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CHAPITRE DEUXIEME: LES DIFFERENTES THEORIES DES IDE ET LA MÉTHODE DE RECHERCHE

2.2 Les théories de l'IDE et des régimes politiques

Il existe plusieurs théories reliées au rôle des corporations multinationales en relations internationales. Les différentes écoles théoriques des relations internationales ont en effet chacune leurs visions du rôle et du pouvoir des corporations multinationales et de leurs impacts sur les États et sociétés. Alors que les structuralistes croient que les opérateurs de CMN ont une influence prédominante sur la politique étrangère des États (Cox, 1987), les réalistes, quant à eux, soutiennent que les États les plus puissants ont un contrôle considérable sur leurs corporations multinationales et que celles-ci gardent des liens étroits avec leur gouvernement d'origine (Cohn, 2005). Si certains croient que les corporations multinationales peuvent agir avec une complète indépendance, il est généralement accepté dans la littérature que les gouvernements d'où proviennent les corporations ont, à plusieurs occasions, tendance à surveiller, contrôler et même restreindre ces compagnies dans l'intérêt de l'économie locale (Cohn, 2005). Par exemple, les gouvernements voient leurs CMN comme un outil pour la politique étrangère et ils sont prêts à les contraindre si nécessaire pour influencer leur comportement (Cohn, 2005).

Selon Susan Strange et J.M. Stopford, deux imminents spécialistes de l'économie politique internationale :

Les sociétés transnationales, quelle que soit l'internationalisation de leurs opérations, appartiennent, psychologiquement et sociologiquement, à leur région d'origine [et] dans le pire des cas, ses directeurs accepteront toujours les souhaits et ordres des gouvernements qui ont édité leurs passeports et ceux de leurs familles23.

23 Susan Strange et Stopford J. M., 1991, Rival States, Rival Firms: competition for world market shares,

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Robert Gilpin, croit également que les CMN ne peuvent se séparer de la politique extérieure de l'État dans lequel ils sont originaires. Il explique aussi que les CMN s'inquiètent de leur image globale et la perte de marché causée par la mauvaise publicité (Gilpin, 2000; Jakobsen et de Soysa, 2006 ). Enfin, pour les néo-réalistes, les multinationales n'existent que grâce aux États et pour les États, et ne seraient donc pas des acteurs autonomes. De plus, faut-il ajouter que le tiers des compagnies des pays émergents sont des compagnies soutenues par l'État24.25 Cette question du rôle des corporations multinationales laisse tout de moins perplexe certains, comme l'intellectuel engagés Noam Chomsky, qui les qualifient de « tyrannies privées » et d' « institutions totalitaires » dans la mesure où elles exercent selon lui un pouvoir de plus en plus important en dehors de tout contrôle démocratique. Chomsky croit par exemple que les plus puissantes corporations multinationales américaines et leurs apologistes intellectuels contrôlent autant les politiques étrangères qu'intérieures des États-Unis (Chomsky, 2010).

Ces analyses visent à expliquer en partie le processus de décision des CMN occidentales et les raisons pouvant expliquer pourquoi parfois ces sociétés refusent d'investir dans les pays ne respectant pas les normes démocratiques établies par leur pays d'origine. Les pays occidentaux, en général, voient dans le respect des normes démocratiques une solution pour les pays en développement à leurs problèmes économiques (lconzi, Belem et Gendron, 2005J. Selon cette idée, en établissant une démocratie le pays en développement attire les IDE, alors qu'en établissant une autocratie

24 Le CNUCED défini une compagnie d'État comme étant une compagnie dont l'État détient plus de 10% des

Alors qu'environ 80% des CMN chinoises sont contrôlé par l'Etat, l'Afrique du Sud détiendrait au moins 10 pourcent de parts dans environ le tiers des CMN. Aussi, les organisations paraétatiques sud-africaines participent grandement aux investissements étrangers. Notamment, des établissements financiers parapublics tels que l'Industrial Development Corporation et la Development Bank of South Africa (DBSA). Par exemple, Spoornet est une société publique qui exploite et gère des réseaux ferroviaires dans 14 pays africains, tandis qu'Eskom est un acteur important de la production d'électricité sur le continent. Alors que les pays du Sud ont embrasé la privatisation dans les années 1990, certains comme l'Afrique du Sud et le Brésil interviennent de plus en plus dans les compagnies privés notamment en achetant des parts dans les plus grandes compagnies. (CNUCED, 2005b; Adrian Wooldridge, 2012)

le pays éloigne les IDE. De ce fait, les CMN auraient, croit-on, avantage à suivre la doctrine follow the flag pour plusieurs raisons. De nombreux instruments intergouvernementaux protègent les entreprises multinationales. Les plus anciens et les plus couramment répandus à ce jour sont les conventions de double imposition s'appliquant aux particuliers et aux sociétés ayant plus d'une résidence légale . De plus les accords bilatéraux d'investissements sont du même ordre, dans un registre plus étendu, pouvant aller jusqu'à assimiler l'expropriation à toute mesure réglementaire qui réduit les bénéfices escomptés des filiales (Graz, 2010). Le nombre de ces conventions à travers le monde a plus que quintuplé depuis 1989, passant de 385 à 2 678 en 2008 (Graz, 2010). Il existe également Y Accord de promotion et de protection de l'investissement étranger (APIE) qui est en fait un accord bilatéral entre deux États visant à protéger et à promouvoir l'investissement étranger par des droits et des obligations juridiquement contraignants .

Ainsi, si la grande majorité des Accords conclus entre un pays du Nord et un pays du Sud se font entre deux démocraties, les compagnies multinationales du Nord ont grandement avantage à s'installer dans un pays en développement ayant un système de gouvernement démocratique, qu'il soit fort ou faible, pour ainsi profiter de la protection de leur pays d'origine. Aussi, si une CMN s'installe dans un pays ouvertement autocratique cette compagnie s'expose largement plus à la possibilité de voir les relations entre ce pays et son pays d'origine s'envenimer. Un tel conflit peut notamment voir l'établissement de sanctions économiques poussant la corporation à perdre énormément. Cela est monnaie fréquente en relations internationales. Par exemple, en 2009 le Soudan a fait face à des sanctions américaines qui restreignaient le commerce et les investissements américains dans ce pays. Sinon, ces dernières décennies, c'était le cas pour la République fédérale de Yougoslavie, de la Lybie et l'Irak qui subissaient chacun leur tour les foudres de la

26 Celles-ci permettent d'alléger le fardeau de l'impôt dans les transferts de dividendes entre les filiales et la

société mère. Selon la CNUCED, le monde en comptait près de 3 000 en 2008.

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LAPIE assure aux investisseurs étrangers qu'ils recevront un traitement aussi favorable que leurs homologues nationaux ou les investisseurs d'autres pays; que leurs investissements ne seront pas expropriés sans que des indemnités suffisantes ne leur soient versées promptement; et qu'ils ne seront en aucun cas soumis à un traitement inférieur à la norme minimale prévue en droit international coutumier. De plus, dans la plupart des cas, les investisseurs devraient pouvoir investir leurs capitaux et rapatrier leurs investissements et leurs gains de placement. Selon le site internet du Ministère des affaires étrangères et Commerce international du Canada, « APIE ».

41 communauté internationale28. Cette situation pousse ainsi les CMN à prendre en considération les préférences de leur État d'origine, pour leurs propres intérêts où pour celle de leur pays. Cela suggère aussi que les firmes originaires de pays en particulier sont susceptibles de refléter l'histoire politique, économique et sociale de ces pays. Selon Cohn (2005), les pays d'Europe occidentale, les États-Unis et le Japon, pour ne nommer que ceux-ci, ont tout au long de leur histoire pris des mesures politiques flagrantes pour contrôler le comportement de leurs CMN et établir des liens très forts afin d'atteindre un but commun.

Il existe plusieurs propositions théoriques à propos des effets de la démocratie sur les investissements directs étrangers. Sur ce sujet, la littérature a produit des constats contradictoires. D'un côté des études concluent que les corporations multinationales sont plus susceptibles d'investir dans les démocraties (Jensen, 2003, 2006 ; Jensen et McGillivray, 2005 ; Ahlquist, 2006 ; Rodrik, 1996 ; Harms et Vrsprung, 2002), et de l'autre côté on reporte que les CMN préfèrent les régimes autoritaires (Li et Resnick, 2003 ; Tuman et Emmert, 2004 ; Huntington et Dominguez, 1975 ; Evans, 1979 ; Haggard, 1990).

Tout d'abord, Jensen (2003) soutient que les régimes politiques avec un bas niveau de risque politique attirent les compagnies multinationales (CMN) parce qu'ils diminuent les coûts de production. Jensen explique que les démocraties ont normalement un bas niveau de risque politique en ce qu'elles sont mieux adaptées pour assurer le respect des droits de propriété que les régimes autoritaires. Les autocraties, appelées « prédateurs » par Mancur Oison, ne peuvent donc pas s'engager de façon crédible pour assurer la protection des droits de propriété (Oison, 1993 ; Jensen, 2003). Ces auteurs expliquent que les démocraties bien établies avec un système judiciaire indépendant et des contraintes sur

28 II est intéressant de noter que l'imposition de sanctions économiques internationales à rencontre de certains

États ou personnes, est devenue durant ces dernières décennie une arme économique fréquemment utilisée par les pays et instances internationales pour obliger ces derniers à changer d'avis sur des décisions ou des comportements jugés dangereux ou inacceptables, sans avoir recours à la violence armée. Ainsi, ces pays ou instances internationales peuvent, grâce à ce recours, exiger le changement de la politique ou de la nature du

l'exécutif sont généralement mieux équipées pour protéger les investisseurs étrangers contre les décisions arbitraires des gouvernements autoritaires. Les investisseurs sont donc attirés vers ces systèmes politiques en raison du système de « poids et contrepoids » (checks and balances) pesant sur l'exécutif et du renforcement de l'état de la loi inhérent à ce système de gouvernement. Ces particularités réduiraient les chances d'interventions arbitraires du gouvernement dans les affaires des CMN (Ramamurti et Doh, 2004, Jensen, 2003, Olson, 1993).

D'un autre côté, Li et Resnick (2003) ont observé que les démocraties ont des répercussions autant positives que négatives sur les IDE. Alors que les institutions démocratiques augmentent la protection des droits, ce qui attire les IDE, ces mêmes institutions contraignent les corporations multinationales en limitant les investissements pour renforcer les entreprises autochtones, ce qui détourne les IDE. Li et Resnick (2003) observent aussi une relation négative entre démocratie et IDE pour deux autres raisons. Premièrement, la possibilité de l'établissement d'un monopole au profit des CMN serait entravée par la démocratie car l'électorat se trouve capable d'exercer un contrôle sur les politiciens empêchant l'établissement de tels privilèges. Deuxièmement, ils soutiennent que la démocratie a un effet négatif sur la propension des gouvernements à offrir des « sweet deals » (au détriment des payeurs de taxes), ce qui diminue les intérêts des CMN à investir dans les démocraties.

D'autres auteurs, tels Przeworski et al. (2003) soulignent que les régimes démocratiques riches attirent les investissements, mais les régimes autoritaires assez riches aussi attirent les investissements car leurs leaders peuvent entreprendre des programmes de croissance dynamique et permettre des échelles de salaires plus bas. Dans une démocratie, le pluralisme peut retarder la croissance économique, surtout si les groupes d'intérêts pouvant êtres lésés par les politiques publiques exercent suffisamment d'influence (Quinn et Woolley, 2005). Des groupes tels que les syndicats peuvent aussi augmenter les coûts

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aux gouvernements en prenant partie pour des mesures économiques spécifiques, qui parfois nuisent au développement des corporations multinationales (Nelson, 1992).

L'idée voyant dans la démocratie un moyen privilégié pour attirer les IDE n'est donc pas universellement acceptée. Les travaux de Guillermo O'Donnell (1973, 1978, 1988) suggèrent une relation positive entre l'autoritarisme et les IDE. O'Donnell ressort les différents avantages stratégiques des sociétés multinationales dans les régimes autocratiques. Il observe que les États autocratiques aident et assistent les intérêts des CMN. O'Neal (1994), dans sa vaste étude, analyse les bénéfices des CMN américaines lors des périodes autoritaires de l'Argentine, du Brésil et du Chili pour se rendre compte que les CMN à cette époque ont vu leurs bénéfices doubler contrairement aux périodes de soubresauts démocratiques. Cette explosion des bénéfices des investisseurs s'est établie selon cette étude en raison de la suppression des syndicats et des partis politiques de gauche, ainsi que de la faible compétition commerciale et de politiques publiques garantissant les monopoles à ces corporations.

Tableau 6 Les avantages pour les investisseurs selon la littérature

Démocratie (avantages) Évite les sanctions économiques

Diminue le niveau de risque politique Meilleur respect des droits de propriété Protège contre les décisions arbitraires Protège la compétition commerciale Améliore l'image globale de la CMN

Autocratie (avantages) Suppression des sociétés civiles

Possibilité d'établir des monopoles Possibilité d'offrir des « sweet deals » Permet des échelles de salaire plus bas Suppression des syndicats

Faible compétition commerciale

Face aux conclusions contradictoires offertes par la littérature (tableau 6), il est pertinent de se questionner sur les motivations des corporations multinationales sud- africaines et chinoises à investir dans les pays en développement. Il semble tout de même que les firmes originaires de pays en particulier sont susceptibles, en partie, de refléter leur histoire économique, politique et sociale. Cette revue de la littérature sur les préférences du type de gouvernement des sociétés multinationales appartenant aux États occidentaux nous pousse à nous interroger sur les préférences particulières des CMN des pays émergents et

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