisant la sédimentation des formes et des valeurs sémantiques, et une fonction prédicative, en construisant puis en affirmant les règles catégorielles de construction et d'usage des catégories. La catégorie est donc à la fois un principe de vision et de division du monde et un schème classificatoire opérant en pratique des structures de sens.

Demazière et Dubar (1997) préfèrent à une conceptualisation réaliste de la catégorie, comme il s'en trouve en taxonomie, une conceptualisation rationaliste, kantienne, où la catégorie traduit moins un objet qui se donne à la conscience par une forme qu’un ensemble de règles cognitives et épistémologiques, soit des activités de l'esprit, qui structurent la connaissance. Puisant du côté de Casssirer, ces auteurs estiment donc que catégoriser est un acte de pensée mettant en œuvre des procédures d'analyse, c’est-à-dire des actes de composition et de combinaison des objets dans l'activité langagière. Ils sont alors objet de catégorisations pratiques, savantes et officielles.

En ce qui nous concerne quant au travail de production d’une thèse, la catégorisation savante est aussi un jeu de langage qui se caractérise par la nécessité d'appréhender un monde extérieur, au moins en partie, à son propre monde, et de le dire selon les règles internes à la communauté scientifique. Demazière et Dubar estiment en outre que la catégorisation est au cœur du travail de la sociologie qualitative (1997 : 80), et ce selon trois conceptualisations : il s'agit soit de catégoriser pour reproduire la réalité (le réalisme objectiviste), soit de catégoriser pour projeter son désir ( le constructivisme idéaliste), ou soit de catégoriser pour reconstruire le sens, c’est-à-dire relier des caractères de phénomènes complexes de façon à produire une intelligibilité de la forme (le rationalisme structuraliste). Nous suivons cette dernière posture. La catégorie apparaît donc comme un signifiant éventuellement polysémique et polyphonique flottant au gré des exigences de la pratique, notamment des nécessités interdisciplinaires.

Concept de translation

La fonction translative, comme nous l’avons écrit supra, est cette fonction d'un mot peu signifiant en lui-même qui élucide et permet le passage d'une «unité d'une catégorie à une autre» (Dubois et al., 1973 : 497). Le terme intervention permet l’articulation de quantité de dimensions composant et conditionnant l'action professionnelle concrète. Les usages d’intervention révèlent des translations pratiques, autant opératrices de transferts que traductrices sémantiques. La translation s’effectue alors tant sur le plan intraprofessionnel que sur le plan interprofessionnel. Au premier de ces plans, il s’agit, entre autres, de favoriser le passage entre des connaissances et catégories savantes et entre des connaissances et catégories pratiques.

Figure 1 : représentation de la translation (a)

Catégories professionnelles

Connaissances pratiques translation Connaissances théoriques

Catégories pratiques

Au plan interprofessionnel, la translation favorise le passage entre univers sémantiques différents. Ces univers se sont constitués en regard des ethos professionnels mais aussi des communautés techniques.

Figure 2 : représentation de la translation (b)

Ethos infirmier

Communauté technique inf. translation Communauté technique t.s.

Ethos du travail social Concept de schème pratique

Pour Hatwell (1990 : 2312), «Le schème est la structure d’une action, i.e. ce qui, en elle, est généralisable à d’autres contenus». Savoirs pratiques, coups de main, représentations, habitus,

etc. se sédimentent, s’incorporent, s’organisent et se stabilisent en schèmes d’action tendanciellement productifs, en ce sens qu’ils offrent un cadre pour des actions à réaliser en d’autres contextes. Ainsi, les pratiques professionnelles ne sont pas pures créations in abstracto mais singularisation d’une action à partir des incorporés. Pinto rappelle à ce propos la fonction catégoriale de l’habitus (Pinto, 1998 : 50). Le concept de schème pratique permet de s'émanciper d'une conception réaliste des notions de règle ou de grammaire. Contrairement à cette vision, les concepts n'ont pas ici le pouvoir d'agir dans les vies individuelles ou collectives des agents. L'habitus professionnel, par exemple, ne constitue pas l'incorporation de règles, formant une sorte de grammaire génératrice hors de la pratique réelle des agents. C'est plutôt dans l'opus

operatum (le produit) que se révèle le modus operandi (la maîtrise pratique) (Bourdieu, 1972). Le

schème pratique est alors conceptualisé comme sédimentation lente et dynamique des pratiques et analyseur des conditions de la pratique. Bien que cette sédimentation apparaisse constituée des normes et règles opératoires, elle exprime davantage les conditions de la pratique que l'essence d'une norme. La grammaire est alors conséquente des pratiques, et non à leur principe. Les accords sémantiques, entendus comme ententes explicites ou implicites sur le sens des actes et jugements professionnels, telles l'évaluation de l'urgence, la lecture d'un cas, etc., présupposent le partage a minima de schèmes pratiques.