• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 4 : SANTE AU TRAVAIL : ENTRE OBLIGATIONS REGLEMENTAIRES ET RISQUES DANS

5. Démarche préventive et changement de comportements

5.3. Agir sur sa santé : pouvoir d’agir et empowerment ?

Comment l’individu alors concoure-t-il à la prévention de sa santé ? Que peut-il être mis en évidence chez les professionnels ? La prévention des RPS et des TMS est un enjeu majeur de la prévention de la santé au travail (Caroly, Simonet, & Vézina, 2015). Les dimensions de marges de manœuvre et de pouvoir d’agir contribuent à cette prévention dans le champ de l’ergonomie du travail, mais nécessitent un engagement fort de l’entreprise dans les interventions (Coutarel, Caroly, Vézina, & Daniellou, 2015). Pour autant, la marge de manœuvre et le pouvoir d’agir sont des concepts distincts, où le premier est la source du développement des marges de manœuvres organisationnelles, collectives et personnelles (Clot & Simonet, 2015).

L’empowerment est favorable à la prévention de la santé mentale, en constitue même une notion fondamentale, mais demeure méconnue en promotion de la santé, dont l’objectif vise l’accroissement du pouvoir d’agir, la capacité à piloter sa propre vie, afin d’acquérir l’autonomie permettant au patient de mieux maîtriser son destin (Fayard, Caria, & Loubières, 2011).

A l’image des apports de Clot (2008) sur le pouvoir d’agir qui agit sur sa santé mentale au travail, l’empowerment traduit également une autonomie à faire, à faire bien. Toutefois, ce pouvoir d’agir, cet

empowerment ne peut selon nous se soustraire du rôle que doit porter en ce sens l’entreprise, l’institution

qui emploie le salarié, afin de lui donner les moyens de développer cette capacité, ce qui peut être contraint dans les structures du care, dans un contexte complexe défini par Molinier : « L’une des puissantes

frontières qui tiennent le care à distance de la cité et dans l’ombre du mépris, c’est le déni de la réalité pour s’épargner l’angoisse générée par la confrontation aux souffrances de la dépendance. Cependant, sans débat public sur le réel du travail, le risque est grand que se mettent en place des organisations du

travail entravant tout espace de délibération collective, où le seul zèle consistera, en l’absence d’interlocuteurs avec qui échanger sur l’ambigüité des situations, par éreintement physique et consomption psychique, à réduire le corps du désir à celui du besoin, quitte à réduire le premier au second par la violence. » (Molinier, 2009, p. 251).

Deux pistes apparaissent pouvoir justifier et traduire un self-care comme la pratique d’autosoins et le retrait de la situation à risque. Nous voyons à suivre ce qui peut caractériser ces comportements préventifs dont nous évaluerons la mise en œuvre auprès des aides à domicile dans ce qu’ils mettent en place de stratégies pour faire face au stress et aux affections.

5.3.1. Prévention et autosoins (Mailhot, Cossette, & Alderson, 2013)

Pour terminer ce point, et soutenant notre hypothèse que l’empowerment serait déterminante dans l’adoption d’un comportement de santé face à une pénibilité et un stress perçu, nous proposons une synthèse de travaux effectués dans le cadre de recherches en soins infirmiers sur le concept d’autosoin (Mailhot, Cossette, & Alderson, 2013), qui nous semble traduire le contrôle que peut prendre l’individu sur sa santé, qui pourrait être transposé au travailleur. Le concept en question vise à lui permettre de prendre soin de sa santé. Les auteures proposent une analyse évolutionniste du concept qui indique que les articles (de plus en plus nombreux avec le temps à parler de self-care et d’autosoins) s’articulent d’après différents attributs, antécédents et conséquences modélisés tels que les antécédents conduisent aux attributs qui entraînent eux-mêmes des conséquences. Leur travail repose sur la définition du concept d’autosoins donnée par Orem (1991, 2001) dont elles proposent la traduction suivante reprise de Hartweg (1991)116 : « la pratique de l’activité que les individus initient et effectuent pour maintenir leur vie, leur santé et leur

bien-être » (Mailhot, Cossette, & Alderson, 2013, p. 95).

a) Attributs

Les attributs correspondent aux caractéristiques du concept, classés selon 5 caractéristiques que sont (1) l’activité, (2) la décision consciente, (3) la justesse, (4) le centrage sur un objectif et (5) son acquisition. L’activité est plutôt orientée sur le physique et a la caractéristique d’être observable dans les premières publications consultées (1970-1990), puis s’étend à une dimension psychique dans les années 90 et une dimension spirituelle dans les années 2000. La décision consciente est favorisée par l’apprentissage et représente l’« ensemble des choix délibérés pour maintenir sa vie, sa santé » (p. 98). La justesse correspond au caractère approprié (nature et temps) de l’action mise en œuvre, qui peut être facilitée par

des connaissances associées (ex : l’hygiène de vie, pratique les gestes adaptés…). Un but précis oriente l’action visant l’objectif, dont l’individu a conscience, et qui peut être stimulé pour favoriser les comportements d’autosoins. Enfin, la pratique de l’autosoin est apprise et nécessite donc une formation.

b) Antécédents

Les antécédents représentent les situations dans lesquelles le concept est utilisé. Dans leur revue des articles sur le concept d’autosoins propres au métier d’infirmiers, les auteures identifient 10 sortes d’antécédents distincts dont seuls deux sont externes à l’individu (le soutien et les ressources). Le soutien est apporté par les personnes de l’environnement, sans empêcher l’autonomie de l’autosoin et les ressources nécessaires sont ventilées de leurs caractères techniques, informationnels, socio-économiques, et habiletés de coping. Les autres situations dans lequel l’autosoin est utilisé concerne l’apprentissage, la perception d’auto-efficacité par rapport à l’autosoin à effectuer, l’habileté, la motivation, l’engagement, la présence d’un déséquilibre ou d’un besoin qui donne sens à l’action, l’attention de l’individu (pour reconnaître la nécessité de l’autosoin, en évaluer les effets et ajuster le cas échéant) et la capacité à poser un jugement pour sélectionner l’autosoin adéquat et en évaluer les résultats. L’apprentissage représente l’intégration des connaissances nécessaires à la mise en œuvre de pratiques d’autosoins (nécessite les capacités cognitives suffisantes pour recevoir, comprendre et traiter les informations). Cela nécessite les habiletés permettant à l’individu d’être en mesure de réaliser les processus cognitifs et psychomoteurs nécessaires. La perception d’auto-efficacité réfère à la perception qu’a l’individu sur ses capacités afin de planifier et mettre en œuvre un comportement désiré (Cf. Bandura (1986)). Enfin, l’autosoin nécessite la motivation à engager l’autosoin qui repose sur les valeurs, le réseau de soutien, les succès et les échecs (permettant d’évaluer la ténacité face aux difficultés) ; ainsi que sur l’engagement qui doit être volontaire, responsable et reposer sur ses capacités de faire.

c) Conséquences

Les auteurs relèvent enfin 4 conséquences (qui sonnent comme des finalités) principales des études menées sur le concept d’autosoins :

 La suppression des symptômes

 Le maintien de la santé, de la vie et du bien-être, ainsi que l’évitement des complications ou des contraintes à la réalisation de l’autosoin

 Le développement de l’autonomie : le concept d’autosoins implique le transfert de partie de la responsabilité du soin par le professionnel, à l’attention de la personne concernée

Le concept d’autosoins dans le contexte infirmier concerne davantage les soins réalisés dans le cadre d’une affection de longue durée, plutôt que dans le cas de maladies aiguës (Mailhot, Cossette, & Alderson, 2013). Le concept d’autosoins peut-il devenir un point d’appui des démarches préventives au travail ?

Il nous importera dans la phase empirique de relever si de tels comportements d’autosoins sont mis en œuvre ainsi que ce qui les caractérise.

5.3.2. Le refus de poursuivre ou réaliser une tâche qui affecterait leur santé

Certains salariés activent des comportements de prévention par phénomène de retrait, à la suite d’une prise de décision collective ou individuelle. Ainsi, interrogés sur le refus qu’ils avaient pu émettre quant à réaliser une activité (voire à l’interrompre) dans le cadre de l’enquête SUMER 2010, ils ont été seulement 12% des effectifs à répondre par l’affirmative. Parmi ces 12%, classifiés en 7 profils établis d’après leurs conditions de travail, 8% représentent un profil dit « de salariés exerçant de façon isolée des métiers de

services, physiquement et psychologiquement exigeants ». Quatre-vingt-sept pour cents des salariés

présentant un profil isolé (soit 1% de l’ensemble des salariés) ont de plus refusé ou interrompu une tâche au cours des 12 derniers mois, contre 12% de l’ensemble des salariés. Le caractère isolé de l’emploi est donc significatif quant à l’observance de ces comportements de retrait. Ce profil comprend 24% d’aides à domicile (Algava, Coutreau, & Sandret, 2013). Ces « proportions de proportions » indiquent deux choses à la fois. D’une part, les salariés sont très peu nombreux à évoquer avoir interrompu une tâche pour se préserver. D’autre part, malgré ces chiffres faibles, la proportion d’aides à domicile s’y retrouvant est parallèlement toutefois significative, indicateur de conditions de travail pénibles qui peuvent les conduire à exercer des comportements de santé par de telles prises de décision, dont on peut imaginer que ce n’est pas une chose simple quand on exerce dans des conditions précaires et que le positionnement hiérarchique et la latitude décisionnelle sont peu élevés. Ce retrait traduit une stratégie active d’évitement, où le professionnel efface le risque en ne se présentant plus devant une source potentielle.

Enfin, les résultats de ces analyses de l’enquête SUMER sur cette question du retrait pour prévenir sa santé est également positivement corrélée avec l’état de santé du salarié. Ainsi, plus il est en mauvaise santé, plus il est enclin à émettre ce type de comportement. Dans ces situations, l’origine de ce dernier est par ailleurs plutôt motivée individuellement. Les refus motivés par une démarche collective expliquent la moitié de ces comportements également (Algava, Coutreau, & Sandret, 2013).