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CHAPITRE 4 : RESULTATS ET DISCUSSION

4.1. RESULTATS OBTENUS

4.1.2. Analyse des stratégies d’intercompréhension

4.1.2.2. Les stratégies utilisées selon les tâches du jeu

Les résultats sur l’identification des stratégies utilisées par les binômes nous indiquent que ces stratégies ne sont pas mises en œuvre au hasard, des facteurs semblent effectivement entrer en compte pour le choix de ces stratégies. Les principaux facteurs identifiés sont les tâches présentées par le jeu Limbo, l’attitude des apprenants et le profil langagier.

Les binômes ont effectué les trois premières missions du jeu Limbo et nous allons donc présenter une analyse plus détaillée des stratégies qu’ils ont choisi de mettre en œuvre dans chacune de ces missions.

a) 1ère mission du jeu : « aider Baltazar à mieux dormir » :

La première mission du jeu est la plus longue et la plus importante, elle consiste à ce que les apprenants comprennent ce dont a besoin Baltazar (le mendiant situé devant la gare routière) pour mieux dormir. Pour cela, les binômes sont amenés à parler (à l’écrit) avec ce personnage et à échanger des objets au marché afin de trouver celui qui peut être utile à Baltazar. Pour ce faire, les binômes choisissent d’utiliser des stratégies qui diffèrent d’un groupe à l’autre. En effet, on remarque que les binômes lusophones et hispanophones utilisent des stratégies cognitives et métacognitives différentes de celles utilisées par les francophones.

Stratégies cognitives : aller au-delà de l’information donnée (l’inférence) :

Pour les stratégies cognitives, les binômes lusophones et hispanophones utilisent fréquemment l’inférence et plus particulièrement l’inférence lexicale et l’inférence d’élaboration. A ce sujet, prenons deux exemples clés indiquant l’utilisation de ces deux stratégies.

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Le premier exemple concerne un binôme lusophone qui utilise de manière très fréquente l’inférence. Il met en œuvre cette stratégie dans le but de comprendre l’objet dont peut avoir besoin Baltazar. Pour cela, il infère du sens dans le message donné par ce personnage en s’appuyant sur ses connaissances, ce qui est donc une stratégie d’inférence d’élaboration. Luso1 infère ici que l’oreiller lui semble être un objet utile pour l’aider à dormir, d’après le tableau 3.

Deviner ce dont peut avoir besoin Baltazar à partir des connaissances sur un objet pouvant l'aider à dormir

123 Luso1 donc il faut aller… au marché… et acheter jsais pas… un oreiller, un truc comme ça, hein?

Tableau 3 : extrait de la transcription du binôme lusophone (Luso1 & Luso2)

Concernant l’inférence lexicale, nous prenons l’exemple d’un binôme hispanophone (Hisp3 et Hisp4) qui utilise cette stratégie pour comprendre que l’objet désiré par Baltazar doit être gonflé avant de lui être remis étant donné qu’il s’agit d’un oreiller gonflable en réalité. Le tableau 4 nous indique que pour comprendre ce que représente l’objet, Hisp4 a utilisé le verbe conjugué au présent en portugais : « inflo ».

Deviner le sens grâce au mot « inflo »

203 Actions du binôme (écoute de sa réponse et lecture des phrases de réponse) 204 Hisp4 ah ese es un colchón inflable, esa

205 Actions du binôme (Hisp4 se réfère à la phrase "como e que inflo esto?") Tableau 4: extrait de la transcription du binôme hispanophone (Hisp3 & Hisp4)

Stratégies cognitives : traduire et comparer avec la L1 :

Durant la première mission, les binômes francophones utilisent en majorité la stratégie qui consiste à conceptualiser avec des détails selon Oxford (2011). Plus précisément, il s’agit d’analyser et de décoder des mots, ce qui se réfère à la stratégie que Cyr (1996) nomme « traduire et comparer avec la L1 ou une autre langue ». Le tableau 5 ci-dessous met en avant l’utilisation de cette stratégie par le binôme Fr3 & Fr4 :

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Traduction de l'expression donnée par la mission

109 Fr4 "ayuda a Baltazar a dormir mejor"

110 Fr3 ah! Il faut aider Baltazar à mieux dormir, d'accord!

Tableau 5: extrait de la transcription d'un binôme francophone (Fr3 & Fr4)

Dans cet exemple, Fr3 traduit en français la phrase lue par Fr4 en consultant la mission à effectuer, pour comprendre ce que veut Baltazar.

Stratégies métacognitives : l’autoévaluation :

Parmi les stratégies métacognitives utilisées dans cette mission, on retrouve l’autoévaluation qui est d’ailleurs plus utilisée par les binômes lusophones et hispanophones. Dans l’exemple donné ci-dessous (tableau 6), le binôme analyse ce qu’il a fait et la façon dont il s’y est pris pour comprendre ce que voulait Baltazar.

Analyse de ce que le binôme a compris par rapport à ce que voulait Baltazar

27 Luso4 Ah, d'abord on est sortis de la gare parce qu'elle allait fermer, après on devait… Enfin on a changé la monnaie parce qu'on sait pas, on avait besoin de sous… 29 Luso4 Et après, il fallait aider le…

30 Luso3 Ouais, le mendiant, le clochard 32 Luso3 Pour qu'il dorme mieux

34 Luso3 Donc on est allés chercher un coussin

35 Luso4 Ouais ben je savais pas que c'était un coussin (rires)

36 Luso3 gonflable… Ouais d'ailleurs, on savait pas que c'était un coussin 37 Luso4 Du coup, on lui a donné un CD, ça a pas trop aidé (rires) 39 Luso4 Mais non, il voulait un coussin

40 Luso3 Finalement c'était un coussin

57 Luso3 On a essayé le CD d'abord et après (rires), on a vu que ça marchait pas

58 Luso4 Et après, on a pris le truc bleu qu'on a donné, donc après quand il a dit "ah il faut gonfler ça", j'ai dit "ah c'est un coussin gonflable!" (rires)

Tableau 6: extrait de transcription d'un binôme lusophone (Luso3 & Luso4)

On peut voir que pour savoir quel était l’objet dont Baltazar pouvait avoir besoin pour mieux dormir, le binôme explique qu’il a tout d’abord essayé avec le CD mais Baltazar n’en a pas voulu donc ils ont pris un autre objet et il s’avère que c’était le bon. Ils n’ont cependant pas compris tout de suite ce que représentait l’objet mais lorsqu’ils l’ont donné à Baltazar, ce

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dernier leur a dit qu’il fallait le gonfler. C’est là qu’ils ont donc pensé qu’il s’agissait d’un coussin gonflable.

Sur le même type de problème, un binôme francophone (Fr5 et Fr6) utilise également une stratégie d’autoévaluation et explicite plus que ce binôme lusophone pourquoi il a choisi de prendre le CD au départ. Regardons l’exemple ci-dessous à ce sujet (tableau 7) :

Analyse de la façon dont ils s'y sont pris pour trouver l'objet que voulait Baltazar 36 Fr6 ben on lui a apporté tous les objets qu'on trouvait et y en

avait pas un qui allait

37 Fr5 ouais "sonhos" au début euh… jpensais que c'était pour les oreilles donc

38 Fr6 moi jpensais que c'était un sommier, un lit

39 Fr5 mais la musique, moi du coup jle voyais plus parce que comme y avait un CD

78 Fr5 ben moi pour "sonhos", les oreilles 82 Fr6 au son ouais

87 Fr6 par euh… par élimination d'objets

Tableau 7 : extrait de transcription de l'entretien semi-directif (Fr5 et Fr6)

Il est intéressant de voir ici que Fr5 a pensé au CD car elle a associé « sonhos » en portugais à « son » en français, alors que « sonhos » veut dire « rêves » en réalité.

Stratégies métacognitives : le contrôle ou l’autorégulation :

Le contrôle est une stratégie que les francophones emploient beaucoup du fait qu’ils procèdent régulièrement à la relecture des messages donnés par les personnages du jeu. En voici un exemple avec un binôme francophone (Fr1 & Fr2) présenté dans le tableau 8. La stratégie de contrôle s’effectue à travers la relecture du message de la part du binôme.

Vérifier la compréhension par la relecture du message

174 Fr1 ben attends, on va relire c'que voulait le mendiant

175 Actions du binôme (clic sur le téléphone pour relire le message donné devant la gare) Tableau 8 : extrait de transcription d'un binôme francophone (Fr1 & Fr2)

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Stratégies socioculturelles interactives : traiter des contextes socioculturels et

d’identités :

Les binômes font preuve de connaissances sur l’utilisation de la politesse et particulièrement la façon de commencer une conversation avec une personne. L’extrait suivant (tableau 9) le montre avec un binôme hispanophone (Hisp5 & Hisp6).

Connaissance de la notion de politesse et de la culture

33 Actions du binôme (lecture des réponses pour le monsieur) 34 Hisp5 "bom dia" supongo

Tableau 9 : extrait de transcription d'un binôme hispanophone (Hisp5 & Hisp6)

Le binôme a voulu dialogué avec le personnage du jeu (Baltazar) et pour cela, il avait le choix entre trois phrases pour lui parler. Ils pouvaient soit dire « bonjour », soit demander « où suis- je ? » soit dire « ne me dérangez pas ». Le binôme a alors choisi « bonjour » parce qu’il semble normal de commencer une conversation par une formule de politesse.

Stratégies affectives : générer et maintenir la motivation

Les stratégies affectives sont peu utilisées en général mais nous pouvons voir qu’elles peuvent tout de même être utiles pour la compréhension puisque dans le cas du binôme hispanophone (Hisp5 et Hisp6), on remarque que Hisp5 se rend compte qu’il peut comprendre et répondre en portugais à travers le personnage qu’il manipule (tableau 10).

Se motiver en voyant qu'ils peuvent utiliser une langue qu'ils ne connaissent pas

53 Hisp5 ah ya estamos hablando en portugués, ya viste? Oh, ese niño aprende muy rápido Tableau 10 : extrait de transcription d'un binôme hispanophone (Hisp5 & Hisp6)

b) 2ème mission du jeu : « rendre le ballon à la jeune fille » :

La deuxième mission du jeu Limbo consiste à rendre le ballon que la petite fille a perdu étant donné qu’il s’est envolé. Pour cela, les apprenants doivent effectuer une tâche linguistique de vocabulaire. Il s’agit de comprendre les mots pour les associer aux ballons de couleur et de forme correspondants.

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Stratégies cognitives : comparer et contraster entre les langues (le transfert) :

La tâche demandée est focalisée sur le vocabulaire, elle implique donc l’utilisation principalement du transfert de la part des binômes. Ce transfert implique la comparaison et le contraste entre les langues. Nous allons voir cela plus en détail à travers des extraits de transcription, en prenant des exemples qui permettent d’illustrer au mieux l’emploi de cette stratégie.

Dans l’extrait ci-dessous, on s’aperçoit que le binôme a associé les mots en portugais aux couleurs et formes des ballons correspondants grâce à la ressemblance entre les mots et plus précisément à leur transparence. Mais le mot le moins ressemblant orthographiquement c’est- à-dire « coelho » en portugais et « conejo » en espagnol, a été associé par élimination (tableau 11).

Association par la transparence des mots

258 Hisp4 "nuvem", ponle "nuvem" a la nube

259 Actions du binôme (association du mot "nuvem" au ballon en forme de nuage) 260 Hisp4 el "sol" al sol

261 Actions du binôme (association du mot "sol" avec le ballon en forme de soleil) Association par élimination

268 Hisp4 y el "coelho"

269 Actions du binôme (association du mot "coelho" avec le ballon en forme de lapin) 270 Hisp3 no, no es el cuello

Tableau 11 : extrait de transcription d'un hispanophone (Hisp3 & Hisp4)

Ce qui semble intéressant dans cet extrait c’est que Hisp3 avait apparemment pensé à associer le mot « coelho » en portugais au mot « cuello » en espagnol, qui veut dire « cou » en français mais en voyant l’image (ballon en forme de lapin), il s’est rendu compte par lui-même que ce n’était pas correct.

Stratégies métacognitives : l’autogestion et l’autoévaluation :

D’un point de vue métacognitif, les stratégies les plus fréquentes pour cette mission sont l’autogestion et l’autoévaluation. Ces stratégies montrent que les binômes comprennent les conditions qui favorisent leur apprentissage et qu’ils sont capables d’analyser la façon dont ils s’y prennent pour comprendre les mots.

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Dans le cas de l’autogestion, ce qui aide les binômes c’est principalement la transparence entre les mots et le visuel (image). Prenons l’exemple du binôme lusophone (Luso1 & Luso2) qui montre que l’image aide beaucoup (tableau 12) :

Recours aux ressources du jeu (image)

73 Luso1 D'abord les couleurs, c'est ça hein?

74 Luso2 Oui, d'abord les couleurs parce que c'est facile

78 Luso2 Mais comme il y avait le dessin, peut-être s'il y avait seulement eu le mot, peut- être on va avoir un petit doute mais comme il y avait aussi l'image...

79 Luso1 Ouais c'est vrai que par rapport à l'image, c'était moins ambigü ouais. Si à côté, y avait jsais pas… une fiancée, pt-être qu'on pourrait se dire que c'est "novia"/"nube", jsais pas… (rires), quelque chose comme ça

82 Luso2 Ca nous a aidés

Tableau 12 : extrait de transcription d'un binôme lusophone (Luso1 & Luso2)

Pour la stratégie de l’autoévaluation, nous avons retenu l’extrait du binôme francophone (Fr5 & Fr6) dans lequel Fr6 analyse la façon dont elle a compris le terme « cor de rosa » en portugais (voir tableau 13).

Analyse de la façon dont Fr6 s'y est pris pour comprendre le mot "cor de rosa" 102 Fr6 ouais ben là, jme demandais si c'était le cœur, y avait un truc

qui ressemblait au cœur, au "corazon"

106 Fr6 ou je sais pas, un truc qui pouvait faire penser à la plante 109 Fr6 "cor de rosa", le cœur je sais pas…

Tableau 13 : extrait de transcription du binôme francophone (Fr5 & Fr6)

Dans cet extrait, on voit que Fr6 a associé le terme « cor de rosa » en portugais à la plante qui en français, se dit « cœur de rose ». C’est ainsi qu’elle a fait le lien entre les deux termes et a fait l’association avec le ballon rose en forme de cœur.

c) 3ème mission du jeu : « trouver le buste et le rendre » :

Dans la troisième et dernière mission, les binômes doivent trouver le buste au marché et le rendre au musée. Les stratégies utilisées dépendent du fait que les binômes ont déjà vu le musée avant ou pas pour savoir où est-ce qu’ils doivent rendre le buste. Ceux qui ont déjà vu le musée avant ont tendance à mettre en œuvre des stratégies consistant à faire des liens entre

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les choses similaires et les binômes qui n’ont pas encore vu le musée utilisent plutôt l’inférence d’élaboration.

Stratégies cognitives : aller au-delà de l’information (l’inférence d’élaboration) :

Dans l’extrait suivant, luso2 infère que le buste va au musée, elle va donc au-delà de l’information disponible et doit probablement faire appel à ses connaissances car il semble évident que l’endroit le plus approprié pour le buste est le musée. Elle procède de ce fait par une inférence d’élaboration (voir tableau 14).

D'après ses connaissances sur la culture, Luso 2 en déduit le lieu où peut être remise la statue 573 Luso2 on entre dans le musée?

580 Luso2 ah! peut-être on doit le rendre au musée 583 Luso2 on peut pas aller devant le musée?

Tableau 14 : extrait de transcription d'un binôme lusophone (Luso1 & Luso2)

Stratégies cognitives : faire des liens entre les choses similaires :

Les binômes qui ont déjà vu le musée auparavant n’utilisent pas l’inférence, ils font plutôt des liens entre les choses similaires c’est-à-dire qu’ils repèrent des mots qui se réfèrent au même contexte. C’est le cas du mot « busto » pour lequel ils font le lien entre l’information que le monsieur du musée leur a donnée et le contexte dans lequel ils se trouvent.

Prenons l’exemple de l’extrait du binôme hispanophone (Hisp1 & Hisp2) pour illustrer cette stratégie (tableau 15) :

Faire le lien entre les informations données (entre le musée et Baltazar) 419 Hisp2 ah porque a lo mejor es la estatua esa de… del museo

Tableau 15 : extrait de transcription d'un binôme hispanophone (Hisp1 & Hisp2)