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CHAPITRE 4 : SANTE AU TRAVAIL : ENTRE OBLIGATIONS REGLEMENTAIRES ET RISQUES DANS

5. Démarche préventive et changement de comportements

5.2. Les théories du changement comportemental en prévention

l’émergence d’un comportement de santé, il faut inscrire la croyance et les décisions des individus dans leur contexte psychosocial (Fischer & Tarquinio, 2006).

5.2.1. Les théories de Azjen sur les modifications comportementales

a) Théorie de l’action raisonnée (TAR), par Fishbein & Ajzen (1975)

L’intention est une manifestation de la volonté à accomplir un certain type de comportement en vue d’atteindre certains objectifs. L’intention est un déterminant immédiat du comportement et est déterminée par l’attitude vis-à-vis du comportement et de la norme subjective. L’attitude est déterminée par les croyances relatives aux conséquences, ainsi que l’évaluation qu’en fait l’individu. La norme subjective s’inscrit dans un processus psychosocial où l’environnement peut inciter le sujet malade à adopter un comportement désiré. Cette norme est déterminée largement par un processus de conformisme où l’individu manifeste des conduites sociales désirables. Ainsi, l’adoption d’un comportement de santé serait prédite par l’intention de s’engager, déterminée elle-même par l’attitude positive ou négative envers l’objet, et par l’environnement social.

Ces apports conduisent à considérer qu’il existe un effet du contexte social (normatif) qui agit sur les conduites inhérentes à la santé (Fischer & Tarquinio, 2006). La théorie des comportements interpersonnels (Cf. TCI par Triandis (1977)) a étendu ce modèle en précisant que la force de l’habitude (fréquence d’un comportement) serait aussi déterminante que l’intention.

b) Théorie du comportement planifié (TCP), par Ajzen (1991)

La TCP complète la TAR par l’ajout du contrôle comportemental perçu, en complément des attitudes et de l’intention. Il s’agit d’évaluer si on est capable d’adopter un comportement attendu, ce contrôle dépendant à la fois de facteurs internes (ressources : capacités, informations disponibles, efforts consentis) et externes (contraintes : occasions, obstacles). La TCP augmente la possibilité de prévoir intention et donc comportement.

5.2.2. Le modèle intégrateur de Godin (2002)

Plusieurs études ont travaillé sur le moyen de favoriser les changements en matière de santé. Cela peut porter sur la consommation tabacologique ou autre addiction (donc réduire un comportement défavorable) mais plus récemment sur le fait de renforcer les comportements favorables de santé, à l’image des travaux de Turcotte & Al. (2007), qui ont étudié en quoi le modèle intégrateur de Godin (2002)114 pouvait être une référence pour les enseignants d’éducation physique et sportive dans l’optique d’entraîner l’adoption de comportements liés à la santé. Reprenant les concepts liés aux attitudes, concept phare de psychologie sociale, ils rappellent que l’intention prédirait le comportement désiré, pourvu que les conditions soient favorables à l’action en question.

Ces conditions ont trait aux ressources et aux facteurs qui vont permettre l’exécution du dit comportement, et ce d’après la modélisation à suivre (figure 9). L’attitude est bien sûr une des composantes de l’intention qui peut conduire au changement, cette dernière se caractérisant tant sur un plan cognitif qu’affectif. Cognitivement parlant, il s’agit pour l’individu d’évaluer les pertes et les gains qu’il peut retirer d’un changement potentiel de conduite (ce qui nous rappelle le processus même du stress, d’après l’approche transactionnelle). Cette notion de gain ou de perte pouvant être aussi considérée en termes d’affects avec les risques associés de ressentir (en fonction de l’adoption ou non du comportement désiré) des regrets ou des sentiments à valence positive. Les normes ont aussi leur rôle, d’après ce qui est connu ou perçu de l’individu d’une situation, le comportement et la norme associée étant possiblement désirable socialement. Ainsi, logiquement, l’environnement va avoir un impact dans le changement de comportement, qu’il vise à une modification ou à un renfort. Les variables externes, ainsi que celles de contrôle, encore une fois, se rapprochent des modèles transactionnels, laissant penser que l’on pourrait coupler les deux pour envisager à suivre de notre recherche empirique d’identification et de compréhension du problème, une démarche de prévention se basant à la fois sur ce qui crée et influence le comportement du professionnel à préserver sa santé (soutenu par l’organisation) et ce qui pourrait conduire à accompagner le salarié dans une

114 Godin, G. (2002). Le changement des comportements de santé, in G. F. Fisher (Éd.), Traité de psychologie de la

démarche de changement ou de renfort des comportements de santé. Au-delà de cela, il s’agit aussi de voir comment l’organisation pourrait investir ce modèle à même fin, le ciblage uniquement individuel n’étant pas favorable à une prise de responsabilité des Organisations sur les problématiques de santé.

Figure 9 : Modèle intégrateur de Godin (2002)115

5.2.3. Les limites des modèles actuels

Le modèle cognitif des croyances envers la santé “Health Belief Model” (HBM) de Rosenstock (1966) postule que la probabilité qu’une personne adopte un comportement qui soit bénéfique à sa santé dépend de l’évaluation qui est faite de la menace et des gains/pertes qui pourraient en résulter. De même, un individu mettrait en œuvre un comportement préventif à la condition que ce dernier dispose des informations nécessaires à la compréhension de ce qu’il rencontre, et que sa santé constitue une chose importante à ses yeux. L’intérêt du HBM est de prendre en compte les croyances et représentations communes, mais a de faiblesse de ne pas considérer le contexte environnemental de la personne (ex : famille, amis) et d’être statique, alors que le rapport à la maladie évolue et l’intention n’est pas prise en compte (Fischer & Tarquinio, 2006).

Le fondateur de ce modèle concèdera plus tard qu’il convient de considérer en complément le sentiment d’efficacité personnelle dans les variables impactant les comportements (Rosenstock, Strecher, & Becker, 1988). Des critiques du modèle initial étaient formulées en cela que le HBM considère que les traitements sont supposés uniquement conscients en ce qui concerne les évaluations, et n’envisage par ailleurs pas l’impact des facteurs environnementaux et des émotions suscités par les messages (Shankland & Verlhiac, 2013).

Les représentations et phénomènes normatifs modifient attitudes et intentions comportementales. Ce que nous avons relevé des effets possibles de l’éthique du care dans l’environnement du pourvoyeur de soin, d’attention et de sollicitude sur la pratique, nous laisse à penser ici que cette éthique de la sollicitude, tournée vers l’autre, pourrait effectivement, si elle se traduit par un oubli de soi, conduire à un renoncement des comportements de prévention de la santé au travail. L’organisation, dans son rôle de sécurisation des salariés aurait alors un rôle à jouer en ce sens, afin de développer les comportements de santé.