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Les trois composantes de la ségrégation entre collèges

L A SÉGRÉGATION SOCIALE DANS LES COLLÈGES PARISIENS : ÉTAT DES LIEUX

1.2 Facteurs explicatifs : ségrégation résidentielle et évitement vers le privé

1.2.1 Les trois composantes de la ségrégation entre collèges

Trois séries de facteurs peuventa priori expliquer l’ampleur des niveaux de sé-grégation sociale constatés entre les collèges parisiens : la sésé-grégation résidentielle,

d’une part, qui prédétermine en grande partie la composition sociale des collèges du fait de la sectorisation des collèges publics (les élèves étant affectés à leur col-lège de secteur en fonction de leur adresse) ; les inscriptions dans le privé, d’autre part, qui privent les collèges publics de près de la moitié des élèves de PCS très favorisées ; les dérogations et les classes à recrutement spécifique (musique, danse, sport, etc.), enfin, qui permettent à certains élèves de s’inscrire dans un collège situé en dehors de leur secteur de résidence.

Ségrégation résidentielle. Les contrastes sociaux entre les secteurs de recrute-ment des collèges publics parisiens sont d’abord le reflet de la forte ségrégation résidentielle qui prévaut à Paris. À l’échelle de la capitale, cette ségrégation rési-dentielle s’organise autour d’une frontière qui part du nord du 17e arrondissement, traverse les 18e et 10e arrondissements, longe la frontière entre les 11e et 20e ar-rondissements et, enfin, traverse les 12e 13e, 14e, et 15e arrondissements (voir figure 1.10).

À la rentrée 2019, plus de 70 % des élèves dont le domicile se situait dans les secteurs des collèges publics du centre et de l’ouest parisien sont issus de PCS très favorisées. En revanche, dans les secteurs situés à la périphérie des arrondis-sements, excepté le 16e, la proportion d’élèves de PCS très favorisées est beaucoup plus faible. Dans certains secteurs, elle est même inférieure à 20 %, en particulier à la frontière entre les 18e et 19e arrondissements, à l’est du 20e et au sud du 13e. Cette ségrégation résidentielle s’observe également lorsqu’on utilise comme indi-cateur la proportion d’élèves de PCS défavorisées par secteur de recrutement des collèges publics : cette proportion est inférieure à 10 % dans le centre mais dépasse 30 % dans les secteurs situés en périphérie, où se concentre l’habitat social.

La figure 1.10 fournit une approximation de la composition sociale des collèges publics qui, à ségrégation résidentielle donnée, prévaudrait si tous les collégiens parisiens (qu’ils soient actuellement scolarisés dans le public ou le privé)

fréquen-FIGURE 1.10Composition sociale des secteurs des collèges publics parisiens à la rentrée 2019

(a) Proportion d’élèves de PCS très favorisées par secteur

(b) Proportion d’élèves de PCS défavorisées par secteur

Lecture :Ces deux cartes indiquent les contours des secteurs des 114 collèges publics de la capitale. La carte du panel (a) indique la part de collégiens de PCS très favorisées parmi les élèves domiciliés dans chacun de ces secteurs à la rentrée 2019 (qu’ils fréquentent ou non leur collège de secteur). La carte du panel (b) indique la part de collégiens de PCS défavorisées dans chaque secteur.

Champ :Collégiens de PCS très favorisées et de PCS défavorisés domiciliés à Paris à la rentrée 2019.

Sources :Base Élèves de l’Académie de Paris et Direction des affaires scolaires de la Ville de Paris, calculs des auteurs.

taient leur collège public de secteur6. Si cette analyse permet de mettre en évidence le rôle central joué par la ségrégation résidentielle dans la ségrégation sociale entre collèges, notamment le long de la frontière sociale décrite plus haut, elle révèle en creux l’importance des phénomènes d’évitement scolaire pour expliquer les dy-namiques locales de ségrégation. En effet, dans l’hypothèse où tous les collégiens fréquenteraient leur collège de secteur, aucun collège public n’accueillerait moins de 10 % d’élèves de PCS très favorisées ou ne scolariserait en majorité des élèves issus de PCS défavorisées. Or, dans les faits, le recrutement social des collèges pu-blics s’éloigne parfois radicalement de la composition sociale de leur secteur de recrutement (voir figure 1.7).

Évitement vers le privé. Si la composition sociale des collèges publics diffère de celle de leur secteur, c’est parce que de nombreuses familles choisissent de ne pas inscrire leur enfant dans le collège public de secteur. À Paris, la principale source d’évitement scolaire est l’inscription dans le secteur d’enseignement privé, qui n’est soumis à aucune sectorisation.

Le recours au privé est fortement différencié selon l’origine sociale des familles : la moitié des collégiens issus de PCS très favorisées sont inscrits dans le privé contre seulement 7 % parmi les collégiens de PCS défavorisées (voir section 1.1). Cette proportion varie cependant beaucoup d’un secteur à l’autre de la capitale, certains collèges publics étant très évités alors que d’autres le sont beaucoup moins. Parmi les PCS très favorisées, c’est dans l’ouest parisien que le recours au privé est le plus important, avec des taux généralement supérieurs à 60 % (voir figure 1.11a). Ce phénomène contribue à expliquer que malgré la composition sociale très favorisée de leurs secteurs de recrutement, les collèges du 16earrondissement n’apparaissent pas comme les plus favorisés de la capitale. À l’inverse, le recours au privé des

fa-6. Il ne s’agit que d’une approximation dans la mesure où, dans l’hypothèse où tous les collégiens seraient contraints de fréquenter leur collège public de secteur, il est vraisemblable que les choix résidentiels des ménages s’en trouveraient affectés, ce qui aurait pour conséquence de modifier la ségrégation résidentielle entre secteurs.

FIGURE1.11Proportion d’élèves scolarisés dans un collège privé à la rentrée 2019

(a) Parmi les élèves de PCS très favorisées (b) Parmi les élèves de PCS défavorisées

Lecture :Ces deux cartes indiquent les contours des secteurs des 114 collèges publics de la capitale. La carte du panel (a) indique la part d’élèves scolarisés dans un collège privé parmi les élèves de PCS très favorisées domiciliés dans chacun de ces secteurs à la rentrée 2019. La carte du panel (b) indique la part d’élèves scolarisés dans un collège privé parmi les élèves de PCS défavorisées

Champ :collégiens de PCS très favorisées et de PCS défavorisées domiciliés à Paris à la rentrée 2019.

Sources :Base Élèves de l’Académie de Paris et Direction des affaires scolaires de la Ville de Paris, calculs des auteurs.

FIGURE1.12Proportion d’élèves de sixième scolarisés dans un collège public hors secteur à la rentrée 2019

(a) Parmi les élèves de PCS très favorisées (b) Parmi les élèves de PCS défavorisées

Lecture :Ces deux cartes indiquent les contours des secteurs des 114 collèges publics de la capitale. La carte du panel (a) indique la part des élèves scolarisés dans un collège public hors secteur parmi les élèves de 6ede PCS très favorisées domiciliés dans chacun de ces secteurs à la rentrée 2019. La carte du panel (b) indique la part des élèves scolarisés dans un collège public hors secteur parmi les élèves de 6ede PCS défavorisées

Champ :collégiens de PCS très favorisées et de PCS défavorisées domiciliés à Paris à la rentrée 2019.

Sources :Base Élèves de l’Académie de Paris et Direction des affaires scolaires de la Ville de Paris, calculs des auteurs.

milles de PCS très favorisées est beaucoup moins fréquent (moins de 30 %) dans certains arrondissements centraux de la capitale, en particulier les 4e et 5e arron-dissements. Entre ces deux extrêmes, le taux d’inscription dans le privé des familles très favorisées varie fortement d’un secteur à l’autre d’un même arrondissement : dans le 18earrondissement, par exemple, il varie du simple (moins de 20 % dans le secteur du collège Yvonne Le Tac) au triple (entre 50 % et 60 % dans des secteurs du nord de l’arrondissement). Par contraste, la proportion d’élèves de PCS défavo-risées inscrits dans le privé est uniformément faible (voir figure 1.11b) : elle est inférieure à 10 % dans la quasi-totalité des secteurs des collèges publics parisiens et ne dépasse jamais 20 %.

En privant les collèges publics d’une part importante des élèves de catégories sociales domiciliés dans leurs secteurs, cette forte différenciation sociale du recours au privé contribue à amplifier la ségrégation sociale au-delà des niveaux prédits par la ségrégation résidentielle.

Évitement vers le public. La seconde modalité d’évitement scolaire est l’inscrip-tion dans un collège public hors secteur. Les demandes de dérogal’inscrip-tion pour une inscription hors secteur sont accordées en fonction de motifs divers selon l’ordre de priorité suivant : handicap, besoin d’une assistance médicale à proximité du col-lège, statut de boursier sur critères sociaux, rapprochement de fratrie, proximité de l’établissement demandé par rapport au domicile ou encore suivi d’un parcours scolaire particulier (qu’il s’agisse des options ou des spécialités non proposées dans l’établissement de secteur ou des classes à recrutement spécifique, telles que les classes à horaires aménagés de musique ou de danse)7. La décision de scolariser un élève en dehors de son collège de secteur peut également être encouragée par le rectorat dans le cas où le collège public ne dispose pas d’une capacité d’accueil

7. La liste complète des motifs de dérogation, ainsi qu’un ordre indicatif de priorité, sont fournis par le ministère de l’Éducation nationale sur son site internet :https://www.education.gouv.fr/

le-fonctionnement-de-la-carte-scolaire-dans-le-second-degre-11555.

suffisante pour scolariser l’ensemble des élèves de son secteur.

À Paris, l’inscription dans un collège public hors secteur apparaît comme un phé-nomène d’ampleur modérée parmi les entrants en 6e issus de PCS très favorisées8, par comparaison avec l’évitement vers le secteur privé : dans la plupart des secteurs de la capitale, cette forme d’évitement concerne moins de 20 % des élèves de PCS très favorisées (voir figure 1.12a). On constate cependant que les taux d’inscription dans un collège public hors secteur tendent à être plus élevés dans les secteurs si-tués en périphérie, où sont sisi-tués les collèges les plus défavorisés, ce qui suggère que les dérogations peuvent contribuer localement à accentuer la ségrégation so-ciale de certains collèges publics.

À la différence des inscriptions dans le privé, les inscriptions dans un collège public hors secteur concernent également une proportion non négligeable d’élèves de PCS défavorisées. Dans de très nombreux secteurs, la part de ces élèves qui sont scolarisés dans un collège public distinct de leur collège de secteur dépasse 20 % (voir figure 1.12b). Cependant, la répartition spatiale de l’évitement vers le public parmi les élèves de PCS défavorisées paraît moins corrélée avec le profil social du collège de secteur que l’évitement des élèves de PCS très favorisées, dans la mesure où elle n’est pas particulièrement concentrée dans les secteurs situés en périphérie de la capitale. Dans certains cas, ces dérogations pourraient davantage être mo-tivées par le souhait du rectorat d’éviter une sur-occupation de certains collèges de secteur, à l’image du collège Balzac situé dans le nord du 17e arrondissement : 70 % des élèves de PCS défavorisées domiciliés dans ce secteur sont scolarisés dans d’autres collèges publics à l’entrée en 6e.

8. En l’absence de données individuelles sur les demandes de dérogation, l’évitement vers un collège public hors secteur est mesurée de manière indirecte à partir des informations disponibles sur le collège fréquenté par les élèves domiciliés dans le secteur. Dans la mesure où l’affectation au collège est prononcée en fonction du lieu de résidence à l’entrée en 6e, la proportion d’élèves ayant bénéficié d’une dérogation ne peut être estimée que pour ces élèves (les élèves qui changent de domicile au cours de leur scolarité au collège n’étant pas considérés comme « hors secteur » s’ils y résidaient au moment de leur entrée en 6e).

1.2.2 Une décomposition de la ségrégation des collèges à